Le sida se soigne, pas toujours les préjugés. Amah, Ivoirienne de 38 ans est arrivée il y a trois mois d'Italie, où elle était rejetée par les siens. Elle raconte le parcours tristement banal d'une séropositive sans-papiers à Paris.
Sur les 210 cas d’africains séropositifs que l’association Uraca traite chaque année à Paris, Fadoua, l’assistante sociale n’en a contactés que trois pour l’interview. Les seuls « psychologiquement aptes à parler ». C’est Amah, une ivoirienne de 38 ans, qui vient finalement nous rencontrer dans les locaux de l’association située entre Barbès et Château Rouge, et qu’elle fréquente régulièrement.
Mais là encore, les choses sont compliquées. En effet, bien que 70% des gens qui fréquentent l’association soit des femmes séropositives, aucune d’entre elles ne l’est officiellement. Seul le personnel de l’association, tenu au secret, sait qui est malade et qui ne l’est pas. C’est donc dans le bureau de l’assistante sociale soigneusement fermé que l’entretien se déroulera, loin des regards et des oreilles indiscrètes.
« Finalement on traite la question du sida officieusement alors même que nous sommes financés par Sidaction et l’ARS (Agence Régionale de Santé, ndlr) et que nous avons une mission officielle sur le sujet. Il y a un problème de tabou, on ne peut pas aborder la question directement », résume Fadoua. Emmitouflée dans son manteau, un bonnet vissé sur le crâne, Amah (dont nous avons modifié le nom) semble faible et parle bas.
Maladie sociale Amah est arrivée il y a trois mois en France, sans amis, sans famille et surtout sans beaucoup d’espoir. Elle n’est venue ni pour des raisons économiques, ni pour des raisons politiques. Elle est venue pour tenter de trouver sa place alors qu’elle vivait l’enfer en Italie. Son crime : la maladie.
Tout commence il y a deux ans lorsqu’elle apprend qu’elle a contracté le VIH alors qu’elle vit en Italie. Tout ce qu’elle sait de cette maladie, c’est qu’elle signe son arrêt de mort … social. La rumeur de sa maladie se propage comme une traînée de poudre dans la communauté africaine locale et Amah se retrouve « complètement isolée pendant deux ans: là-bas, on m’appelait la sidéenne. » Les quelques amis qu’elle s’était fait lui tournent le dos. « J’ai été rejetée, stigmatisée. »
« En Afrique, quand on apprend que tu es séropositif, on te met à l’écart jusqu’à ce que tu meures. Même un parent, il arrête de te parler. »
J’étais dans un cauchemar, je vivais dans l’ombre, aujourd’hui je vis dans la lumière
Mamans Fadoua confirme en expliquant que les première victimes de ce phénomène d’ostracisation sont les femmes, et plus particulièrement les jeunes mères : « Le problème c’est que les mamans malades n’allaitent pas leurs enfants et sont donc immédiatement identifiées comme séropositives et stigmatisées par la communauté. » Face à cette double condamnation de la maladie et du rejet social, ceux qui le peuvent choisissent souvent de vivre dans le déni. « Il y a beaucoup de problèmes » dit Fadoua en évoquant la « question du tabou » et le « déni de la maladie.»
« On a des cas de personnes qui refusent de se soigner, qui essayent de ressembler à des personnes normales, en se remariant, en ayant des rapports sexuels non protégés avec leurs partenaires. Il y a un vrai blocage culturel. »
A la rue Finalement, une assistante sociale l’envoie en France où un réel système de prise en charge existe. Amah doit donc faire face aux difficultés que n’importe quel migrant connaît lorsqu’il arrive en France.
« J’ai d’abord été hébergée pendant les deux premiers mois par une dame qui vivait dans un foyer. Mais je ne pouvais pas arriver avant minuit. Et puis la dame a perdu patience. Il a fallu trouver un nouveau logement. »
Sans aucune connaissance ou contact en France, elle a dormi deux jours dans la rue. « J’étais tellement traumatisée ». En urgence l’association Uraca a trouvé quelqu’un pour l’héberger pendant quatre jours. Depuis trois semaines, elle loge dans un hôtel à Crimée, dans une chambre qu’elle partage avec une autre fille. Elle espère bientôt avoir une chambre dans un foyer pour pouvoir enfin se poser. « Mon médecin voudrait que j’aie un logement, parce que transporter ses médicaments sur soi tout le temps, ne pas avoir d’endroit fixe pour soi, c’est difficile. » Mais Fadoua, l’assistante sociale, est assez pessimiste : « Je mets en moyenne 2 ans par dossier pour atteindre un début d’insertion. Et je ne parle pas d’une intégration complète, simplement une place dans un foyer et peut être un emploi.»
Pour l’instant, Amah n’a que l’AME qui lui permet de suivre son traitement et d’avoir des consultations et un suivi régulier à l’hôpital. Mais pour obtenir une carte de séjour, il faudra attendre le délai légal d’un an.
Mon médecin voudrait que j’ai un logement
Accepter la maladie Malgré la fatigue et l’incertitude, l’arrivée en France représente pour Amah un nouveau chapitre de sa vie. Déjà pour « pouvoir se promener dans la rue sans que les gens sachent. » Et puis pour comprendre enfin ce qu’elle a vraiment. Du fait de la barrière de la langue, elle était restée deux ans dans l’ignorance totale en Italie :
« J’avais une interprète mais je n’osais pas poser de questions au médecin. Je pensais qu’en parlant aux gens, je pouvais transmettre la maladie. En arrivant en France, je suis allé voir Aides, et c’est là qu’on m’a expliqué comment se transmettait la maladie et ce que c’était exactement. »
Et puis elle réalise aussi que l’on peut vivre avec la maladie en visitant Ikambere, une maison d’accueil et d’écoute qui réunit notamment des femmes africaines séropositives. « J’ai vu des femmes qui vivaient avec cette maladie depuis 20 ans. Le simple fait de rencontrer des gens avec la maladie a tout changé ». Elle décide alors de suivre sérieusement le traitement qu’elle avait négligé jusque-là. « Si tu n’acceptes pas la maladie, tu ne peux pas te soigner. Parce que les médicaments, c’est lourd, ça épuise. »
Je pensais qu’en parlant aux gens, je pouvais transmettre la maladie
Défilé de mode Amah est également suivie par un psy de Médecins du monde et un ethnopsychiatre de l’association qui lui fait comprendre que sa maladie « n’est pas un stigmate » et que « c’est dans la tête le problème ». Il y a un mois, elle l’a même annoncée à son père resté en Cote d’Ivoire. Contre toute attente, « il a assez bien réagi. Il m’a dit de me battre ».
A la fin de l’entretien, Amah semble tout d’un coup prise d’un regain d’énergie, et sourit enfin. « J’étais dans un cauchemar, je vivais dans l’ombre, aujourd’hui je vis dans la lumière. » Amah pense à l’avenir, elle aimerait bien refaire sa vie avec quelqu’un, avoir des enfants. Ce qui est sûr en tout cas, c’est que si elle rencontre un homme, elle lui parlera de sa maladie avant toute chose. Elle pense aussi à devenir styliste. D’ailleurs, elle doit nous laisser, elle doit s’activer pour que les costumes soient prêts pour samedi, car l’association organise un défilé à l’occasion de la journée de lutte contre le sida.
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