Loin des clichés et du sensationnalisme, le réalisateur mexicain Rigoberto Perezcano dépeint dans son film Norteado le portrait d'un migrant confronté, non pas à des méchants passeurs mais à la solitude dans la ville-transit de Tijuana.
Ça commence comme un film de Fernando Eimbcke (Temporada de patos , Lake Tahoe ). Des plans larges, pas de musique, un héros seul dans un paysage désertique. Il faut aussi attendre le premier quart d’heure pour entendre la première réplique d’un script qui pourrait tenir sur une feuille de papier A4. On se dit que le film va être long. Sauf que, comme Eimbcke, Rigoberto Perezcano n’a pas besoin de faire parler ses personnages pour dire quelque chose: la justesse de sa réalisation et du jeu de ses acteurs lui permet d’exprimer l’indicible.
Des habitants de Tijuana, ni trafiquants ni prostituées mais humains et mélancoliques
Andrès atterrit à Tijuana, à cinq mille kilomètres de son état natal Oaxaca, après s’être fait attrapé par la Migra en train de franchir illégalement la frontière avec les États-Unis. Seul dans une ville qu’il ne connait pas, il attend comme au purgatoire le moment où il va pouvoir passer de ‘l’autre coté’.
Le Tijuana de Perezcano n’a rien à voir la cité du vice présentée dans les productions sensationnelles US (Traffic, The Shield): ici pas de trafiquants, ni d’armes ou de prostituées. C’est donc entre les mains d’une quadragénaire célibataire – Ela – et non d’un chef de cartel, que tombe Andrès. Devenu employé dans son épicerie, il comble l’ennui et la mélancolie en se rapprochant de ‘sa famille d’accueil’ et en ruminant des stratagèmes pour entrer aux États-Unis.
Mais le temps passe, et l’épicière – elle aussi rongée par l’ennui – s’attache au clandestin. C’est ensuite au tour de son autre employée, la boudeuse Cata, de tomber amoureuse du migrant. L’amour des deux femmes pour Andrès les unit mais ce n’est pas tout: toutes deux ont été abandonnées par leur mari respectif parti chercher l’aventure aux États-Unis. Andrès succombera-t-il lui aussi aux sirènes du rêve ricain ?
Norteado la fiche technique
Réalisé par Rigoberto Perezcano avec Harold Torres, Sonia Couoh, Alice Laguna
Durée: 1h34
Vu au: MK2 Beaubourg un dimanche soir à 22H
Affluence: Un dimanche à 22h ? Tu crois quoi ?
Prix: 8,5€ – les films undergrounds mexicains sont diffusés dans une salle tellement petite qu’il y a une réduction d’un euro
J’y vais: seul, après avoir mangé seul dans resto chinois pour voir un film sur la solitude
Glace ou Pop Corn: un vieux Fisherman’s friend qui traînait dans ma poche
Note: 5/5
Une comédie sentimentale appliquée à la géopolitique
Plus qu’une fiction, Norteado est un film quasi-anthropologique sur la situation de migrant. Le réalisateur Rigoberto Perezcano – venu du documentaire – aborde le thème non pas au travers du prisme géopolitique mais à l’échelle de l’humain: celle du drame sentimental que vivent les familles touchées de près ou de loin par le phénomène migratoire. Les premières victimes en sont les femmes, délaissées par des maris trop grisés par leur nouvelle vie de vrai-faux Yankee. Andrès est l’un d’eux. Marié deux enfants, il trouve un nouveau foyer, une femme aimante et un emploi à Tijuana. Mais Ela – de 20 ans son aîné – a bien compris qu’elle ne suffirait pas à retenir le jeune homme. A l’inverse des « norteadas » – adjectif qui qualifie les migrantes en situation de transit mais qui deviennent malgré elles des habitantes permanentes de Tijuana – Andrès part à la conquête de son rêve américain, brisant le coeur de ces femmes amputées de leur moitié.
La bande-annonce de Norteado
Source: Robin d’Angelo | StreetPress.