C'est un lieu d'exception : dans la rue de la Mouzaïa, dans le 19e, 170 artistes ont investi un immeuble abandonné de 7.000m2 pour le transformer en squat d'artistes. Ouvert au public, va-t-il devenir un des poumons de la vie culturelle
« C’est bien la première fois que je vois ce genre de visite dans un squat… », balance, un brin circonspect, un vieux routier de la vie en communauté d’artistes, en regardant le petit groupe suivre celui qui fait office de guide, Tahiti Bob.
“Marginaux” Promenés pendant 45 minutes dans les ateliers d’artistes, une dizaine de touristes écoute attentivement chacune des interventions, comme ici Jules qui explique, tout sourire, sa technique pour peindre à l’encre de Chine. Rozenn, 50 ans, venue en tant que voisine après avoir vu une affiche annonçant l’excursion sur sa résidence, est impressionnée par la visite :
« C’est super ! Ils sont respectueux et soucieux. Je ne m’attendais pas à ça dans un squat, d’autant que certains d’entre eux sont quand même très marginaux. »
Map – Le Bloc, c’est où ?
Résidence d’artistes Installé au 58 rue de la Mouzaïa (Paris 19e), « le Bloc » n’est pas un squat comme les autres. Avec un espace de 7.000 mètres carrés, il accueille sur 7 étages un peu moins… de 200 artistes. Soit aujourd’hui un des plus grands squats de la région parisienne. Un de ses gérants, Tahiti Bob, a du mal à contrôler son enthousiasme quand il évoque cette perle que lui et ses amis ont dégôté à la mi-décembre :
« Moi, dans l’histoire des squats – j’ai fait une trentaine de lieux en dix ans – je n’ai jamais trouvé cette configuration. C’est unique, ça me fait vraiment penser à la Factory d’Andy Warhol ! »
Dans les 6 étages du « Bloc », réservés aux artistes, on trouve des sérigraphes, des peintres, des photographes, des graffeurs, des musiciens, des journalistes et même… un incubateur pour jeunes entreprises. Pour se déplacer, un réseau d’escaliers où vous êtes à coup sûr obliger de croiser quelqu’un et de lui faire un petit coucou. Tahiti Bob, 41 ans et co-fondateur du réseau Intersquat, attend beaucoup de la complémentarité entre tous ces artistes :
Mathieu, le référent du deuxième étage, devant une expo
« C’est cette émulation qui est géniale. Un cyclone créatif va se mettre en place. »
Mais aussi centre culturel Mais là où cela vous concerne plus, lecteurs de StreetPress, c’est que « le Bloc » est aussi un espace ouvert. Si les étages sont réservés aux artistes – ils doivent montrer patte blanche avec un badge – le rez-de-chaussée et le sous-sol accueilleront le public tous les jours de 10h à 22h.
Au programme, des expos. Ça a déjà commencé puisque les murs du sous-sol ont été recouverts de fresques – l’espace est d’ailleurs réservé pour le graffiti. Chaque semaine des concerts ou des spectacles d’art vivant doivent aussi y avoir lieu. Tandis qu’au rez-de-chaussée, une médiathèque, « un shop » où les résidents vendront leurs productions, et un espace pour les enfants seront installés.
Plus proche de nous que la Factory, Tahiti Bob ambitionne de « faire du Bloc, le 6b de l’Est parisien ». Du nom de cet immense immeuble abandonné à Saint-Denis, devenu un incontournable de la vie culturelle francilienne en à peine deux ans. Sauf qu’ici, c’est un vrai squat – les artistes n’ont à payer que des frais symboliques de 50 euros par mois, alors qu’au « 6b », ils rémunèrent les propriétaires de l’immeuble en vertu d’un contrat.
Le futur 6B ?
La seule manière de faire pression sur l’État, c’est avec les voisins et les médias
Opération séduction Problème : avant de transformer « le Bloc » en centre culturel majeur de la capitale, les squatteurs ont encore quelques petits problèmes administratifs à régler. Ils n’ont aucune garantie de pouvoir rester dans cet immeuble. Pire, ils pourraient même en être expulsés du jour au lendemain. C’est tout l’enjeu des petites excursions organisées par Tahiti Bob et son crew :
« C’est pour ça qu’on attire les voisins, la presse, les flics, les élus… Ce qui m’intéresse, c’est de pouvoir montrer à un maximum d’interlocuteurs la qualité du travail qui est fait. Là on met en place une sorte de phase de séduction.»
L’immeuble dans lequel les squatteurs se sont installés à la mi-décembre était l’ancienne direction de la Drassif – la Direction Régionale des Affaire Sanitaires et Sociales. Un bâtiment qui appartient à l’État, avec qui Tahiti Bob va essayer de négocier une convention d’occupation, une des conditions pour qu’un squat devienne pérenne. Les squatteurs peuvent en effet signer un contrat avec le propriétaire – ici l’État – pour occuper les lieux le temps d’une durée impartie. Ils vont rencontrer dans les jours qui viennent Corinne Rufet, présidente de la commission culture de la région Ile-de-France.
Tahiti Bob, qui, en 10 ans de squat, organisait sa première visite touristique et occupe le très officiel poste de chargé de communication, renchérit :
« L’État a toujours peur de se mouiller. “Pourquoi prendre des risques ?” La seule manière de faire pression sur l’État, c’est avec les autres interlocuteurs qui sont les voisins et les médias. Qu’ils nous soutiennent dans notre démarche et qu’à un moment l’État se dise : ‘‘bon, ça ne nous coûte rien et ça nous rapporte peut-être quelque chose’‘. »
À la fin de leur excursion, la délégation de voisins a même eu droit à un spectacle de tours de magie, organisé par un résident américain. Rozenn est séduite et prête à défendre les intérêts du « Bloc ».
Tahiti Bob en pleine opération séduction
> Soit les occupants, réunis en association, signent une convention d’occupation avec le propriétaire, pour une durée impartie. Un procédé plutôt rare.
> Soit une procédure est enclenchée au tribunal administratif et les squatteurs peuvent rester, tant qu’une décision d’expulsion n’a pas été tranchée.
De toute façon, les forces de l’ordre n’ont pas le droit de déloger officiellement des squatteurs si aucune dégradation n’a été commise et que l’immeuble a été abandonné sous certaines conditions.