Damas au moment des prémisses de la révolution. Drôle d'endroit et drôle d'époque pour un échange universitaire. Mais parfois le destin joue de drôles de tours. De cette année, Justine Bo, 23 ans, tire un (bon) premier roman, Fils de Sham.
Un sourire empreint d’appréhension barre le visage de Justine quand elle s’assied à une table du Salon du livre. Encore peu habituée aux interviews, cette brune discrète pèse ses mots avant de répondre. Son premier livre, « Fils de Sham », elle le signe sous pseudonyme : Justine Bo. Une contraction en fait de son nom de baptême. « Je suis anti-noms de familles, c’est quelque chose qu’on te lègue, qu’on ne choisit pas. » Pourtant, pas de conflit familial derrière tout ça, même si elle n’aime pas trop parler de sa famille, « plus pour les protéger ».
Erasmus En quatrième de couverture, sa bio tient en deux phrases : « Justine Bo est née à Cherbourg en 1989. Elle a fait plusieurs séjours dans les pays du Moyen-Orient. Fils de Sham est son premier roman. » Comme si son vécu ne pouvait pas intéresser quelqu’un. « Le modeste ne se sent jamais légitime », tente-t-elle pour se justifier, citant Michel Onfray.
Justine Bo | Ze story
> 1989 : Naissance
> 2007/08 : Prépa littérature
> 2008/09 : Sciences Po
> Été 2010 : Volontariat en Palestine
> Sept 2010 : Départ en Syrie
> 15 mars 11 : 1ère manif à Damas
> Aout 2011 : Retour en France
> Février 2012 : Court métrage “The Beyrouth Follies”
> 7 mars 2013 : Sorte de Fils de Sham
Pourtant c’est de son vécu qu’elle tire la moelle de son roman. De septembre 2010 à aout 2011, cette année passée à Damas dans le cadre d’un échange universitaire alors que le pays se soulève. Elle y découvre une jeunesse syrienne pour qui « la politique est un tabou ». C’est à l’occasion d’un vernissage qu’elle rencontre sa bande, un peu artiste – « une façon d’être libre, sans vraiment prendre de risques », juge-t-elle avec le recul. Une bande qui est surtout très fêtarde.
Damas by night Avec eux, elle découvre les bouges de Damas. Elle y croise « toujours les mêmes têtes ». « Ils se lâchent beaucoup à l’intérieur. En tout cas ils essayent de s’en convaincre. J’ai vu des lesbiennes qui se grimpaient dessus au milieu du bar ». La bande son de cette jeunesse : le rock 70’s des Pink Floyd et un peu de hard. « Et c’est là-bas que j’ai commencé à écouter du trip-hop. » Dans la petite bande l’herbe tourne pas mal. « Un pote fumait toute la journée. Il me disait qu’avec ça, il n’arrivait à penser à rien d’autre qu’à sa musique. » Mais cette liberté a ses limites. La réalité les rattrape. La révolution dissipe les volutes de fumée et les vapeurs d’alcool. A moins qu’elle ne les y plonge encore un peu plus. Justine glisse dans la bouche de son héroïne :
« Encore une journée à ne rien foutre sous prétexte qu’il fallait attendre. Et comme il fallait attendre, il faudrait fumer. Je me dis qu’à cette époque, il y avait deux professions d’avenir en Syrie : flic ou trafiquant si l’on était pour le statu quo, révolutionnaire ou fumeur si l’on s’en détachait. »
A qui l’offrir: A Frigide Barjot pour qu’elle comprenne ce que ça veut dire que de promettre « du sang ».
Où le lire: Dans un bar à chicha.
On a aimé: Le regard sans concession mais aussi sans cliché porté sur la jeunesse syrienne.
On a mois aimé: Parfois un peu trop ampoulé. Trop d’adjectifs tuent les adjectifs.
La citation: « Terrée dans l’eau de la baignoire de céramique, je me suis dit que je n’arriverais pas à le jeter. C’était pourtant ce qui était prévu. Bazarder son scaphandre de zinc en chair cuite, et nos souvenirs avec. »
La jeunesse est dans la rue 15 mars 2011. Première manifestation à Damas. Cette jeunesse, qui ne voulait parler de politique, se réveille. Même si au quotidien « la vie était très possible » dans la capitale syrienne, le danger est là, bien présent, de plus en plus palpable. On discute à voix basse des événements. « De “ça n’arrivera jamais”, on est passé à “et si ça arrivait ?” » se souvient Justine. Mais comment faire lorsque nous sommes « des résistants qui ne savent pas résister » ? Justine prend en pleine face la réalité de cette société écrasée par un pouvoir inique. « J’ai assisté au procès de la mère d’une amie. »
La justice syrienne (mais peut-on vraiment parler de justice ?), elle la raconte minutieusement dans son livre. Les tribunaux peu habitués à tant de travail, allaient devoir « trouver le rythme ». Elle décrit dans son roman ces juges qui mettent tous leurs efforts pour retarder les procès :
« On préférait prétendre qu’ils seraient jugés pour les laisser en taule le plus longtemps possible. Ça leur passera l’envie de revenir, deux semaines de torture valent mieux qu’une. »
Retour au monde réel Au plus près des événements, Justine garde la juste distance. « Ce n’était pas ma guerre ! », citant (involontairement) Rambo. « Y aller aurait plus desservi leur cause qu’autre chose et la guerre par procuration, ça m’excède.» Si la révolution est au cœur de son roman « ce n’est pas la question centrale. » « C’est en quelque sorte un outil narratif, un contexte qui m’intéresse. La perte de repère ultime. Où est le social quand il n’y a plus rien ? » « Fils de Sham » est en fait un roman sur l’identité à la période de vie où on la questionne le plus, celle de l’entrée dans l’âge adulte.
Après un an en Syrie, Justine reprend ses valises. Retour à Paris, Sciences-Po. « A peine arrivée en France, je sors du métro à Saint Michel, et je tombe face à un magasin qui n’existait pas avant mon départ : Il s’appelle “la démocratie”. En Syrie ils font la révolution pour la démocratie, en France ils en font des boutiques de fringues. Ça m’a un peu rendu triste.»
[Vidéo] – Le court-métrage de Justine
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