Sur StreetPress Keny Arkana en dit un peu plus sur son absence volontaire dans les médias : «La télé te tend un micro pour te décrédibiliser.» Mais à nous elle a bien voulu accordé une interview, à l'occasion de la sortie de son nouvel album.
Tu donnes très peu d’interviews, pourquoi ? Qu’est-ce que tu reproches aux médias ?
Je ne suis pas quelqu’un qui boycotte les médias, mais je ne fais ni télé ni radio ! La télé, on te tend un micro pour te décrédibiliser. À l’époque de « La rage », j’ai eu beaucoup de propositions de plateaux télé. Mais je n’avais pas envie de servir d’alibi démocratique ! Du point de vue des idées, les gens comme moi ne sont pas représentés. Donc ça ne sert à rien de venir, si on n’est pas écoutés. Quand les rappeurs passent à la télé, c’est pour être les mongoliens de base ! J’ai fait le choix de ne pas marcher avec les médias ! N’importe quel artiste qui grimpe grâce aux médias, si demain il est boycotté, il n’est plus là. Je préfère me faire avec l’appui des gens. Si les gens estiment que ma musique est utile, c’est eux qui la porteront ! Si les gens ne ressentent rien, je n’ai rien à faire dans la musique. Pour moi, c’est la musique qui est importante, pas l’artiste !
Du coup, avec quel média t’informes-tu ?
Pendant longtemps, je m’informais avec Indymedia, un média militant. Mais j’aime bien regarder un peu partout dans la presse : Courrier International, Politis, mais aussi d’autres sources avec un angle très libéral ou de droite, pour voir ce qu’ils racontent. Surtout, j’aime bien me faire ma propre opinion, en discutant avec les gens dans la rue.
Parlons de ton nouvel album, qui sort lundi 3 décembre. Après « Entre ciment et belle étoile », pourquoi avoir choisi comme titre « Tout tourne autour du soleil » ?
La première raison, c’est pour rappeler aux êtres humains que tout ne tourne pas autour de notre nombril. Nous, enfants de la création, on tourne aussi autour du soleil. Ensuite, j’avais laissé les gens avec le morceau « Cinquième soleil ». Dans « Cinquième soleil », j’essaie d’expliquer que le soleil est en toi. On dit que l’être humain a les 4 éléments en lui : l’eau c’est l’émotion, la terre c’est ton corps physique, l’air c’est ton mental et le feu, ça représente ton esprit. Le mental, ce n’est que ta petite boîte à outils pour les exercices logiques : compter, analyser, disséquer… L’esprit c’est l’intuition, l’inspiration. Ça représente tout ce qui est illimité chez l’être humain.
Donc c’est le soleil intérieur…
Oui, « Tout tourne autour du soleil », c’est « tout tourne autour de ton esprit ». Tout tourne autour de ta lumière intérieure, et donc, tout ne tourne pas autour de ta dernière paire de baskets. C’est clair que, pour moi, la révolution ce n’est pas de prendre les armes et de virer le président, car on fait quoi après ?! J’ai pour conception une révolution spirituelle, un vrai changement de conscience : ce que l’on appelle en Amérique du Sud la révolution totale. C’est une révolution humaine, à l’intérieur de nous-mêmes. On est trop poussés à l’extérieur alors que l’on a plein de richesses à l’intérieur. Pour moi, la révolution est une éternelle remise en question pour une éternelle amélioration des choses. Ce qui nous tue le plus, c’est notre immobilisme et notre inertie. Alors que dans la vie, tout est toujours en mouvement !
À l’écoute de l’album, j’ai constaté qu’il y a de fortes basses. C’est un album écrit pour la scène ?
Musicalement, j’ai fait intervenir pas mal de musiciens. Toutes les basses sont rejouées depuis « L’esquisse 2 » (street album, sorti l’année dernière). Parfois, mes propres beatmakers ont du mal à reconnaître leur son ! A chaque fois, j’essaie de pousser les morceaux pour aller le plus loin possible. J’espère y être arrivée. Et puis, j’ai essayée d’innover à chaque fois : un nouveau flow, des refrains différents… Même si le fond ne change pas, je n’ai pas eu envie de refaire le même album que le premier !
Cinquième soleil Keny Arkana
Pour moi, la révolution ce n’est pas de prendre les armes et de virer le président, car on fait quoi après ?!
Y’a-t-il des intellectuels qui te touchent, comme Pascal Boniface avec Médine ?
En France, je n’aime pas trop les intellectuels ! J’en parle dans le morceau « Cynisme vous a tué ? », de tous ces intellectuels qui vont prendre une posture de philosophe, mais qui ne connaissent pas la douleur humaine. C’est bien beau d’avoir de belles théories avec la gloire du siècle des Lumières, la pensée, la raison… Mais on est quand même allé coloniser la moitié de la planète ! Donc je préfère discuter avec des gens qui ont peut-être moins de grandes pensées, mais qui ont plus de cœur et qui vont mettre en pratique leur philosophie. Cependant, je ne veux pas mettre tout le monde dans le même sac. Médine m’en a parlé en bien, il y a des gens biens partout. Je souligne juste que la France préfère l’intelligence froide à celle du cœur.
Pourquoi n’as-tu pas collaboré avec de grands noms du rap français sur cet album ?
Je regrette de ne pas avoir fait un morceau avec le Rat Luciano, on en parle depuis des années ! Mais je me suis retrouvée avec une quantité de morceaux. J’ai déjà dû faire un tri, donc je n’allais pas faire un feat pour faire un feat ! Au final, il n’y a que le refrain de mon pote RPZ, sur « Le syndrome de l’exclu ». Dans le premier album, il n’y avait aussi qu’un featuring : Claudio E.Gonzalez, un chanteur de rue sur « Victoria ».
Est-ce que tu te sens intégrée dans le milieu du rap ?
À l’époque de mon premier album, je ne voyais pas qui pouvait me suivre dans mon délire ! C’est aussi parce que je n’avais pas envie que l’album marche grâce à un gros featuring, au fait que je clash quelqu’un, ou du fait que je mette mon vécu en avant pour donner la larme à l’œil aux gens. J’avais beaucoup de principes et je me mettais des bâtons dans les roues toute seule ! Au moins ça m’a préservée : je n’ai pas perdu trop de plumes. Il y a plein de gens avec qui j’aimerais partager le micro, comme Médine (voir le morceau « Téléphone arabe », en 2011) ou Youssoupha. Donc ça se (re)fera ! Malgré ce que les gens peuvent croire, je ne suis pas du tout sectaire…
En 2006, tu avais fait le morceau « Nettoyage au karcher ». Pourquoi tu n’as pas refait d’autres morceaux engagés politiquement ?
Je ne peux pas te dire si je referai des morceaux réactifs comme celui-ci. En fait, j’ai rien calculé : j’ai fais plein de morceaux différents, c’est les instrus qui me mettent des mots sur mes ressentis. J’ai du mal à intellectualiser, tout a été très spontané…
D’après toi, est-ce que l’on peut combattre le système tout en en faisant partie ?
Je dirais que oui. On est au 21ème siècle, et on est tous nés à Babylone ! Moi ça a été un gros bug dans ma tête à l’époque où j’ai signé en maison de disques. J’avais peur de me faire bouffer par le système. Mais je crois que tant que tu sais pourquoi tu fais les choses, tu peux aller où tu veux ! Si tu es un militant de gauche et que tu vas dans une réunion du FN pour voir les conneries qu’ils racontent, ce n’est pas pour autant que tu vas perdre tes idéaux. Après, tu peux passer toute ta vie à essayer de gommer tes paradoxes comme fabriquer tes propres vêtements, faire ton jardin, etc. C’est hyper respectable, mais ce n’est pas forcément la solution… C’est même un peu égoïste, je préfère accepter mes paradoxes et aller à l’essentiel ! L’essentiel pour moi, c’est de faire passer un message et de raviver des émotions humaines que l’on piétine. Essayer d’apporter quelque chose qui renouvelle les gens vers le haut.
Tu restes optimiste sur l’avenir de l’être humain ?
Oui ! Je sais que l’on est grand, je sais que l’on est noble ! C’est en train de changer : il y a de plus en plus de gens qui prennent conscience des choses et qui font un travail sur eux-mêmes. À partir du moment où ce nombre de gens aura dépassé la majorité, le monde changera. Et on commence à être nombreux, dans le monde entier.
Vie d’artiste – Keny Arkana
La France préfère l’intelligence froide à celle du cœur.
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