Auteuil, Neuilly, Passy… Tout le gotha quitte son ghetto pour « le Dîner en blanc ». 12.000 invités, triés sur le volet, se retrouvent pour un pique-nique au champagne place du Trocadéro. Des nappes aux convives, le blanc est de mise.
Jeudi 13 juin à 20 heures, place du duc d’Orléans, Neuilly-sur-Seine. C’est ici qu’une poignée de convives ont rendez-vous pour se rendre ensemble, en bus, au dîner en blanc. Les autres devaient se retrouver à Saint-Cloud, Versailles, ou ailleurs dans Neuilly. La destination est tenue secrète, jusqu’au dernier moment. Mais la question est sur toutes les lèvres. « Vous avez une idée de où ça peut être, vous ? Montmartre ? Ils ne l’ont jamais fait à Montmartre ! ». « Mais non, c’est beaucoup trop loin ! ».
Auteuil, Neuilly, Passy, tel est notre ghetto !
Dans un des bus qui doit mener au mystérieux lieu de ralliement, Denis, la quarantaine, fait durer un peu le suspens, et lance les paris. Cela fait 22 ans qu’il participe au dîner en blanc, et cette année, il est l’un des rares à connaître le point de rendez-vous. Et pour cause, c’est lui qui est chargé d’amener les convives à bon port. Chez lui, ce soir, tout est blanc, le sourire comme la chemise. Micro en main, il met l’ambiance à l’avant du bus. « Alors… à votre avis ? Quel est le lieu secret ? » Les blagues fusent : « Gennevilliers ! Le Blanc-Mesnil ! ». Humour de droite, sans doute… Puis finalement, l’information tombe. Ce sera au Trocadéro. Applaudissements. Denis explique alors quelle sera la marche à suivre. « On arrivera en bas du parvis, puis on remontera l’allée pour se placer. Et on ira… sur le côté droit ou le côté gauche des fontaines ? ». « Sur le côté droit ! » entonnent en cœur les passagers. D’autres, rejoindront le second lieu de l’événement : la cour carrée du Louvre.
Champagne Il est 21h30, les bus se succèdent pour faire descendre les convives. Sous le soleil couchant, chacun sait où se placer précisément, orienté par « un chef de table ». Le lieu est bondé, et il faut se frayer un chemin entre les groupes qui s’installent. On déplie la table. On pose la nappe. On sort les mets. « Apporter des surgelés Picard, c’est tricher ! » Ici des tomates cerises, de la mozzarella, là du fois gras. Pas de chips, sous peine d’être la risée du club de golf pendant des semaines. Côté boisson, surtout du champagne. Du Moët, essentiellement. La bière et les alcools forts sont proscrits. Et surtout, pas d’assiettes en carton. « Ce qu’on demande, c’est de l’élégance, du chic. Que les invités servent ce qu’ils auraient servi chez eux à leurs amis » explique l’un des organisateurs de l’événement.
Ce qu’on demande, c’est de l’élégance, du chic.
Et on fait tourner les serviettes !
Pour que l’organisation soit parfaite, chacun est à sa place : les hommes ont été chargés d’apporter chaises et tables. Les femmes, à manger. Philippe, 25 ans, ironise : « Non, moi j’ai préparé un feuilleté au chèvre et des petits fours au saumon. » Ses amis s’esclaffent devant tant d’impertinence. Ici, comme à chaque table, les invités sont venus entre copains, et tous semblent passer un excellent moment. On parle boulot, un peu, mais surtout, on s’amuse. Ils sont expert financier, avocat au barreau de Paris, comptable, ou encore community manager.
Amazing Patrick et Audrey ont la trentaine. Ils ont parrainé Emmanuelle, une amie, qui grâce à eux, peut participer à l’événement. « On peut parrainer à peu près qui on veut, mais à Paris, il va falloir arrêter d’ouvrir l’événement, après, on sera trop nombreux ! » glisse Patrick. Pour sa 25ème édition, 12 000 personnes ont participé au dîner en blanc. En 1988, ils étaient 100. « Chaque année, le lieu est superbe. J’ai fait la Concorde, Notre-Dame, la cour carrée du Louvre… C’est magnifique. »
Un peu plus haut dans l’allée, Amélie, Louise, Angéline et Hortense participent pour la première fois à ce dîner mi-champêtre, mi-urbain. Elles ont 18 ans, sont étudiantes en architecture et ont été parrainées par « maman ». En robe blanche et châle sur les épaules, seules les lunettes rouges de cette dame élégante détonnent. Elle fait le tour des invités et propose des quartiers de melon finement coupés. Elle serre des mains, discute, et confie être fière d’avoir convié de jeunes recrues. Pour les jeunes filles, le dîner en blanc, « c’est trop cool ». « Le lieu est insolite et c’est l’occasion de bien manger. Ok, c’est peut-être un peu vieillot, tous nos amis ne connaissent pas le concept, mais jamais je n’aurais refusé l’invitation » confie l’une d’elle.
Posh A 23 heures, des bougies pétillantes sont distribuées. Les amphitryons, désormais un peu alcoolisés les agitent dans les airs. Du haut du parvis, la vue est magnifique. La tour Eiffel clignote en arrière plan. Les touristes, ahuris, observent la scène avec envie. Tamara et Carolina, viennent du Colorado. Elles adorent Paris, et ce dîner en blanc est pour elles « beautiful, amazing, magical ». « On voudrait le même à Fort Collins » la petite ville dont elles sont originaires. Mais elles s’interrogent. « C’est un peu « posh », non ? ». Par posh, entendez snob.
Il va falloir arrêter d’ouvrir l’événement, après, on sera trop nombreux !
9-2 représente !
Plus bas, les convives se déchainent. Deux groupes de musique ont mis l’ambiance et se font presque face, de part et d’autre du bassin. Les chapeaux des dames s’agitent. On boit, on fume et on danse. Mais toujours dans les règles de la bienséance, attention !
« A minuit, il faudra commencer à plier bagages, pour qu’à 00h15, tout le monde soit parti. » C’est ce qu’avait expliqué Denis, dans le bus. A 23h45, on a du mal à s’imaginer tout ce petit monde arrêter la fête. Pourtant, les chefs de table et autres organisateurs sont à pieds d’œuvre pour faire évacuer les lieux, et ne pas décevoir les autorités, bienveillantes envers l’organisation.
Un rassemblement du Ku klux klan à Paris ?
White power Un jeune homme au milieu de la foule, téléphone vissé à l’oreille observe la scène avec incompréhension. Il avait rendez-vous avec un ami. Il est habillé en blanc, « mais c’est un pur hasard, je viens de comprendre que je suis au dîner en blanc. » Il trouve ça « immonde ». « Tout ce blanc, ça me dégoûte. Il n’y a pas un noir, pas un arabe. Ils sont pour la Manif pour tous aussi, non ? ». On avait posé la question un peu plus tôt dans la soirée. Et Laurent, 25 ans, avait répondu : « évidemment ! ».
18/06 – 10h30: modification du nom.
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