Stats ethniques, réparations de la traite négrière, lobbying… Louis-Georges Tin, qui situe son combat dans la « tradition » des Nègres Marrons, explique ses prises de position dans la matinale politique.
« Communautariste », le Conseil Représentatif des Associations Noires de France (Cran) ? Son boss Louis-Georges Tin, 39 ans, part au ¼ de tour :
« Le communautarisme est une chimère médiatique organisée dans les années 1990 pour pouvoir avec un seul mot rejeter toutes les demandes d’égalité. »
Après avoir expliqué qu’il faut annoter Tintin au Congo, Louis-Georges Tin précise pourquoi son association n’est pas comparable avec un mouvement qui réunirait les blancs de France. Mais celui qui est maitre de conférences en littérature à l’Université d’Orléans doit aussi asseoir sa street-credibility : Car le Cran ressemble un peu à une coquille vide avec ses 600 amis sur Facebook et sur son site, le 06 perso de Luigi pour contacter l’association.
Pour le titiller, en 2e partie d’émission, nos débatteurs : Fatou Meïte, militante à la Brigade Anti-Négrophobie et Baki Youssoufou fondateur du site militant WeSignIt.com .
1 Retrouvez le podcast de l’émission :
Louis-Georges Tin / Bio Express
> 1974 : Naissance en Martinique
> 2003 : Dirige l’ouvrage Dictionnaire de l’homophobie
> 2006 : Création du Cran, dont il devient le porte-parole
> 2011 : Président du Cran
> 21 mars 2013 : Obtient le retrait du « collier style esclave » des rayons de la chaîne de vêtements Mango
2 Les extraits de l’interview :
Est-ce qu’il y a une communauté noire en France ? Unie par-delà les différentes origines – Calédoniens, Africains, Antillais ?
Il y a une communauté noire en France, voir des communautés noires en France. Elles sont diverses mais elles ont un point commun : subir la discrimination liée aux origines. D’autres parts, il y a l’histoire coloniale que ces communautés ont en commun, et qu’on partage avec d’autres groupes colonisés qui vont de l’Indochine au Maghreb.
Vous déclarez avoir une « fierté africaine ». Est-ce que vous pouvez nous expliquer ce que c’est que cette « fierté africaine », alors que vous n’êtes pas Africain mais Antillais ?
Une « fierté africaine » au sens où ce qui fonde la diaspora noire dans le monde, c’est l’histoire de l’esclavage. Et cette diaspora vient d’Afrique. Il y a une fierté dans ce climat où on a voulu nous enseigner la honte. Nous exprimons notre fierté, comme on parle de fierté LGBT ou de toutes sortes.
Beaucoup de députés, à gauche même, rejettent la légitimité du Cran…
Oui, comme le racisme ne se limite pas à l’extrême-droite, on trouve ces propos aussi à gauche… Les associations noires existent depuis la colonisation. Lors de l’esclavage déjà, il y avait des gens qui résistaient, faisaient des complots contre les maîtres blancs. On leur interdisait de se rassembler alors ils le faisaient le soir, dans la forêt. C’était les Nègres Marrons : ils protestaient, ils organisaient la révolte et la résistance. Nous sommes de cette tradition-là. Et tous ceux qui ne voient pas pourquoi les noirs se mobilisent, je suppose qu’ils ne voient pas pourquoi les juifs se mobilisent contre l’antisémitisme, les femmes contre le sexisme, les arabes contre le racisme, etc. Bref, ils voudraient que les gens restent sans rien faire pour se défendre. Mais nous ne sommes pas hommes et femmes à rester sans rien faire.
C’est raciste de refuser au Cran sa légitimité, sous prétexte que l’association se définisse sur une base ethnique ?
Oui, c’est une forme euphémisée de racisme de contester aux gens le droit de se défendre. Et ce n’est pas nouveau. Pas seulement pour les noirs. Les syndicats ont dû se battre pendant des siècles pour avoir le droit d’exister. Les femmes aussi ! Tous ces mouvements sociaux ont eu à se justifier. Il est évident que les gens qui étaient en face étaient racistes, sexistes, homophobes.
Les communautés noires sont diverses, mais elles ont un point commun : subir la discrimination liée aux origines.
Vidéo – A l’Assemblée Nationale : Faut-il un représentant pour chaque communiqué de France ?
Ils voudraient que les gens restent sans rien faire pour se défendre.
Un argument qu’on entend souvent c’est que s’il y avait une association des blancs de France, ça choquerait tout le monde…
Mais ça existe ! Ça s’appelle le Front National !
Vous vous comparez donc au Front National ?
Nous sommes la résistance au Front National ! Nous disons que la résistance à un système de domination doit se faire sur la base même de cette discrimination.
C’est légitime une association des blancs de France ?
Non, parce que d’un côté vous avez des gens dominés et de l’autres des dominants. On ne peut pas renvoyer dos-à-dos dominants et dominés.
Le communautarisme entre-il en contradiction avec la République ?
Le communautarisme est une chimère médiatique organisée dans les années 1990 pour pouvoir avec un seul mot rejeter toutes les demandes d’égalité, qu’elles viennent des noirs, des homosexuels, des musulmans, des juifs mais aussi des Bretons, des Auvergnats, des femmes, des gens du Sud… Il y aurait une élite parisienne bourgeoise blanche hétérosexuelle qui serait universaliste. Donc universelle. Et le reste du monde qui serait particulariste. Voyez un peu le sophisme. Ce sont des gens qui tiennent le pouvoir et veulent délégitimer tous les autres.
Est-ce qu’il faut retirer les traces du passé esclavagiste de la France comme la fresque « Au nègre joyeux », place de la Contrescarpe à Paris?
Cette fresque-là, je ne demande pas qu’on la retire. Mais il me semble qu’au minimum, on pourrait mettre une plaque explicative qui dise de quoi il s’agit. Nous avons fait une campagne semblable sur Tintin au Congo. Une horreur absolument raciste. Faut-il censurer Tintin ? Non. Il faut une préface qui explique ce qu’il s’est passé, ce que fut la colonisation et les caricatures racistes. C’est ce qui a été fait dans la version anglaise ! Mais en langue française, Tintin véhicule tout ça allégrement et on fait de l’argent sur le racisme.
Le Cran est actif pour tout ce qui concerne le devoir de mémoire, c’est même l’essentiel de vos actions, comme votre combat pour les réparations de la traite négrière. Mais on a l’impression que contre les discriminations, vous ne servez pas à grand-chose.
Mesurer la discrimination individuelle et directe, c’est très difficile à faire. C’est pour ça que dès 2005, on a posé le débat de manière globale avec la question des statistiques de la diversité. On met en œuvre ces statistiques pour démontrer des phénomènes collectifs. Dans une entreprise, sur la question des femmes, c’est très difficile de dire que telle femme a un salaire inférieur, parce qu’elle est femme. Mais si dans l’ensemble, les femmes ont des salaires inférieur à ceux de leur collègues masculins, là on peut se dire c’est une discrimination sexiste. Voilà à quoi servent ces statistiques.
Aujourd’hui à notre demande, le CSA fait chaque année depuis 2009 un baromètre de la diversité qui dit aux chaînes : « Ecoutez, là, ce n’est pas possible, vos écrans sont monocolores. » Depuis, les chaînes ont fait véritablement des efforts. On voit les résultats ! En 2005 Harry Roselmack était l’exception, aujourd’hui ça s’est banalisé. Mais la question se pose partout : le logement, l’accès à la santé, la culture, le monde politique…
Pourquoi vouloir différencier les discriminations selon l’origine ? Ce sont des maux qui frappent aussi les asiatiques et les arabes.
Bien sûr que ce sont des choses communes. Dans notre baromètre diversité, il y a toutes ces catégories : noirs, asiatiques, arabes. Mais des fois, nous travaillons selon des cas spécifiques, ou des cas transversaux.
Il est hors la loi le CSA quand il fait des statistiques ethniques ?
Mais pas du tout ! Les gens disent beaucoup de sottises.Les statistiques ethniques ne sont pas illégales. C’est pour ça que je ne suis pas en prison, que le CSA n’est pas en prison, que le CNRS n’est pas en prison. Nous avons obtenus que le CNRS, à la suite de nos travaux, fasse une enquête sur la surreprésentation des jeunes noirs et arabes dans les contrôles au faciès (ndlr, l’enquête à laquelle fait allusion Louis-Georges Tin n’a pas été conduite par le CNRS mais par l’ONG Open Society, sous la direction de deux chercheurs appartenant aussi au CNRS). Le CNRS a démontré cela avec des statistiques ethniques. M. Besson a reconnu l’existence de ce mal. Et c’est ce qui a amené M. Hollande à promettre le récépissé de contrôle d’identité. Bon il a trahi sa parole plus tard mais c’est grâce aux statistiques ethniques qu’on a pu montrer que les jeunes ne disaient pas des conneries.
En 2005 Harry Roselmack était l’exception, aujourd’hui ça s’est banalisé
Est-ce qu’il n’y a pas un risque que des gens fassent un mauvais usage de ces statistiques ethniques ? Marine Le Pen peut aussi s’en servir pour diviser les Français.
Marine Le Pen dit tous les jours qu’il y a trop de noirs, trop d’étrangers, trop d’arabes. A-t-elle besoin de statistiques ethniques pour dire ça ? Pas du tout. En revanche si vous voulez démontrer que certains policiers – peut-être FN – font un profilage ethnique, vous avez besoin de statistiques. Ceux qui discriminent n’ont pas besoin de chiffres, ceux qui veulent démontrer les discriminations en ont besoin.
Comment travaillez-vous avec les hommes politiques? Est-ce que vous exercez un lobbying ?
Le mot lobbying en France est très mal connoté : ça fait penser au lobby des cigarettes ou des armes à feu. Maintenant si vous me demandez si nous allons voir des hommes politiques, la réponse est « oui ».
Il y a les diners du Cran, calqués sur les diners du Crif. Comment ça se passe ces petits repas ?
Nous n’en avons pas fait depuis 1 an. Ce sont des opérations qui prennent du temps, qui sont chronophages. Mais la convivialité c’est important. Ca permettait d’avoir aussi un peu d’argent mais pas tellement en fait. Donc j’ai laissé tomber, on verra plus tard.
Le diner du Crif a aussi donné une mauvaise image de la communauté juive : on l’accuse de tirer des ficelles. Il y a risque que se développe le fantasme du complot noir avec le Cran ?
Vous savez, le complotisme anti-noir c’est aussi vieux que la colonisation…
Marine Le Pen dit tous les jours qu’il y a trop de noirs, trop d’étrangers, trop d’arabes. A-t-elle besoin de statistiques ethniques pour dire ça ?
3 Les réactions de nos débatteurs :
Fatou Meïté – 32 ans – Militante à la Brigade Anti-Négrophobie
« Prendre une carte au Cran aujourd’hui, non. Oui, le Cran milite dans le même sens que d’autres organisations, comme la Brigade Anti-Négrophobie. On a récemment mis en place certaines actions ensemble, comme pour l’affaire Mango. Il suffit de regarder l’objet du Cran : c’est de lutter contre la négrophobie mais aussi pour les réparations liées à l’esclavage. Mais je me reconnais plus dans le travail de terrain et les opérations coup de poing, comme ce que fait la Brigade Anti-Négrophobie.
(…)
J’ai essayé de prendre contact avec SOS Racisme, et je n’ai jamais eu de retour de leur part ! Peut-être parce que je viens de Bondy. « Touche pas à mon pote », on sait que c’était l’outil du PS. Et on a conscience que le travail n’a pas été fait. Il y a eu un travail pour qu’on puisse rentrer en boîte de nuit, mais sur le fond, le logement, le travail : rien n’a vraiment changé.
(…)
Aujourd’hui la question de réparations liées à l’esclavage pourrait totalement s’intégrer à la société française. Toutes les entreprises ont une dimension RSE – Responsabilité Sociétale des Entreprises. Elles font toutes du mécénat et les réparations pourraient s’inscrire là-dedans. En Californie, ils ont demandé à certaines sociétés qui travaillaient avec l’Etat de déclarer si elles avaient eu des revenus issus de la traite. Ces sociétés ont fait un geste de bon sens pour apaiser les esprits en attribuant des bourses à des jeunes issus de ghetto. »
“Touche pas à mon pote”, on sait que c’était l’outil du PS.
Baki Youssoufou – 35 ans – Président de la Cé de 2008 à 2012 et fondateur de WeSign.It
« Je ne prendrais pas ma carte au Cran. Pour des raisons subjectives. Je suis Français d’origine nigérienne et sierra-léonaise. Mais dans ma famille j’ai aussi un père blanc et une mère blanche. Des frères et sœurs blancs. Des neveux et nièces blanches. Je ne me sens pas représenté par cette association.
(…)
Et sur la forme. Représentatif de quoi ? C’est quoi une association noire en France ? Est-ce que l’association des Maliens de France est une association noire ? Moi, je ne crois pas. Je suis d’origine nigérienne et au Niger, il y a des gens qui ne sont pas noirs.
(…)
Et c’est quoi le combat aujourd’hui ? Ressortir ce qui a déjà été fait aux Etats-Unis en 1930 quand le mouvement noir s’est développé ? Nous ne vivons pas la même situation ! Peut-être qu’un certain nombre de noirs nous ressemblent physiquement, mais nous ne vivons pas la même situation. On ne peut pas aujourd’hui limiter une action de militantisme sur les noirs. C’est essentiel de lutter contre la négrophobie, mais il faut dépasser ce cadre. Si on a réussi à abolir un certain nombre de discriminations dans les pays européens, c’est parce qu’à un moment donné il y a eu des transfuges. On ne peut pas construire une lutte en disant qu’il faut se replier sur soi-même. »
bqhidden. Ressortir ce qui a déjà été fait aux Etats-Unis en 1930 quand le mouvement noir s’est développé ? Nous ne vivons pas la même situation !