Fut un temps, je ne savais comment réagir face aux contrôles « musclés » et à l'arrogance de certains policiers. Mais ça c'était avant… J'ai bien grandi depuis, je parle leur langage et je connais mes droits.
Cela ne m’était pas arrivé depuis longtemps, des années peut-être. Je
me détendais samedi soir, un verre à la main, avec deux potes, quand
j’aperçois leur voiture. Le véhicule s’approche en silence avant de
freiner doucement à notre hauteur. Trois agents en sortent. En
entendant claquer les portières derrière eux, toutes mes belles années
me reviennent d’un coup. Chacun sa madeleine de Proust !
Le bon vieux temps A l’époque, le commissariat des Orteaux (Paris 20e) aimait à nous envoyer des supers machos pour jouer les gros bras et casser notre égo. Les coups pouvaient partir vite. Mais en ce temps, les habitants s’appropriaient leur quartier et les rues étaient pleines de vie. On pouvait boire un coup dehors et rire fort en déclamant des textes improvisés.
Aujourd’hui, des gens plus aisés sont venus s’installer et notre
brouhaha les insupporte. Alors le commissariat flambant neuf de
Gambetta envoie un brigadier à la voix fluette pour nous faire taire.
Décidément, tout fout le camp…
Video NTM-La fièvre
Tout ? Non ! Le petit jeu auquel les flics se livrent pour montrer qui
est le chef, ça, ça ne change pas. Après avoir claqué sa portière, ce
cher brigadier nous interpelle de sa voix haut-perchée : « Hoho, vous
rouliez un joint ? Où est le reste ? ». Conscient d’être en
infraction, mon pote Cédric, lui remet sans rechigner le petit bout
d’herbe caché dans sa chaussure. « Peut-on savoir ce que vous faites
dans la vie ? » lâche l’officier un brin dédaigneux. « Je suis
chanteur ». Le visage du flic s’illumine. « Eh bien chantez ! »
ordonne-t-il en se dressant comme un « I ».
Le petit jeu auquel les flics se livrent pour montrer qui
est le chef, ça, ça ne change pas.
« Non ! » Je réponds avant même que Cédric ouvre la bouche.
- « Peut-on savoir qui vous êtes ? Son avocat peut-être ? », attaque
narquois le policier, sur un ton faussement mielleux.
- « Je suis son ami, et je sais que vous ne pouvez exiger ce genre de choses. »
- « Eh bien si vous êtes vraiment son ami, dites-lui de pousser la
chansonnette, sinon on l’embarque. D’ailleurs venez par-là, on va vous
fouiller aussi. »
Commencent de longues minutes de négociations. Très vite la
conversation dérape et les deux pandores deviennent méprisants et
caustiques.
si vous êtes vraiment son ami,
dites-lui de pousser
la chansonnette, sinon on l’embarque
Battle Sauf que cette fois-là, les piques venaient des deux côtés. J’ai su
répondre à cet homme qui tentait de nous écraser par une supposée
domination physique, sociale et intellectuelle. Je me suis défendu
sans tomber dans l’outrage. Et ça, croyez-moi ça n’a pas toujours été
simple pour moi. C’était même amusant de capter au vol ses références
culturelles ou allusions à l’actualité que nous étions censés ne pas
comprendre (et le mec était fichtrement cultivé). D’aller le chercher
sur le terrain des principes ou de la morale. Et de finir par
l’entendre dire, avec toute sa mauvaise foi de mauvais flic façon
série US, que le jour où, comme en Grèce, l’Etat lui demandera de
frapper sur le bon peuple : « je vous tirerai dessus sans aucune
hésitation ».
Je me suis souvenu des cowboys de la rue des Orteaux qui nous
faisaient la morale dans les caves après nous avoir frappés. Les
humiliations, les menaces. Ce policier qui disait que sa parole contre
la mienne c’était « le pot en terre contre le pot de fer ». J’avais
fini par trouver ça normal… Et j’ai réalisé que j’avais grandi.*
Combien les études, l’actu et les livres m’avaient transformé. Ces
choses-là ne pourraient plus m’arriver. Je parle leur langage et je
connais mes droits. Je sais ce qu’ils représentent et quels principes
ils se doivent de protéger. Je peux me défendre, on peut même
discuter. Car après tout, il y a des hommes derrière l’uniforme.
Je me suis souvenu des cowboys de la rue des Orteaux qui nous faisaient la morale
Culture Cédric aussi l’a compris, et c’est avec plaisir qu’il a finalement
chanté trois vers d’une ode à sa région d’origine. Pas parce qu’un
flic l’y avait forcé, mais juste par plaisir pour toucher le cœur d’un
homme, qui l’a d’ailleurs complimenté. De mon côté, encore quelques
progrès à faire : j’ai séché devant l’officier sur la définition du
mot « goret ». Quant à ceux qui souhaitent rabattre le caquet de «
M’sieur l’agent », je n’ai qu’une chose à dire : cultivez-vous merde!
Apprenez vos droits, lisez, affûtez votre éloquence. Et surtout
apprenez à maîtriser ses règles et ses codes pour pouvoir jouer la
partie sur son terrain.
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