Arrivé en France il y a moins d'un an au moment du coup d'État, Amedy a troqué ses études de marketing pour un bac pro maintenance automobile. Une passion ? Non, juste l'envie d'enfin habiter dans le même pays que sa femme, franco-
Des bottes, plusieurs couches de vêtements et un thé brûlant : Amedy, 28 ans, a du mal à se réchauffer. « Au Mali, le minimum, c’est 18 degrés. » Autant dire que l’épisode neigeux du début de la semaine l’a laissé tremblotant – « mais je m’adapte », sourit-il. Une adaptation permanente depuis le mois d’avril 2012, quand il est arrivé en France. Pas pour trouver un boulot, pas pour découvrir la texture de la neige, mais par amour pour sa femme, une française d’origine malienne avec laquelle il s’est uni au Mali, en 2010. Il a obtenu un visa d’un an, en espérant qu’il se transforme ensuite en carte de séjour. Après Modibo, Amedy a accepté de nous raconter son histoire, pudiquement, ses anecdotes ponctuées d’un rire communicatif.
Tu es arrivé en France en avril dernier. Pourquoi ? Pour rejoindre ma femme, qui habite ici, à Paris, mais qui est d’origine malienne. On s’est rencontrés là-bas, c’est familial, on va dire. On s’est mariés au Mali en 2010, c’était un dimanche, eh oui, comme la chanson ! (il fredonne « le dimanche à Bamako ») Mais, ensuite, ça a été compliqué d’obtenir un visa pour venir en France, tu sais ils font traîner des mois et des mois, un peu pour tester ton mariage. Le minimum c’est 6 mois, moi ça a pris un an et huit mois… Bon, on a été un peu embêtés. Ma femme faisait des allers-retours vers le Mali en attendant, mais c’est très cher. Et comme elle est en études, on ne se voyait qu’aux vacances.
Qu’est-ce que tu fais en France ? Tu étudies ? Non, j’étudiais le marketing au Mali, avant j’avais eu un bac littéraire, option sciences humaines. Mais ici, il faut que je puisse financer notre quotidien, je dois assurer nos dépenses, tu vois. Et puis je veux que ma femme puisse continuer ses études, alors je dois ramener de l’argent. Là, elle fait un DUT de chimie, elle fera une licence après. Quand elle aura fini, j’espère que je reprendrai mes études.
En attendant, je fais un bac pro maintenance automobile : la journée, je bosse comme mécanicien, et le soir, j’ai cours entre 18h et 21h. J’ai des cours d’anglais, de français, d’automobile etc… Au Mali, je ne m’intéressais pas du tout aux voitures, je n’aurais pas imaginé faire un jour ce bac pro ! Mais ce n’est pas si dur que ça. Le plus dur, en fait, c’est de se lever le matin !
Mais j’ai toujours mon rêve en tête. Je voudrais devenir commercial, ça, c’est mon rêve. Mais même au Mali, avec mes diplômes, c’était très compliqué. Les jeunes, même quand ils sont diplômés, ils ne trouvent pas de boulot là-bas… En France, je trouve qu’il y a plus d’espoir, c’est plus ouvert. Y’a plus d’opportunités.
Map – La région de Kayes
Tu es retourné au Mali en un an ? Non, tu sais, les billets sont chers. Et puis j’ai l’habitude de vivre loin de ma famille : j’ai passé mon bac à Bamako et ma famille vient de la région de Kayes (la quasi-totalité des Maliens ou des Français d’origine malienne qui sont installés en région parisienne viennent de cette région du Mali, ndlr). Un jour, je pense qu’on y retournera. Je pense beaucoup au Mali. J’espère y aller pour des vacances, dans pas trop de temps. En attendant, on s’appelle, je les ai souvent au téléphone. Surtout en ce moment, avec tout ce qui se passe…
Justement, comment tu vis cette guerre ? Bon, il faut dire que le coup d’Etat était inévitable, avec la montée des islamismes au Nord. François Hollande intervient au moment idéal, je ne pense pas que ce soit trop tard, et sans lui, les autres pays auraient fini par ne plus parler au Mali. J’ai mes amis au téléphone toute la journée, ils me disent que là, les rebelles ont quitté toutes les grandes villes. J’écoute aussi beaucoup RFI, pour savoir.
Mais je suis très inquiet. C’est très bizarre d’être là, de loin. Et je me demande comment le pays va devenir, est-ce que les islamistes vont quitter le pays ? Pour moi les islamistes, c’est des bannis, ce n’est pas des vrais musulmans. Moi, je veux que le pays reste laïc, comme ça tout le monde est tranquille. Ce qui m’inquiète aussi, c’est que j’ai peur que tous ceux qui auront une tête de touareg, dans les semaines qui viennent, on les prenne pour des rebelles et qu’il y ait des vengeances sur des innocents, juste parce qu’ils ne sont pas noirs. Ça, ça m’inquiète beaucoup.
En France, t’as ressenti du racisme ? Non, on s’entend bien au boulot, on vient de plein de pays différents… À part le froid, la neige, c’est ce que je trouve le plus marquant, en France : on voit de toutes les nationalités, c’est très hétérogène. Et puis, quand je ne suis pas au boulot, je ressens pas non plus de racisme. C’est un pays sécurisé la France, avec le plan Vigipirate, tout ça. Et aussi, c’est bien construit, y’a des moyens de transport impressionnants ! Quand je suis arrivé, ma femme m’a guidé pendant une semaine, elle m’a dit « t’es intelligent, tu vas t’adapter. » Mais le soir, au début, j’étais épuisé.
Tu côtoies des Maliens ici ? Oui, le dimanche, je retrouve des Maliens qui sont dans un foyer à la Villette – nous, on habite à la Courneuve. Quand t’es là-bas, c’est comme quand t’es au pays. On parle du Mali, on fait des rencontres, on boit beaucoup de thé vert. C’est presque toujours les mêmes, là-bas. Des fois, c’est important de se retrouver, mais je dois travailler pour le bac pro, donc parfois je ne suis pas disponible. Il faut que je me concentre sur les cours. Ce qui est rigolo, c’est que l’été, je peux reconnaître les Maliens dans la rue avec leurs habits traditionnels, et puis y’a une attitude. Parfois, on se croise, on discute.
Est-ce que la Villette, c’est mon lieu préféré à Paris ? Euh… non. Je préfère Disneyland. Y’a pas de parc d’attractions comme ça au Mali. J’y suis déjà allé deux fois.
Ze Story
> Né au Mali il y a 28 ans> Bac L et études de marketing
> 2010 Mariage avec une franco-malienne, au Mali
> 2010-2012 Tente d’obtenir un visa pour la France
> Avril 2012 Arrivée en France
> Juin 2013 Obtention d’un bac pro maintenance automobile
bqhidden. Je veux que ma femme puisse continuer ses études, alors je dois ramener de l’argent
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