La plupart des 400 films produits pendant l'âge d'or du cinéma cambodgien ont été perdus à jamais. Sauf dans les mémoires des cinéphiles de l'époque et… dans les remix des BO de films, raconte le réalisateur Davy Chou.
« Papa, pourquoi tu ne nous a jamais amenés ici avant ? » Devant ce qu’il reste du studio L’Oiseau de Paradis à Phnom Penh, le réalisateur Yvon Hem est face à ses deux enfants. Alors il raconte: « D’abord pour oublier. Ca m’aurait brisé le cœur. Après Pol Pot, il ne restait plus rien. Tout avait brûlé. » Lorsque le réalisateur français Marcel Camus vient tourner L’Oiseau de Paradis au Cambodge au début des années 1960, c’est la sœur d’Yvon, Nary Hem qu’il choisit pour incarner le rôle principal de la danseuse Dara. Alors que le cinéma cambodgien n’en est qu’à ses prémices, ce sera le nom du film de Camus que le réalisateur Yvon Hem donnera à son studio.
400 films Avec Sommeil d’Or, Davy Chou, 28 ans, signe un premier long-métrage documentaire, remarqué mi-octobre au Festival de Busan (Corée). Le petit-fils du plus gros producteur du cinéma cambodgien fait revivre l’espace d’une heure trente la production de l’époque : 400 films produits entre 1960 et 1976, dont seuls quelques uns ont survécu au régime de Pol Pot. De la plupart de la production de cet âge d’or du cinéma khmer, les copies n’ont jamais été retrouvées. Beaucoup d’acteurs ou de réalisateurs ont péri pendant le génocide.
Le cinéma cambodgien ne se relèvera jamais de cet épisode. « Quand je suis arrivé au Cambodge en 2009, se souvient Davy Chou, sur les 30 cinémas qu’il y avait en 1975 dans Phnom Penh, il n’en restait plus qu’un. Tout avait été transformé en karokés, restaurants, billards, etc. ». Symbole de cet anéantissement, la caméra de Davy Chou nous fait visiter l’ancien cinéma Hemakcheat (un seul écran, mais 1.000 places assises) transformé en squat depuis 1979: Des parois en taule ou en cartons séparent les pièces, « une montagne d’ordures qui s’amoncellent en plein milieu. Il y a des rats et des chauve-souris partout. »
Trauma Parmi les cinéastes qui ont survécu mais qui ont perdu tous leurs films, certains sont réticents à témoigner face caméra. Heureusement, Davy est le petit fils du producteur Van Chann et ça aide. Il retrouve par exemple le réalisateur Ly You Sreang qui a survécu à la guerre en immigrant en France mais « a perdu tous ses films ». Il raconte à la caméra :
« Davy, avant j’étais producteur au Cambodge et là [j’arrivais en France] je n’avais plus rien, je vivais dans une chambre de bonne. »
Il y a aussi Ly Bun Yim, un des plus gros producteurs de l’époque: Le film se termine avec Ly Bun Yim qui fait le pitch d’un de ses films. Le pitch dure 20 minutes. Il commence à raconter l’histoire et ne s’arrête jamais:
« C’est le résultat d’un traumatisme. Puisque le film a disparu, ils vivent sur le regret de ce film qui n’est plus montrable. Alors même si je leur demande de faire très très court c’est impossible pour eux de faire court. Ils parlent, ils parlent et c’est justement le sujet de mon film: comment un film perdu survit. Et notamment par la volonté de le faire persister dans le réel. Et là c’est le cas pour ce cinéaste à qui je demande le résumé de l’histoire du film et il me la fait en 20 minutes. 20 minutes de plan séquence. Je panique complètement parce que j’avais prévu de faire un deuxième plan et que la nuit tombe ; je lui demande de me le faire en beaucoup plus rapide: “Ah, plus rapide… pas de problème”… Et là il me refait une prise : 10 minutes. Pour lui, c’était impossible de compresser plus que ça, parce qu’il y avait toute sa vie dans ce film. »
Audio Ecoutez l’intégralité de l’interview avec Davy Chou
Davy Chou, petit-fils du plus gros producteur du cinéma cambodgien fait revivre l’espace d’une heure trente la production de l’époque.
Vintage Davy Chou suit des jeunes cinéastes qui retournent des scènes cultes disparues du cinéma khmer, sans avoir jamais pu les voir mais telles que les racontent les anciens. Les pitchs de films les plus fous reprennent vie: Déesses qui tombent amoureuses d’humains, amours impossibles… Ajoutez à ces contes, ces légendes et ces royaumes perdus, une imagerie sixties et seventies et on est en plein revival vintage. Bollywood et sa naïveté n’est pas loin non plus:
« Dans les années 1950, il y avait déjà des cinémas au Cambodge qui projetaient notamment des films indiens. Les films Bollywood de l’époque ont vachement influencé le cinéma cambodgien. Au final, on a eu un mini-Bollywood cambodgien, dans la naïveté avec laquelle ils faisaient ces films à l’époque. Mais c’est l’âge d’or et en même temps le début du cinéma, qui ne durera qu’une quinzaine d’années. Parce qu’après les Khmers rouges, c’est fini. »
Remix Les quinquas cinéphiles se remémorent devant la caméra de Davy Chou les films de l’époque, qu’ils continuaient à aller voir même à l’approche des troupes de Pol Pot sur Pnom Penh :
« Malgré les bombes, j’allais malgré tout au cinéma, inquiet mais heureux. »
Parfois, pour retrouver la trace de certains films dans la vie de tous les jours, il suffit de tendre l’oreille :
« A l’époque, il y avait des vinyles, qui contrairement aux bobines de films, existaient en plein d’exemplaires. Chez l’ancienne génération, ils écoutent tout le temps ces musiques. Ils savent quelle musique vient de quel film. Et il suffit d’écouter les paroles pour reconstituer l’histoire du film. [Beaucoup de productions musicales actuelles sont des remixs de] tubes cambodgiens des années 1960 et 1970… Et ils ont bien raison parce que c’étaient des purs génies qui faisaient la musique à l’époque. Et un jour j’ai halluciné, je vais dans une supérette et j’entends un remake hip hop d’une ancienne version de la BO d’un film qu’avait produit mon grand-père ! »
Davy Chou, la life
1969 Mort de Van Chann, grand père de Davy Chou et plus gros producteur de cinéma au Cambodge
1983 Naissance de Davy à Fontenay-aux-Roses (92)
2006 Le Premier Film de Davy Chou (court-métrage)
2009 Départ pour Pnom Penh et premiers cours de cambodgien
2011 Sommeil d’Or (Golden Slumbers, long métrage)
Histoire compliquée Sommeil d’Or n’est pas un documentaire historique ou à vocation pédagogique. C’est un parcours dans les mémoires des Cambodgiens d’aujourd’hui, pour sonder et montrer ce qu’il reste d’un âge d’or qui n’a pas pu atteindre son paroxysme. La question du rôle du régime de Pol Pot dans la disparition de ce pan de culture reste en suspens. Le Kampuchéa démocratique a-t-il délibérément fait détruire les copies de films ? Ou bien est-ce plus compliqué ? Davy Chou :
« La responsabilité des khmers rouges est totale dans la perte des films et dans la disparition du cinéma cambodgien. Mais de là à dire que ça ait été pensé, délibérément, c’est quelque chose que j’avais beaucoup entendu mais pour lequel je n’ai pas trouvé de témoignages de gens qui auraient dit que les khmers rouges ont détruit sciemment les copies de films comme symboles de l’influence occidentale ou de la dépravation de la société cambodgienne avant eux. Ca non.
« La première fois que je suis retourné au Cambodge, je suis allé à l’ancienne maison de mon grand-père qui était un des principaux producteurs de cinéma là-bas et est mort en 1969. Je suis allé au dernier étage, où il stockait toutes ses copies de films, qui n’y étaient plus. Les nouveaux propriétaires nous ont dit « Oui il y avait plein de films, mais on ne savait pas ce que c’était, on a tout jeté (…) Mon grand-père avait produit 40 films, 10% de la production, un truc énorme. Aujourd’hui on peut en trouver 3 en VHS ou VCD. Les 37 autres films ont juste été perdus, au moment très précis où ces gens ont jeté les copies, sachant qu’à cette époque il n’y avait qu’une ou deux copies par film. »
Du long-métrage de Davy Chou on espère qu’il y aura plusieurs copies. Il est programmé pour une sortie en salles en 2012… D’ici là, vous pourrez le retrouver au Festival international du film de Belfort fin novembre.
Edit : ce papier est déjà paru en novembre 2011, mais le film sortant ce mercredi, on a eu envie de le ressortir.
Trailer Regardez la bande annonce en français de Sommeil d’Or
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