Fanny est thésarde et artiste. Mais même si c'est l'objet de ses recherches, ce n'est pas par passion des jardins qu'elle est retournée vivre à la campagne chez sa maman. C'est bien faute de thune.
Paris, rue Riquet dans le 19e. Une bâtisse aux murs de briques abrite un squat artistique conventionné. Une fois la porte passée, apparaît une grande salle éclairée par des néons. Ici et là quelques strapontins. En face une scène improvisée. Drôle d’endroit pour un colloque universitaire.
Pourtant autour de la table tous sont thésards. S’ils sont venus – parfois de loin – c’est pour parler de leur solitude, de doctorant et d’artiste. Fanny, 32 ans débarque de sa campagne. Précisément Egreville, un patelin de Seine-et-Marne qui jouxte la Bourgogne, situé à une heure de train de Paris. Un sourire timide en travers du visage, la jeune femme se fait discrète. Simplement attentive aux propos de ses compagnons de tablée.
Ici, tous étudient l’art plastique et le colloque est doublé d’une expo sur le même thème. Sur un mur des dessins hyper-réalistes de cœurs humains. Un peu plus loin, des comprimés multicolores collés sur une feuille de canson forment un motif ludique. Fanny a présenté une œuvre : une juxtaposition de plusieurs photos de la bibliothèque Beaubourg, où elle passe beaucoup de temps. Elle a immortalisé les perspectives des étagères de livres, la fenêtre du train qu’elle contemple si longtemps sur son chemin pour Paris, mais aussi les passants qui se promènent place Beaubourg. Ces inconnus qu’elle observe pendant sa courte pause déjeuner.
Quel est l’intitulé officiel de ta thèse ?
« Instabilité et flottement : possibilité d’un lieu d’immersion ».
Et tu pourrais nous faire une version « ma thèse pour les nuls » ?
Lorsque l’on entre dans un jardin, on s’attend à voir et sentir des choses et l’on en perçoit d’autres. C’est ce flottement, ces perceptions troublées, mais aussi ces attentes culturelles liées au jardin que j’étudie.
Et la version pour les très nuls ?
Quand on entre dans un jardin, on s’attend toujours à voir quelque chose, mais notre attente ne sera jamais satisfaite. Car en réalité, d’où vient la promenade ? De ce qu’on voit ou du fait de s’y promener ? Le cheminement même est plus important que ce qu’il pourrait y avoir à regarder. Quand on suit un labyrinthe du bout des doigt, c’est la même chose, il y a plus de sens dans le temps de parcours que dans la recherche de l’issue. Au fond c’est une critique de nos sociétés utopiques et de nos perceptions infondées.
D’où vient ta fascination pour les jardins ?
Je suis venue de la campagne à Paris à 15 ans pour étudier l’art appliqué au lycée. Et j’adore cette ville. Pour moi les jardins y sont des espaces de respiration où les gens changent, où leur rapport au temps est différent. J’aime m’y faire invisible et y regarder les gens, les arbres, les fleurs, les lignes. Ici, les jardins sont très graphiques.
Après une série de portraits de jeunes maliens, nous avions tenté de prouver à Beigbeder que l’amour pouvait durer plus de trois ans. Pour cette nouvelle série, StreetPress s’intéresse à d’autres incompris : les thésards. Qui sont ces doux allumés, à mi-chemin entre l’éternel étudiant et le salarié précaire, prêt à se donner corps et âme pour décrypter les liens entre poubelles et politique au Cameroun, ou comprendre le fonctionnement de l’hypothalamus ?
Pourquoi participes-tu à un colloque sur la solitude des thésards ?
La thématique m’a tout de suite parlée. Nous sommes nombreux dans ce cas à être seuls face à l’institution, face au système. On est seuls, c’est évident. Mais il y a de nombreux colloques, des conférences. J’ai des amis aussi (rires). Mais c’est dommage qu’il y ait très peu d’expos collaboratives comme celle-ci, donc je vais tout faire pour qu’il y en ait d’autres. La solitude c’est aussi lié à ton choix de faire une thèse, tu vois moins de monde, tu travailles plus. Ton cerveau est tout le temps en train de rouler pour ta thèse. Donc tu n’as pas vraiment d’espace pour le reste.
Mais tu aimes tes études ?
J’adore lire, j’adore apprendre. Même si je détestais l’école en étant petite, à cause du système de notes et de hiérarchie, aujourd’hui je suis vraiment contente d’avoir choisi la voie universitaire. Chaque livre que le lis m’ouvre des perspectives, enrichit ce que je sais déjà. Tout s’illumine de plus en plus, c’est vraiment beau. D’ailleurs, quand je ne travaille pas sur ma thèse, je lis. De préférence dans les jardins. Un matin brumeux, il m’est arrivé un truc merveilleux, je me baladais dans un jardin de Bercy, et là au détour d’une allée, j’ai trouvé trois livres, le rêve.
Comment tu gères côté thunes ?
Je suis obligée de travailler car il n’y a qu’une allocation par promotion qui est donc quasi impossible à obtenir. J’étais présélectionnée mais mon thème n’aurait pas spécialement séduit le jury. J’aurais peut être dû choisir la mort. J’hésitais ! Alors je suis retournée vivre avec ma mère à la campagne. Mais ce n’est pas plus mal. Pas de loyer à payer et j’ai un jardin à entretenir, des arbres fruitiers, un potager, des fleurs. C’est juste galère niveau transports. Je travaille comme illustratrice freelance, et ça commence à bien marcher. Je dessine dans des livres pour enfants, des gravures pour adultes… Ça me plaît car c’est artistique, ce n’est pas à l’opposé de ce que je fais et par hasard, je dessine des arbres dans mon dernier bouquin pour enfant, un conte fantastique. C’est juste parfois dur de concilier travail et thèse. D’ailleurs, ça fait 6 ans que je traîne ma thèse car parfois j’ai dû me consacrer complètement au boulot et laisser la thèse de côté.
Et la suite ?
Je pense que ça va bien se passer, car nous sommes beaucoup de jeunes à vouloir nous imposer, à nous associer pour agir, et à essayer d’imposer notre légitimité de jeunes, même si c’est dur. J’aimerais écrire sur mes champs de recherche, les jardins et les espaces de la ville en général. J’aimerais continuer de travailler comme illustratrice. Je suis d’ailleurs membre d’une association qui fait de la BD, des fanzines. Une maison d’édition qui a aimé mes derniers dessins vient de m’en commander des nouveaux.
Retrouvez ses illustrations sur son blog
« Labybliothèque », l’œuvre qu’elle présentait dans le cadre de “l’expo-colloque sur la solitude des thésards”:http://www.curry-vavart.com/cp5.html.
Fanny | Le CV universitaire
> Juin 1980 : Naissance> 1992 : Lecture en cinquième du Baron Perché D’Italo Calvino, l’histoire d’un petit garçon qui ne vit que sur les arbres
> 1995 : Arrivée à Paris dans un foyer pour étudier l’art appliqué
> 1998 : Bac
> 2000 : Diplômée illustratrice
> 2001 : Erasmus au Danemark où l’école est ouverte de 8h à minuit et tous les espaces ouverts sans autorisation nécessaire
> 2002 : Études d’art plastique à la Sorbonne
> 2007 : Début d’une longue thèse à finir pour septembre
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