A 25 ans, Frank a vécu avec 8.000 euros par mois en arnaquant des propriétaires de résidences de vacances en « timeshare ». Où comment un ticket de tombola gratté sur une plage peut amener à se faire escroquer des centaines d'euros.
« Faudrait plutôt un café où il n’y ait pas trop de monde, où on pourrait être tranquille ». Même 10 ans après avoir arrêté les magouilles, Frank n’est pas super rassuré quand StreetPress lui propose de se rencontrer dans une brasserie de la Porte d’Orléans. « D’ailleurs ça serait bien que tu changes mon nom* et que tu ne dises pas où je travaillais ».
A la fin des années 1990, surfant sur la mode de la copropriété en « timeshare », Frank a monté une arnaque immobilière presque aussi simple que celle de Bernard Madoff. « Je tournais à 8.000 euros par mois, mon métier c’était d’encaisser des chèques ». Mais comme toutes les bonnes choses ont une fin le loustic a aussi passé 27 mois derrière les barreaux. Pas question pour autant de faire son mea-culpa: « Je ne regrette pas de m’être amusé. La construction de l’arnaque … elle a inspiré plein de monde après moi ! ». Fier de cela en plus: A vous, maestro!
Bravo: Vous avez gagné le droit de vous faire arnaquer ! Ténérife 1998. Des hordes de touristes allemands, anglais, français se font rôtir sur les plages de la plus touristique des îles Canaries quand un jeune homme les aborde avec des tickets de tombola pour la promotion d’une résidence de vacances. Madame gratte et ô miracle: Elle gagne une semaine de vacances gratuites à Ibiza !
« Bien sur on connaissait les tickets gagnants. Le deal c’était que pour pouvoir utiliser cette semaine de vacances, ils devaient se rendre à la résidence et la visiter pendant une heure ».
Objectif de la manœuvre pour les agents immobiliers plagistes: fourguer à des touristes des appartements en copropriété via un système de « timeshare ». Et vendre des biens immobiliers à prix bien supérieur à ce qu’ils valent vraiment.
Un apart pour 8.000 euros « Le timeshare » – temps partagé en VF – c’est le rêve à portée de tous de devenir propriétaire d’une résidence de vacances. Mais seulement une semaine par an.
« Pour un appartement il y a 52 semaines, moins 2 semaines pour l’entretien, qui vont être vendues. Tu vas être proprio d’une semaine, par exemple la troisième du mois de février, et tous les ans ça te donne le droit de revenir au même endroit à la même semaine. »
Au lieu de dépenser 180.000 euros pour un grand studio à Juan-les-Pins en moyenne sur Orpi, pour 8.000 euros tu peux être propriétaire de deux semaines en août grâce à MultiYoupiVacances. Tout bénéf non ? Surtout que tu ne vas jamais passer plus de 2 semaines par an à Juan-les-Pins. A moins d’être retraité ou d’aimer très fort le Bingo.
Où est l’embrouille ? Mais le promoteur espagnol pour lequel travaille Frank est peu scrupuleux. Comme beaucoup d’autres agences de « timeshare » qui ont donné du grain à moudre à Capital ou Envoyé Spécial tout au long des 1990’s, les clients se retrouvent Gros-Jean comme devant.
« A l’époque ta semaine de vacances coûtait en moyenne 10.000 euros. Quand t’as vendu 50 semaines à 10.000 euros ça te fait 500.000 euros. Mais ce sont des apparts qui là où ils sont construits valent en réalité 100.000 euros à peine. » Miam-miam: en voilà une belle plus-value.
Autre disquette: Les vendeurs de « timeshare » promettent à leurs clients, via des réseaux de bourse d’échange, le droit de troquer leur semaine de vacances contre celle d’un autre propriétaire « partout dans le monde »: Rien que ça. « Mais quand tu achètes à Ibiza où il y a 5.000 résidences, c’est quasiment impossible de l’échanger contre une semaine de ski à Tignes où il y en à 12. » Et d’ailleurs qui voudrait partir à Ibiza en plein mois de février ?
On passe sur les charges de bases – « qui reviennent au prix d’une location » – aux cotisations pour la bourse d’échange, aux fais de notariat… Vous l’aurez compris, les déçus de la copropriété en « timeshare » sont aussi nombreux que les hypothéqués des subprimes. Frank remue le couteau dans la plaie en les arnaquant une seconde fois.
Je tournais à 8.000 euros par mois, mon métier c’était d’encaisser des chèques
Pour 8.000 euros tu peux être propriétaire de deux semaines en août grâce à MultiYoupiVacances
Ouch ! Démissionnaire de l’agence immobilière véreuse qui l’employait parce qu’il se sentait menacé – « j’avais compris que le but de tout ça c’était blanchir de l’argent » – Frank monte une société qui « propose aux gens avec des semaines sur les bras de la leur racheter ».
« C’était plus ou moins une arnaque. Les gens quand ils ont mis les pieds dans une arnaque, après ils recommencent ».
Le procédé est simple comme bonjour: Frank propose aux propriétaires frustrés de racheter leur semaine de vacances à 70% de sa valeur dans un joli courrier où il dénonce les arnaques au timeshare. Mais pour cela ils doivent payer une partie de l’expertise de leur bien… à une autre entreprise que Frank « dirige en sous-main ».
« Les gens payaient tout ça ravis, ils voulaient se débarrasser. Mais je leur envoyais une vraie expertise de la valeur de leur semaine. Fatalement les gens, ils avaient payé un truc 10.000 euros qui en valait 400 … Ils me disaient: ‘Jamais de la vie je vendrais à ce prix là !’. Ça tombait bien car moi je ne voulais surtout pas acheter ! J’avais gagné le prix de l’expertise. » Soit une centaine d’euros.
Good times Pendant plusieurs mois, Frank reçoit tous les jours plusieurs chèques et touche jusqu’à 8.000 euros par mois. La tout net d’impôt car sa société était panaméenne et domicilié en Suisse. Le trentenaire est goguenard:
« Quand les gens me demandaient ce que je faisais dans la vie je leur disais: ‘Ben moi je ramasse les chèques’. Et c’était vrai ! Vraiment le plus long de mon boulot consistait à remplir les remises de chèques. Alors je m’installais sur une terrasse de café et j’y passais trois heures ! C’était amusant. »
Et la culpabilité bordel ?!
« Tu l’évacues la culpabilité. Les gens t’envoient toujours un petit courrier où ils t’expliquent comment ils se sont fait arnaquer et tu te dis: ‘Ouais eux ils sont vraiment dans la merde’. Il m’est arrivé de ne pas encaisser deux ou trois chèques. Mais après tu ne lis plus. Parce que ta culpabilité tu la prends dans la gueule. Tu évites de la voir. »
Pour ne jamais manquer de clients, Frank écume les petites annonces de La Centrale du particulier , où il y a des centaines d’annonces de vente par semaine. Il va même jusqu’à racheter quelques bases de données de sociétés de timeshare. La vie est belle:
« Je pouvais faire des centaines d’expertises en un après-midi car j’avais créé un petit logiciel. Il y avait des millions de semaines de vacances qui avaient été vendues. Et des millions de gens intéressés pour payer cette expertise ! »
Frank monte une société qui «propose aux gens avec des semaines sur les bras de la leur racheter»
Frank va même jusqu’à racheter quelques bases de données de sociétés de timeshare
Patatras Mais Frank a les yeux plus gros que le ventre. Lassé, et «pressé de rejoindre sa copine en Asie», il décide de simplifier son escroquerie en se passant de l’expertise qui faisait abandonner à ses pigeons la procédure de vente :
« Je me suis dit ‘allez hop !’ J’ai envoyé un courrier à tous mes contacts en leur disant qu’on avait un client qui était prêt à leur faire une proposition directe. Tout de suite. Mais que s’ils étaient d’accord, il fallait payer les frais notariés et une commission de 5% que je me mettais dans la poche ».
Le succès est total: même les proprios les plus suspicieux lui envoient un chèque après avoir été baratinés au téléphone.
« J’essayais de les convaincre en leur disant ‘non mais attendez, on est en Belgique, on n’est pas en Espagne’. Je prenais l’accent belge, j’étais au World Trade Center de Bruxelles, ça en jetait un peu ! Et tous sont tombés »
Cette fois l’arnaque est grossière et les plaintes s’accumulent. Frank est arrêté et passe devant madame la juge. Verdict : 27 mois de prison. La dame au ticket de tombola est contente. Et 10 ans après Frank a trouvé un travail légal: Agent immobilier.
*Frank ne s’appelle donc pas Frank.
Est-ce qu’on rêve d’Ibiza pendant ses 27 mois derrière les barreaux ?
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