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    06/05/2016

    Ici aussi, les stars du championnat signent à l'étranger

    Subbuteo : les irréductibles du foot sur table

    Par Christophe-Cécil Garnier , Basile Crespin

    A Puylaurens, petit village du Tarn, des compétiteurs venus de toute la France disputent l’Open International de foot sur table. Mais dans l’hexagone, le Subbuteo n’a plus vraiment la cote et ses meilleurs joueurs signent avec des clubs étrangers.

    Maison des jeunes de Puylaurens (81) – Le grand gaillard aux lunettes imposantes s’avance au-dessus du terrain, se concentre et prépare son coup l’espace de quelques secondes. D’une pichenette, il envoie la balle au fond du but adverse. Mongi vient de prendre l’avantage et affiche un sourire chambreur aux lèvres :

    « C’est un peu chez moi ici ! »

    Ce quadragénaire joue depuis plus de 25 piges au Subbuteo, ce jeu de « football de table ». Mongi balade avec aisance ses figurines sur socle sur le rectangle de feutrine verte de 122 cm sur 80. Un coup d’index suffit. Au fur et à mesure d’une progression à coup de pichenettes, il arrive en zone de tir et tente de planter. En face, le défenseur s’échine à mettre ses pièces en opposition sans toucher la gonfle. Si le premier manque ou ne touche pas le ballon avec un de ses pions, les rôles s’inversent.

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    L'équipe est regroupée en défense. / Crédits : Basile Crespin

    Après son match, Mongi s’installe sur les chaises qui parsèment les deux salles de la maison des jeunes. En guise de déco, quelques plantes vertes et des affiches pour des cours de tricot. Le joueur scrute sa quinzaine d’adversaires en maillot et bas de survêt’. A voix basse, il confesse qu’il va bientôt troquer son polo couleur bleu ciel d’Issy-les-Moulineaux pour le jersey d’un club belge. Il n’en dit pas plus, il annoncera la nouvelle après la compétition à ses coéquipiers :

    « Je veux aller en Belgique pour continuer à progresser. Mais l’objectif c’est d’aller jouer en Italie. Chez les mordus du Subbu. Là-bas, le championnat est parfois mieux que les tournois internationaux. »

    Si le Subbuteo est au départ un jeu de société inventé pour occuper les après-midis pluvieuses des gamins, pour ces quadras c’est du sérieux. Ces fondus du foot sur table enquillent plusieurs milliers de kilomètres pour participer aux compet’ internationales, qu’ils débriefent avec le sérieux d’un Zizou. Mais avec à peine 70 licenciés, la Fédération française de football de table sport (FFFTS), qui chapote l’événement de Puylaurens, n’a plus vraiment le vent en poupe. Comme Mongi, ses meilleurs éléments quittent le championnat de France pour les plus riches fédé italiennes et belges. Quant aux plus jeunes, ils désertent la discipline pour tâter de la manette.

    Les mordus du foot sur table

    C’est la mi-temps du match entre Marc et Emmanuel. Les enceintes balancent du Dire Strait. Les joueurs en profitent pour frotter avec un chiffon les socles de leurs figurines. « Ça permet d’avoir un meilleur glissement. Pour ne pas perdre de distance ou de rapidité », détaille Emmanuel. Marc, lui, a son petit plus : de l’imperméabilisant pour chaussures, explique-t-il le plus sérieusement du monde. « Mais je dois être le seul sur le circuit à me servir de ça », lance ce dernier avec un sourire.

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    Marc a sa botte secrète: nettoyer ses pièces avec de l’imperméabilisant pour chaussures. / Crédits : Basile Crespin

    Emmanuel ne se laisse pas distraire par ce spectacle et se concentre sur ses pièces. La semaine, cet assistant informatique de 39 piges travaille dans un lycée en région parisienne. Le week-end, il enfile le maillot. Cheveux coupés à ras et visage ovale, il a commencé le Subbuteo au début de l’adolescence :

    « En fait, je jouais au foot avant. Un de mes coéquipiers avec qui j’étais beaucoup remplaçant jouait au Subbuteo. Il m’a initié un jour lors d’une démonstration et j’ai accroché. »

    À coup de 3 – 4 heures hebdomadaire, « Manu », comme les autres joueurs l’appellent, s’est imposé comme un des tout meilleurs joueurs français de football de table. Quand il était plus jeune, ses amis l’ont surnommé « l’artiste », pour le chambrer :

    « J’ai un jeu très atypique et imprévisible. Ce qui fait un peu rire tout le monde. Parfois, on a l’impression que je fais n’importe quoi. Et effectivement : je fais n’importe quoi ! »

    Le Subbuteo, c’est du sérieux

    Jean-Marie est plus calculateur et s’inspire du catenaccio. Un système de jeu italien qui repose sur une grosse solidité défensive. Ce quadra à la barbe de trois jours, qui prolonge des tempes grisonnantes, a commencé les tournois en 1989. Il y a 5 ans, Emmanuel est parti avec lui pour un club belge, Rochefort. Ensemble, ils ont parfois poussé la passion à l’extrême :

    « Ça nous est arrivé d’être le samedi en Belgique. Le soir on revenait à Paris et le lendemain on était à Puylaurens pour le tournoi. Voiture, avion, on enchaînait tout. Avec le recul, je me dis qu’on n’était pas bien. Des fois, on a fait 3.000 bornes dans un week-end pour jouer au Subbuteo. »

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    La maison des jeunes de Puylaurens, ce n'est pas le Parc des Princes! / Crédits : Basile Crespin

    Cette époque est révolue pour Jean-Marie. Tout en tirant sur sa cigarette, il explique pourquoi il a levé le pied :

    « J’ai eu une petite fille. Avec la vie de famille, c’est plus difficile de s’absenter pour les tournois et de s’entraîner deux-trois heures par semaine. »

    Video En Belgique, c’est du sérieux!

    Surtout que la pratique coûte. Environ 900 euros par an, sans compter le remplacement des pions tous les 3-4 ans, qui représente tout de même une petite centaine d’euros. « À force de glisser, les socles s’abîment », détaille Jean-Marie. Autour des pizzas et sandwichs concoctés par l’équipe de Puylaurens, nombreux sont ceux qui discutent de leurs trajets en covoiturage ou Ouibus. Certains ont décollé à 1h du mat’ pour arriver à l’heure. Des clubs comme Issy-les-Moulineaux prennent en charge le logement mais les dédommagements sont plus importants à l’étranger.

    Les transferts internationaux

    A l’image d’Emmanuel, ils sont une dizaine de joueurs français à évoluer en Belgique ou en Italie. À la fois pour côtoyer un niveau plus relevé – celui du championnat de France égale la troisième division italienne – mais aussi pour le côté financier. Axel Donval a quitté Issy-les-Moulineaux la saison dernière, pour rejoindre Naples :

    « Une saison peut coûter entre 5.000 ou 6.000 euros. Mon club me paye l’hôtel, le transport, la bouffe… Tout. C’est quand même un gros gros avantage. »

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    C'est le départ d'un contre! / Crédits : Basile Crespin

    En début de saison, Axel a aussi arrangé le transfert d’un de ses compatriotes à Ascoli, un club de Serie A. C’est comme ça qu’a débarqué Fayçal, le frère de Mongi. D’après ce père de famille qui vit entre la France et la Tunisie, certains clubs trouvent parfois un job pour les stars qu’ils engagent, en plus de la compensation financière qui peut aller jusqu’à 1.500 euros par mois pour les meilleurs joueurs du monde. Fayçal, qui a commencé le Subbuteo à l’âge de 9 ans, regrette un peu la surenchère des primes pour les joueurs et la répercussion sur sa discipline :

    « C’est dommage car certains joueurs ne font que des choix financiers et pas sportifs. Alors que, parfois, il y a de beaux challenges à vivre. C’est quelque chose que je n’arrive pas à comprendre. Au football oui, mais là… »

    Mais les Français ne font pas parti des gros salaires de la planète Subbuteo. Au moment de leur transfert en Belgique, Emmanuel et Jean-Marie avaient demandé au club de faire un geste financier. « Ce n’était pas des sommes extravagantes. On avait touché 300 euros sur l’année en plus de l’hébergement », indique le premier.

    Fan du PSG, c’est un peu par hasard qu’Emmanuel a signé cette saison à Stembert. Une plaisanterie sur la page Facebook du club qui s’est terminée en « transfert ». Une décision appuyée par le sélectionneur de l’équipe de France de football de table. « Je n’avais pas été pris la saison dernière », rembobine « l’artiste », tout en se grattant machinalement le nez :

    « Il m’a dit que signer là-bas me permettrait de retrouver une motivation et prétendre à l’équipe nationale. »

    Le rêve italien

    Axel Donval, le licencié du Napoli, a été numéro 1 français pendant 6 piges. Ce chef de cuisine dans la restauration collective en région parisienne continue à s’entrainer dans l’hexagone. Plusieurs fois par mois, il rejoint l’Italie pour participer au championnat. « Un autre monde » :

    « Il n’y a pas du tout de côté loisir en Italie, c’est un vrai sport. Le week-end, on est enfermé à l’hôtel. »

    La Serie A, la première division italienne, n’était pourtant pas son premier choix :

    « J’avais décidé d’aller à Stembert mais je ne pouvais pas refuser la proposition de Naples. C’était principalement pour l’aspect sportif mais aussi financier. Il ne faut pas se mentir là-dessus. »

    Le kit des champions subuteo_46.jpg

    Si le championnat transalpin dispose de moyens financiers plus importants, c’est grâce à l’argent de mécènes, mais aussi pour certaines équipes, grâce à leur affiliation aux clubs de football (sur gazon). Ainsi la Lazio de Rome a sa section Subbuteo. « Tout ça met sur les joueurs une pression supplémentaire et dans les matches c’est quasiment “à la vie, à la mort” », assène Emmanuel, « l’artiste » de Stembert. Un point qu’Axel corrobore sans problème :

    « La première chose qu’on m’a dite à mon arrivée en Italie, c’était : “ici, il n’y a de la place que pour les meilleurs” ».

    Et les meilleurs sont bien gardés. Des clubs se protègent des transferts en effectuant des avances sur salaire ou en plaçant des montants de clause libératoire dans les contrats. Des « frais de transfert » de 2.000 à 3.000 euros.

    La fédé française dans la galère

    Les phases finales débutent dans la salle aux murs d’un jaune fatigué, de Puylaurens. Les joueurs commencent à l’être aussi. Les mains deviennent moites et perdent en précision. « J’arrive pas à mettre un pied devant l’autre ! Enfin, un doigt », se désespère Mongi, qui perd en demi-finale contre un Jean-Marie patient, mais affaibli à cause d’une part de pizza mal digérée à midi :

    « J’ai une espèce de barre au niveau du ventre. Et vu qu’il faut se pencher pour tirer… »

    Si l’ambiance ravit tout le monde, les organisateurs de l’Open se demandent s’ils n’assistent pas à une des dernières éditions.

    « Cette année, ce n’est vraiment pas la bonne, on a du mal à attirer. »

    Jean-François Balard, président du club de Puylaurens, a l’accent du coin. Un Grand Prix international en Écosse le même week-end a empêché de renouer avec la cinquantaine de compétiteurs présents les années précédentes. Mais le manque de renouvellement parmi les joueurs est aussi pointé du doigt. Une fois la quinzaine atteinte, le propre fils de Jean-François a arrêté de jouer au Subbuteo, tout comme 5 ou 6 jeunes du club. Le jeu a bien fait un retour commercial il y a 3 ans, après un arrêt de plusieurs années. Sans trop de changements. Thomas Ponté, le président de Fédération française de football de table sport (FFFTS), est très pessimiste pour la suite du Subbuteo en France :

    « Le problème, c’est que si on ne connaît pas de regain via un dynamisme des jeunes, notre activité en France va mourir en tant que sport structuré. Il y aura toujours des gens qui joueront mais il n’y aura plus de clubs. Les personnes qui voudront faire des circuits internationaux joueront à l’étranger. »

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    La Passion du Football au bout des doigts! / Crédits : CC.

    Et même pour les Français engagés dans les championnats étrangers, la situation n’est pas toujours rose. Axel a vécu une année bancal. Naples est descendu en deuxième division et il n’a pas beaucoup joué à cause d’une « incompatibilité d’humeur » avec son président. Une première dans sa longue carrière. Il a donc décidé de quitter Naples en fin de saison :

    « Je compte me mettre en joueur libre en juillet et prendre le temps de réfléchir. Je comptais rester en Italie mais je ne sais pas trop. »

    D’autant qu’il ne semble plus avoir la même motivation :

    « On doit être prêt à s’entraîner, avoir envie. Il y a un respect à avoir au niveau du club et des coéquipiers, surtout en Italie. Je ne peux pas m’engager si je sais que je n’ai pas le temps. Je ne peux pas me cacher. »

    Jean-Marie n’a pas ces problèmes. Son ventre capricieux ne l’a pas empêché de remporter le tournoi. Il pose pour la photo, la coupe à la main et un grand sourire en travers du visage. Emmanuel de son côté a remporté le tournoi secondaire, un lot de consolation. Dehors, les deux joueurs passés par la Belgique louent leur expérience étrangère. Emmanuel lâche en s’étirant les doigts :

    « Sans être méchant, on voit qu’on a l’habitude et la motivation des tournois internationaux. Dans ces matches-là, dès la première rencontre, tu sais que ça va être dur. »

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    « Sans être méchant, on voit qu’on a l’habitude et la motivation des tournois internationaux. » / Crédits : Basile Crespin

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