Chaque semaine sur StreetPress, un thésard tente d'expliquer l'objet de sa recherche. Jean-Sébastien, « boulimique d'information », étudie les « médiablogs ». L'occasion aussi de parler taux de change et soccer.
10 heures – Paris 11ème. Le rendez-vous est fixé à la sortie du métro Voltaire. « Si toi tu peux te déplacer, on se retrouve près de chez moi. Ça m’évite de prendre le métro. C’est toujours ça d’économisé », m’explique Jean-Sébastien avec son léger accent québécois. Le jeune homme m’attend devant la mairie d’arrondissement. Une banderole en faveur du vote des étrangers aux élections locales surplombe la bâtisse. Il me guide vers un café du quartier. Comptoir en zinc et tireuses à bière, le décor chaleureux et sans prétention est à l’image du joyeux Canadien.
Quel est l’intitulé officiel de ta thèse ?
Au départ j’étais parti sur « l’influence des mesures d’audiométrie Web sur la production des blogs journalistiques – comparaison entre la France et le Québec francophone » Mais c’est en train de changer. Disons que j’interroge « les modalités de production d’information des médiablogs. » Cette thèse se fait sous la direction de Rémy Rieffel.
Et tu pourrais nous faire une version « ma thèse pour les nuls » ?
C’est moins compliqué qu’il n’y parait. Je travaille sur les médiablogs, donc des blogs de journalistes hébergés sur le site internet de leur propre média. L’idée, c’est de comprendre pourquoi ils choisissent de traiter tel ou tel sujet. Comment ils définissent leur angle. Existe-t-il une ligne éditoriale propre à ces blogs ?
Comment s’organisent tes journées ?
En ce moment, l’essentiel de mon travail consiste à remplir un tableau Excel. J’ai choisi un mois de référence, en l’occurrence septembre 2012. Je compare le traitement de l’actualité par différents quotidiens nationaux et blogs au Québec puis en France. Concrètement, je travaille de 10 heures et demie à 1 heure du matin avec une pause à 14 heures et une autre à 19 heures. Le tout six jours et demi sur sept. Certains me disent que j’en fais un peu trop, mais j’ai un ami qui bosse 28 jours sur 29, et puis j’ai pris le rythme. C’est en quelque sorte une question d’entraînement.
Après une série de
portraits de jeunes maliens, nous avions tenté de prouver à Beigbeder que
l’amour pouvait durer plus de trois ans. Pour cette nouvelle série, StreetPress s’intéresse à d’autres incompris : les thésards. Qui sont ces doux allumés, à mi-chemin entre l’éternel étudiant et le salarié précaire, prêt à se donner corps et âme pour décrypter les liens entre poubelles et politique au Cameroun, ou comprendre le fonctionnement de l’hypothalamus ?
Après les poubelles africaines d’Emilie la semaine dernière, place aux blogs de Jean-Séb’.
Toute la journée devant un tableur Excel, tu ne te sens pas un peu seul par moments ?
C’est vrai que c’est un travail solitaire, ce qui en fait m’arrange : ça correspond à mon caractère. Et puis j’ai toujours Facebook et Twitter. J’ai toujours un ami connecté ou quelque chose qui attire mon attention. Sinon quand j’ai un coup de moins bien, je prends deux jours off. J’appelle des amis et on se fait une bonne soirée. Pour se vider la tête, on s’enfile quelques bières ou autres alcools. Ça remet tout de suite les idées en place.
Et cette solitude ne rend pas les échecs ou les blocages plus difficiles à gérer ?
Tu sais, les résultats négatifs sont aussi très intéressants. Ça dit « pas la peine d’aller chercher dans cette direction » ! Après, malheureusement, c’est beaucoup moins valorisé, tu as rarement des publications dans des grandes revues comme « Nature » pour dire « on a testé telles hypothèse mais elles s’avèrent fausses ».
De mon côté, quand je suis coincé, je me donne deux ou trois jours pour réfléchir. Mais si je reste bloqué, j’envoie un mail au prof. Certains autres doctorants disent que ça prouve que tu es faible et incapable de te prendre en main. Moi je pense qu’avoir un regard extérieur, ça aide à avancer et à faire un meilleur travail.
Côté thune ça se passe comment ?
Au Québec, les étudiants reçoivent, en fonction de leurs revenus, une aide du gouvernement. Une partie est donnée sous forme de bourse, l’autre sous forme de prêt garanti par l’Etat. En gros, je dispose de 850 € par mois. Le problème c’est que le taux de change entre le dollar canadien et l’euro m’est très défavorable et le coût de la vie est plus élevé à Paris. J’ai perdu 30% de pouvoir d’achat en traversant l’Atlantique. A Québec, j’étais logé en cité U pour 220 € par mois, ici je partage avec deux colocataires un 80m² pour 1700 € et je ne touche pas encore les APL.
Je dois aussi payer les transports. Je prends des tickets parce que j’ai calculé que ça me coûtait moins cher que de prendre un abonnement. Au Québec, je vivais sur le campus donc pas de frais de transports en commun. Ici, je marche pas mal. C’est gratuit et je trouve ça agréable. En un mois et demi, j’ai perdu 11 kg. Mais le principal problème c’est la bouffe. C’est hors de prix. J’aime bien la viande, mais le bœuf est deux fois plus cher à Paris. Là où je me rattrape, c’est sur le vin, la bière et le fromage.
Et la suite ?
Rester en France pourquoi pas, mais le problème, c’est qu’il est très difficile de trouver un poste de maître de conf’. Et si par chance tu en obtiens un, t’es payé 1700 € par mois, pour 8, 9 voire 10 ans d’études. C’est carrément de l’arnaque ! Au Québec, tu commences à environ 2600 € net avec un coût de la vie moins élevé.
Jean-Sébastien | Le CV universitaire
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7 juillet 1986 : Naissance à Gatineau
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2005 : Obtient son diplôme d’études collégiales (équivalent de notre bac) au Cégep de Gatineau, à côté d’Ottawa avec une moyenne de 29,5.
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2007/2008 : Participe à un échange avec l’
IUT de journalisme de Lannion, il obtient au passage le
DUT.
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2008 : Décroche un baccalauréat en communication publique, mention profil international.
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2011 : Obtient une maîtrise en communication publique « profil mémoire » (équivalent du Master recherche en France).
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2012 : Passe son certificat en rédaction du français.
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4 mars 2013 : après que le consulat de France ait perdu deux fois son dossier, il débarque à Paris pour mener ses recherches.
Jean-Sébastien est un grand supporter de « l’impact de Montréal ». Le club de foot joue en Major League Soccer, le championnat nord-américain. Dans sa chambre trône un maillot de son club fétiche. Mais impossible de le lui faire porter pour la photo: « Ça porte la poisse de l’enfiler en dehors des jours de match ».Visiblement il a dû déroger à sa règle vu ce qu’ils ont pris dans la nuit de mercredi à jeudi. En fan, malgré le décalage horaire, c’est planté devant son poste qu’il a assisté à la défaite de son club face aux New-York Red Bulls de Henry. Le Français a planté « le but de l’année », un retourné acrobatique, sur un centre de l’ex Lyonnais Juninho.
« J’ai ragé cette nuit en voyant le but ! Mais bon, magnifique faut admettre. »