Boîte de nuit culte des années 80 grâce au film La Boum, le dancing-piste de roller «la Main Jaune» était un squat depuis 2010. Mais la mairie a vendu le lieu et les squatteurs doivent faire leurs valises. Ils organisaient une dernière soirée.
Porte de Champerret, dans le 17e, square de l’Amérique latine. Quelques marches à descendre pour rejoindre la file d’attente. Une jeune femme demande : « Ils louent des patins ici ? » Tout le monde hausse les épaules. Encore quelques marches et un couloir à traverser pour déboucher dans une salle de 1.500 m², au plafond noir. Ce samedi soir, une poignée de patineurs virevoltent autour de la piste de ciment et traversent la fumée produite par une machine. Au milieu, une DJ passe des vieux titres des années 80, Michael Jackson en tête. Les patineurs les moins sportifs se dirigent vers le bar alors que trois danseurs enchaînent les figures sur une estrade. Tous sont réunis pour vivre une soirée comme il ne s’en fait plus à Paris. Une soirée dans une boîte de nuit dédiée au roller. L’espace d’une nuit, « La Main Jaune » revit ses plus belles années. Avant de fermer définitivement, car le collectif d’artistes qui occupe le dancing, devenu un squat, se fait expulser.
Ici c'est Broadway / Crédits : Hugo Aymar
La boum
Peu de Parisiens savent que le 17e arrondissement accueille une salle de roller souterraine. Ou plutôt se souviennent, car « La Main Jaune » a été le porte-étendard de la mode du roller. Le lieu a acquis sa célébrité en 1980, grâce à une scène dans le film La Boum, avec Sophie Marceau. Transformée en boîte de nuit puis fermée en 2001, « La Main Jaune » est actuellement squattée et entretenue par un groupe d’artistes éponyme, le collectif La Main. C’est ce collectif qui a organisé la soirée « Onwheelz, Skating Vanities ». « On ne fait pas que rouvrir le lieu au roller. On veut donner à la soirée l’esthétique de La Main, avec des créations musicales et artistiques. », explique Jean-Marc Gravier, membre du collectif, organisateur de l’événement et patineur accompli.
Sur la piste, quadras et jeunes adultes se mélangent joyeusement. Sébastien et Michel, la trentaine, sont trop jeunes pour avoir fréquenté la boîte lorsqu’elle était ouverte. Accoudés à la rambarde qui ceinture la piste, casquettes et salopettes distinctives des hipsters, quads aux pieds, ils regardent tournoyer les patineurs. « On connaissait le lieu de nom mais on savait que c’était fermé. On était à la recherche d’une soirée roller depuis plusieurs mois, donc quand on a appris sur Facebook qu’il y en avait une, on a sauté sur l’occasion. » Certains fêtards ont l’air plus perdus. Comme Delphine, 24 ans, bardée de protections, qui semble peu à l’aise sur ses patins : « En fait, je tombe beaucoup. Je n’ai commencé les cours de roller il n’y a qu’un mois. » Conviée à la soirée par son prof, elle ne « connaissait pas du tout le lieu ». Mais y serait bien revenue, s’il ne fermait pas.
Map La Main Jaune
Back to the future
D’autres patineurs, les anciens habitués, ont en mémoire les moindres recoins de « La Main Jaune » et de leurs exploits sur huit roues. Stéphane, 38 ans, paire de quads aux pieds, se souvient de la première fois qu’il est venu à « La Main Jaune ».
« Au collège, j’étais dans la classe de la fille Moulhac. La fille de la patronne. On est venu fêter son anniversaire, ça devait être en 1987. »
Une boîte qu’il fréquentera assidûment jusqu’à ses 20 ans, avant de partir à l’armée. « Le soir, il y avait environ 60 % d’habitués. », se souvient Christian. Le chauffeur de 41 ans a ressorti pour la soirée la tenue fétiche de ses 17 ans : jean blanc et t-shirt « Ricard » bleu. Typique du public populaire qui traînait à La Main Jaune. « L’entrée coûtait 70 francs, alors que pour la plupart des boîtes parisiennes, ça tournait autour de 100 francs. », explique-t-il.
Avec pas mal de nostalgie, il rit des crasses qu’il a pu faire ici :
« On faisait rentrer des bouteilles d’alcool et des gobelets dans la boîte. On les planquait dans nos sacs de roller (…) Il y avait une ambiance mortelle. On faisait du tir à la corde à roller, il y avait des tiercés champagne, où tu pouvais parier sur une course entre patineurs. Là, au milieu, il y avait des danseurs sur des podiums et, à côté de l’estrade, des battles de hip-hop. »
Il jette un œil à la piste, qui commence à ressembler à la place de l’Étoile à 18 heures : « À l’époque, tous les soirs, il y avait autant de monde sur la piste. Par contre, les allées étaient beaucoup plus bondées. »
Dancers in the dark / Crédits : Hugo Aymar
ringard
Pendant une quinzaine d’années, « La Main Jaune » a été le temple du roller à Paris. Avant de tomber en désuétude, quand la mode du roller quad passe, supplantée par celle du roller en ligne qui se pratique dans la rue. La Main est transformée en « boîte portugaise », raconte Jean-Marc. « Mais il y avait pas mal de problèmes, des bastons. » Stéphane, lui, est beaucoup plus dur : « La patronne était une ivrogne, elle a laissé le lieu à l’abandon. »
Le lieu ferme ses portes en 2001. Sans que les Parisiens ne connaissent véritablement son origine. « La Main Jaune » est en fait le premier niveau d’un parking souterrain. « À l’époque, quand tu construisais un parking, tu devais allouer une partie de la superficie à des commerces », détaille Merlin, le président du collectif La Main. Le niveau fut coupé en deux : une partie devient « La Main Jaune », l’autre un bowling, qui existe toujours. « Ils sont restés coincés ambiance années 80. C’est un truc à voir », s’amuse Merlin, avec son look mi-loubard mi-dandy, veste en cuir, casquette noire et nœud-papillon. Avant d’ajouter : « En-dessous de la Main, il y a trois étages de parking. Et juste de l’autre côté du mur, là, c’est le périph. »
Saturday Night Fever ... / Crédits : Hugo Aymar
Squat
Si Merlin connaît bien l’histoire de « La Main Jaune », il avoue qu’il « n’en avait jamais entendu parler avant d’y entrer pour la première fois. » Fin 2010, un autre collectif squatte le lieu pour organiser une soirée du nouvel an. Merlin et un autre membre du collectif ont vent de l’événement. « On est venus un soir. Il n’y avait personne, mais c’était en plein pendant les préparatifs. On est revenus pour faire des photos et on est tout de suite tombés amoureux du lieu. Après la soirée, l’ancien collectif s’est fait expulser par la police. Six mois plus tard, on s’installait. »
Un ancien montre sa carte de membre
Ils s’approprient « La Main Jaune » : « On a passé quatre mois à réhabiliter le lieu. C’était devenu une décharge publique », rappelle Merlin. Avec pour objectif d’avoir un lieu où répéter, faire des représentations et accueillir des projets externes au collectif. « On a développé un concept qu’on appelle l’upperground. Ça mêle le côté underground, les squats, les lieux très créatifs avec beaucoup de lien social et le monde de l’entreprise, avec beaucoup de moyens. » Le squat comme un moyen et non comme une fin en soi. Une des raisons pour laquelle La Main, le collectif, n’est pas trop déçu de quitter La Main, le lieu. Car un accord a été conclu avec la mairie : les artistes quittent « La Main Jaune », qui sera mise en vente, pour s’installer dans les bains-douches du 15e, rue Castagnary. « C’est comme une famille qui déménage. On aurait adoré garder [La Main Jaune] mais on prend notre départ avec philosophie, c’est l’occasion de développer de nouveaux projets. »
Pour les patineurs, la fermeture est un coup dur à encaisser. « C’est dommage », avoue Michel, avant de reprendre : « En France, il y a un réel engouement pour le patin, surtout les quads qui reviennent à la mode. Le succès du roller-derby y joue pour beaucoup aussi. » Merlin, lui, espère que le lieu renaîtra : « Paris est une ville magnifique, qui perd énormément de son cachet. Il faut sensibiliser les gens sur la disparition du patrimoine, en donnant une seconde vie au lieu. »
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