Au Jardin du Carrousel du Louvre, au milieu des haies d'ifs, se déroule un curieux ballet. Des silhouettes d'hommes se faufilent, se croisent et s'approchent non loin des touristes. Comme Julien, venu pour un « flirt avec une racaille».
« Ici, c’est le jardin des proies », assure Eric, régisseur dans l’audiovisuel, piercing à l’arcade, cheveux en pétards et sac de sport en bandoulière. Il vient y trouver un coup d’un soir, une fois par semaine. Le terrain de chasse, bien délimité, est divisé en deux espaces composés d’un labyrinthe, de plusieurs accès souterrains aux issues d’un parking et d’une terrasse surplombant l’ensemble.
La proximité avec le musée le plus visité au monde donne naissance à une cohabitation insoupçonnée. Les touristes, promeneurs et riverains passent à côté des buissons sans avoir la moindre idée de ce qu’il s’y déroule. Mathieu, 22 ans, étudiant en sociologie, fréquente le lieu « à l’occasion » depuis quatre ans. Il nous détaille les différentes zones d’un endroit qui n’a plus de secret pour lui. L’aile droite, est « fréquentée par les jeunes. » Les hommes se retrouvent à l’intérieur de grands buissons de deux mètres pour des « préliminaires et plus si affinités. » L’aile gauche, la plus « hard », est fréquentée par « les gros dégueulasses et les vieux ». C’est le coin des parties à plusieurs dans les escaliers souterrains.
24h/24
À notre arrivée, vers 20 heures, une trentaine d’hommes sont déjà présents alors qu’il fait encore jour. D’après Mathieu, « certains sont là toute la journée. » Le nombre de participants varie surtout selon la saison. Les aléas du plein air. Mais « même en hiver il y a du monde » assure Eric. Quand on lui demande qui vient ici, la réponse fuse : « Tout le monde ! Même des célébrités. » Il nous raconte, amusé, que de temps en temps, des hommes d’affaire arrivent après leur journée de travail et « courent entre les haies pour trouver quelqu’un rapidement, tirent leur coup et rentrent ensuite chez eux reprendre leur petite vie familiale. »
Techniques d’approche
Après un court moment d’observation, un jeune homme, habillé tout en noir, casquette vissée sur la tête, fait signe à sa cible de le suivre. Les deux marchent maintenant côte à côte, sans se dire un mot. La rencontre d’un partenaire vient casser la monotonie des tours solitaires de labyrinthe. Ce soir, Julien est venu pour un « flirt avec une racaille. » Son fantasme. Pour l’assouvir, il commence sa ronde par la terrasse, « ça permet de voir où sont les autres et de repérer ceux qui me plaisent. » Ensuite, il circule entre les allées et tente d’attirer l’attention de celui qui l’intéresse.
« En général tout se passe dans les regards. Si le gars te fixe, ou bien s’il te suit, ça veut dire que tu l’intéresses », assure Mathieu. Eric, plus expérimenté, repère parfois quelques timides, « ils n’osent pas rentrer dans les buissons. C’est généralement les autres qui viennent les chercher. » Ce soir, assis tranquillement en jogging sur un banc de la terrasse, il attend qu’un partenaire se propose.
Une petite visite dans les souterrains ?
22 v’là les flics!
À quelques mètres de là, dans son cabanon, Manu, agent de sécurité du musée, est content d’entamer la conversation pour tuer le temps. Il explique que la direction prévient systématiquement les nouveaux gardiens que « les buissons du Jardin du Carrousel du Louvre ne se reposent jamais. »
Pour vérifier qu’aucune dégradation des murs et des statues n’a lieu (tags, vandalisme), il doit effectuer une ronde toutes les heures dans les allées des labyrinthes. « Ce n’est pas mes affaires ce qui se passe là-dedans, on n’est pas là pour s’occuper d’eux », affirme Manu en précisant qu’il n’oublie jamais sa veste fluorescente pour ne pas être confondu avec un participant.
Éric, qui a connu le lieu dans le film Nos vies heureuses de Jacques Maillot, vient depuis 8 ans. Il n’a jamais eu de problème, excepté une altercation avec un SDF furieux qui l’a pourchassé avec un couteau de boucher à la main en criant: « J’en ai marre de tous ces pédés qui s’enculent à côté de moi. » Aujourd’hui, l’histoire le fait rire mais sur le coup, Eric était allé prévenir les militaires présents à l’entrée du musée.
Il arrive que la police intervienne pour verbaliser les participants. Pour échapper aux arrestations, une solidarité insolite s’est développée avec les vendeurs à la sauvette de tours Eiffel. « On se prévient mutuellement quand les flics arrivent et ils viennent dans les allées pour planquer leur matos », assure Eric avec un grand sourire.
Love story
Le romantisme d’un coucher de soleil
La plupart des participants recherchent simplement une aventure « vite fait, bien fait. » Julien est sans ambiguïté: « Je n’emmènerai jamais quelqu’un que j’ai rencontré ici chez moi. » Eric non plus n’a jamais donné suite. Mais Matthieu nous surprend. Il a vécu une relation amoureuse d’un an et demi avec un partenaire qu’il a approché entre deux haies…
22 heures. La nuit est tombée. Une cinquantaine d’hommes errent désormais dans les allées. Malgré les nombreux sites de rencontres, boîtes et bars, le « Jardin des proies » a toujours la cote.
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