Bloggeuse a succès et parfois web-journaliste Titiou Lecoq a tout de la twittos idéale. Pourtant le micro-blogging c'est pas son kif: «En 140 signes il faut trouver vraiment la bonne formulation». Son premier roman Les Morues fait donc 449 pages.
La psychologie des personnages prend beaucoup de place dans ton livre. Ema par exemple, comment l’as-tu construite ?
C’était un peu casse-gueule avec Ema, parce qu’elle aurait pu facilement tomber dans le stéréotype de la « nana-grande-gueule-qui-n’a-peur-de-rien ». Il était donc très important de montrer ses failles, ses moments de doute. Au début du roman, elle est pleine de certitudes, et puis au fur et à mesure, elle en vient à se poser de plus en plus de questions. Il se trouve qu’Ema a été victime d’un viol, je voulais que mon personnage ait ça dans son passif, pour voir comment il s’en sort avec, mais il ne fallait pas qu’on puisse analyser toute sa psychologie uniquement à travers ce prisme-là. En règle générale, dans la fiction, le viol est un élément narratif à part entière. Je voulais absolument prendre le contre-pied de cette habitude.
Tu es assez tendre avec les hommes du roman. Blester, le petit-ami d’Ema, il représente l’homme idéal ?
Blester, il a le défaut de 90% des hommes de ma génération : il est hypocondriaque ! Et puis parfois il se plante, il est égoïste… Sinon, il y a pleins de trucs qu’il fait où effectivement, il est très bien. Je voulais justement ne pas être dans une démarche trop critique envers les hommes. Je pense que tout le bouquin est presque plus sympa avec les garçons qu’avec les filles.
Interview “morue” avec Titiou Lecoq
Le livre s’appelle Les Morues du nom de la bande de copines d’Ema. Qu’est-ce qui les rassemble toutes les trois ?
Ema, Gabrielle et Alice se sont rencontrées un peu par hasard dans un bar, avant de devenir amies. Régulièrement, elles vont se retrouver pour discuter de leurs problèmes d’héritières du féminisme, notamment dans leur rapport aux hommes. Elles décident d’écrire une charte, mais c’est là où ça ne tient plus debout : elles en viennent à écrire des principes hyper précis de ce qu’il faut faire ou ne pas faire, des phrases interdites… Sauf que dans leur vie quotidienne – et ça sera le grand drame d’Ema, leur charte ne tient plus la route. Dans le livre, on voit comment avec leurs grands idéaux, elles gèrent leurs vies… et elles se foirent. Elles se foirent perpétuellement, mais finalement ce n’est pas très grave.
D’où t’es venue l’idée de mettre en place cette charte ?
C’est parti d’un truc qui m’agace : les éternelles discussions entre copines à propos des mecs : « Ah nan mais là il t’as dit ça ? C’est vraiment un salaud ! ». Elles passent au crible les réactions des hommes, et essayent d’y trouver une explication psychologique. Mais elles ne se rendent pas compte qu’elles ont aussi une part de responsabilité là-dedans, qu’elles le génèrent aussi. Les Morues c’est donc ça : trois copines qui ont ce genre de discussions, jusqu’au moment où il y en a une qui dit : « Non mais les filles, c’est pas tous des connards, c’est peut être aussi parfois chez nous que ça foire ! »
Comment les Morues se positionnent-elles par rapport à leur héritage du féminisme ?
Elles recherchent un point d’équilibre entre le statut des femmes d’avant, et les revendications féministes d’alors. Bien sûr elles ne l’ont pas encore trouvé ce point d’équilibre, parce que tous ces acquis sont encore très récent et ont changé en profondeur les rapports hommes-femmes.
Avec un gros roman, il y a au moins une velléité de construire tout un univers.
Au-delà de ton livre, où en est notre société à propos de cet équilibre sur le féminisme ?
C’est difficile de s’en rendre compte à l’échelle de la société, mais je pense qu’il y a des choses qui sont déjà là. On n’est plus dans une démarche revancharde par rapport aux hommes. On est plutôt dans un état de vigilance, mais vraiment dans un but d’égalité. En revanche, cet équilibre a aussi des conséquences plus difficiles à gérer : une des idées que je voulais développer c’est que le discours « on a notre liberté sexuelle, on peut accoster les mecs et aller les draguer dans un bar », ça implique forcément que quand ton mec se fait draguer, tu ne peux pas dire de la nana que c’est une salope.
Le roman est très ancré dans le présent, on y parle notamment de Facebook, ou de la Réduction Générale des Politiques Publiques. Tes influences sont-elles tout aussi contemporaines ?
Non, par exemple parmi les références importantes, il y a notamment La vie est un songe, de Calderõn de la Barca. C’est un livre du XVIIème siècle qui traite le thème de l’illusion : qu’est-ce que la réalité ? Quand est-on vraiment en contact avec elle ? Ça rejoint mes études [en sémiotique], puisque j’y ai compris combien on ne perçoit le monde qu’à travers les langages. A l’inverse, la réalité, le monde brut, nous est inaccessible et donc en définitive n’existe pas. Ce qui existe, c’est le mondain, c’est-à-dire ce que l’on perçoit avec le langage. Il y a autant de mondains que d’individus. Ema et Charlotte ont deux mondains très différents. Impossible de dire laquelle des deux a raison, c’est juste deux visions du monde qui s’affrontent. Ça justifie aussi la forme que prend « l’enquête policière » dans le bouquin. J’ai voulu la mettre en scène autour de la mort de Charlotte sans que l’on sache vraiment si c’est un suicide ou un assassinat. On a les mêmes éléments à disposition, mais on peut les interpréter de deux manières différentes.
“Les Morues, de Titiou Lecoq, Au diable Vauvert, 449p. 22€”:http://www.amazon.fr/dp/2846263477/?tag=googhydr0a8-21&hvadid=8355409979&ref=pd_sl_72242m57s7_b
A la manière du personnage de Gabrielle d’Estrée, dont on ne sait pas vraiment si elle est une pute ou une baronne. Comment s’est-elle retrouvée dans ton livre ?
J’étais en train de bosser, et il me fallait d’autres personnages. Comme je suis freelance, je travaillais de chez moi en écoutant France Inter. Il y avait l’émission 2000 ans d’histoire, de Patrick Jélinet, consacré à Gabrielle d’Estrée, la vraie, qui était la maîtresse d’Henry IV et qui a failli devenir Reine de France. J’ai trouvé l’histoire géniale, et j’ai voulu intégrer dans mon roman ce personnage de Gabrielle d’Estrée, sans que l’on sache trop si c’est une réincarnation ou bien une descendante. Peut-être est-elle vraiment une aristocrate, peut-être est-elle juste une prostituée qui a pris ce nom-là, je ne tranche pas du tout. J’aime beaucoup ce procédé dans les films, lorsqu’il y a quelque chose d’étrange, à la limite du surnaturel, que le réalisateur arrive à t’amener suffisamment bien pour que tu n’aies pas besoin de réponse. En tout cas c’est un personnage que j’aime beaucoup, et dont j’étais assez fière.
Le livre fait 450 pages, ça paraît très ambitieux pour un premier roman, non ?
Oui, mais voilà, en tant que lectrice, je n’aime pas les petits romans. Ça me déçoit. Et puis, avec un gros roman, il y a au moins une velléité de construire tout un univers. De toute façon, je suis incapable de faire court, c’est d’ailleurs pour ça que je twitte peu. J’écris long, j’écris beaucoup trop long…
Le personnage de Blester a le défaut de 90% des hommes de ma génération : il est hypocondriaque !
J’avais une copine à la fac qui s’appelle Poulet, et c’était mon grand regret de ne pas m’appeler comme elle.
C’est dommage, jusque là tu avais tout de la twitteuse idéale
Ah bah oui, mais pour dire quoi ?
Que tes chiottes sont cassées…
Je peux dire ça, mais est-ce que ça intéresse vraiment ?
Ça fait pourtant partie de ce que tu racontes sur ton blog:http://www.girlsandgeeks.com
Oui, en développant, en faisant des blagues ! En 140 signes, il faut trouver vraiment la bonne formulation, c’est compliqué. Après, ce qui m’intéresse sur Twitter, ce n’est pas de suivre la vie des gens, c’est plutôt de m’en servir comme un fil d’infos à travers tous ceux qui postent des liens, des actus…
A part Twitter que tu dis bouder (et encore…), tu mets ton écriture au service de ton blog, du site d’info Slate.fr, de magazines, et maintenant d’un roman. Comment abordes-tu chacun de ses supports ?
Sur un article, mon blog, ou le roman, il y a un point commun dans la manière d’écrire, c’est que je suis très besogneuse. Mes articles sur Slate sont réécris entièrement trois ou quatre fois avant d’être publiés. Les post de blog, je les écris trois jours à l’avance, je réécris, je corrige – alors même qu’un blog, c’est bien là où on est censé être super spontané ! Le roman, c’est pareil, j’ai mis trois ans et demi à l’écrire, je l’ai réécris plusieurs fois de fond en comble : j’ai notamment changé tout le système énonciatif et toute l’intrigue politique. Donc après, c’est juste une échelle de temps : un roman, c’est très long, un article ça va beaucoup plus vite, mais proportionnellement, c’est pareil.
J’ai mis trois ans et demi à écrire ce livre, je l’ai réécris plusieurs fois de fond en comble
Et qu’en est-il de ton investissement personnel ?
Je m’investis de la même manière dans un article, que dans un roman ou dans un post de blog. Je pense que le degré d’intimité est le même, simplement, il prend des formes très différentes. Dans le roman, je vais traiter des thèmes qui sont importants pour moi, qui sont personnels, mais c’est recouvert par toute une structure romanesque. A l’inverse, avec le blog, j’ai parfois des post hyper personnels, mais où je vais volontairement mentir, justement parce que c’est trop direct.
Tu as des idées pour un prochain roman ?
J’ai un cahier où j’écris toutes mes idées, les thèmes que je veux traiter…. Je n’ai pas forcément les personnages, mais j’ai des répliques. Je vais partir de ces phrases-là pour créer mes personnages. Mais je sais d’expérience que ça va changer. Je suis parti en me disant que j’allais l’écrire vite, en un an et demi, mais je vais sans doute en mettre quatre. Le problème, c’est que j’aimerais que ça se passe pendant les prochaines élections présidentielles, donc il faudrait quand même que je me dépêche. Je sais aussi que j’aimerais que ça parle d’internet, mais de manière cette fois plus fouillée.
Une question qui me brûle les lèvres pour finir : Titiou Lecoq, c’est ton vrai nom ?
Titiou c’est un pseudo, Lecoq, c’est mon vrai nom. D’ailleurs, j’avais une copine à la fac qui s’appelait Poulet, et c’était mon grand regret de ne pas m’appeler comme elle. Poulet, au moins c’est drôle, Lecoq, c’est juste nul.
bqhidden. Je m’investis de la même manière dans un article, que dans un roman ou dans un post de blog. Je pense que le degré d’intimité est le même
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