Ils étaient 6.000 « antifas » à manifester pour rendre hommage, dimanche, à Clément Méric. Parmi eux, une petite bande qui s'est dépucelée au bris de glace. Attention, on ne peut pas casser du plexiglass à coups de tatane !
Le long de la Seine, le cortège parti de la place de l’Opéra s’arrête quelques minutes le temps d’un hommage à Brahim Bouarram. A cet endroit, le jeune homme marocain, un soir de 1995, est jeté dans le fleuve par des militants d’extrême droite. « Clément, chaque 1er mai, venait lui rendre hommage. Cette année, il avait pris des coups, par les fachos déjà», raconte au mégaphone une militante du collectif action antifasciste Paris-banlieue (AFA P-B). Point levé, les 2.000 antifas, vêtus de noir, le visage masqué pour certains, rendent hommage aux « deux victimes du fascisme ». Derrière près de 4.000 militants syndicalistes, membre de collectifs de sans-papiers ou des partis de gauche, attendent sous le soleil, drapeaux au vent. Quand une ambulance s’approche, la consigne passe, le cortège s’écarte sans problème. Puis chacun se remet en route.
Orage Lorsque la foule quitte les beaux quartiers, le ciel vire à l’orage. L’air devient lourd et la tension monte d’un cran. Une jeune femme sort de la foule. A la main, une cordelette avec au bout un écrou. D’un coup sec, elle brise la vitre qui protège une publicité pour une marque de vêtements. Immédiatement, elle se fond à nouveau dans la foule. Une petite bande de jeunes regarde avec intérêt la scène. Jogging noir, sweat à capuche, seule la sacoche Gucci – pas très anticapitaliste – les différencient des militants. Visiblement excités, ils remontent vers les premiers rangs. Chez les militants antifas, quelques-uns ont sorti leur masque à gaz et les manches de pioche qui servaient à brandir les drapeaux ont été débarrassés des tissus.
Le cortège se dirige vers Stalingrad, remontant la rue La Fayette, quand l’orage éclate ; bref, dru. Méthodiquement presque, quatre ou cinq – toujours les mêmes – éclatent les devantures des banques, les distributeurs, parfois une agence immobilière à coup de clefs à molette ou de barre de fer. Les commerces de proximité ou les tabacs sont épargnés. Tout de suite après, ils se perdent dans le cortège. Notre petite troupe de jeunes apprentis casseurs tourne autour de la zone de tension, s’excite, se motive. « Vas y, on y va », lâche l’un deux. Il s’élance en direction d’une devanture avant de faire demi-tour. « On devrait apprendre à faire comme eux, les gars ! », commente un autre.
Castorama D’un coup de casque, la devanture de la société générale éclate. Un peu plus loin, une autre banque. L’un des gamins se lance à son tour. Il court et jette sa jambe en direction de la porte, semelle en avant. Echec! Elle tremble, mais reste intacte. « La prochaine fois faut qu’on prenne des outils. » Ils partent en quête d’un objet qui ferait l’affaire. Ils examinent une barrière qui protège l’accès à des travaux. Ils tirent dessus, mais l’objet est trop encombrant, pour servir à casser quoi que ce soit.
L’affiche de la manif
A l’avant, « AFA P-B » dont Clément Méric était membre, tente d’éviter les échauffourées avec la police: épaule contre épaule, ils forment un cordon indépassable. Une dizaine de mètres plus en avant une seconde ligne, juste face aux CRS, qui se font plutôt discrets. Entre les deux, une zone démilitarisée, donc. Les seuls contacts entre les manifestants et les forces de l’ordre sont, en fait, les quelques barrages qui bloquent l’accès aux rues perpendiculaires. L’occasion pour les apprentis casseurs de lancer, à distance respectable, quelques insultes et doigts d’honneur, dans l’indifférence générale… Grand frisson, faible danger!
Dissolution Le cortège dépasse une station d’AutoLib’. Les rétros, puis les vitres volent en morceau. Les quelques voitures de particuliers qui suivent ont, dans la foulée, elles-aussi droit à un traitement spécial. Dans la foule, ils sont de plus en plus nombreux à s’agacer des dérapages. « Putain, ça appartient à des gens! », lâche une jeune militante. Si voir les écrans d’un distributeur voler en éclat pouvait même soulever quelques applaudissements, là visiblement , on sort de l’action politique pour bon nombre d’entre eux. Une femme africaine, la cinquantaine, s’indigne : « Il faudrait les éduquer un peu mieux ceux-là! »
18 heures, le cortège rejoint enfin la place Stalingrad. Un rayon de soleil perce à nouveau, tandis qu’au mégaphone un militant promet une suite : « Un renouveau du combat antifasciste. Demain, nous pourrons regarder les yeux dans les yeux la police, le gouvernement et les partis politiques institutionnels. » Une dernière minute de silence en hommage à Clément et enfin « l’appel à la dissolution de la manifestation ». Les apprentis casseurs tournent encore quelques minutes avant de disparaître.
A l’issue de la manifestation, 14 personnes ont été interpellées, notamment pour port d’arme prohibé.
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