Entre un livre écrit avec le chercheur Pascal Boniface et un nouvel album, Médine a une actualité chargée. Vêtu d'un maillot d'Anelka, le rappeur parle politique autant que musique : « Les auditeurs sont friands d'un discours responsable
Ta première apparition date de 2002, avec La Boussole. Comment as-tu fêté tes 10 ans de carrière dans le rap ?
Je crois que j’ai oublié de les fêter ! J’espère donc les fêter avec un an de retard, le 7 mai prochain à l’Olympia. Pour les 10 prochaines années, j’aimerais continuer à écrire. C’est vraiment l’activité que j’aime : travailler les mots et l’importance des mots. Ecrire dans le rap, mais aussi dans des bouquins, voir de la poésie. Et peut-être écrire pour d’autres artistes, comme ça se fait aux Etats-Unis. Je trouve dommage qu’en France il n’y a pas cette tradition. Il y a parfois de très belles voix, qui n’ont pas forcément la plume adéquate. Donc je pourrais être à l’initiative de cette démarche dans le rap français, mais je n’ai pas encore la prétention de dire que j’écrirais pour untel ou untel. Aujourd’hui je sais faire du rap politique, du rap historique, du story-telling, ainsi que des thèmes plus légers comme de parler de ma ville ou de ma sensibilité auprès des femmes. Si j’écris pour quelqu’un d’autre, ça restera avec ces thèmes.
Si tu ne devais garder qu’un morceau pour illustrer ta carrière, ce serait lequel ?
« Don’t Panik ». C’est mon cri de ralliement, qui a largement dépassé les frontières du rap français. Il y a même des gens dans la rue qui m’appellent « Don’t panik » à la place de Médine !
Tu as sorti un livre avec Pascal Boniface intitulé « Don’t Panik ». Pourquoi ce slogan ?
J’estime que les questions du débat national polluent notre quotidien. On monte les communautés et les Français les uns contre les autres. Il faudrait penser à des questions beaucoup plus importantes aujourd’hui. Il faut se défaire de nos préjugés et « Don’t panik » peut le permettre. C’est une main tendue pour ceux qui seraient tentés d’avoir des préjugés sur une communauté ou une autre.
[Vidéo] – Les meilleurs moments de l’interview
Dans la rue, des gens m’appellent « Don’t panik » à la place de Médine
Tu penses que les communautés sont fortes aujourd’hui en France ?
Oui, les gens se communautarisent de plus en plus sur les terrains que la République a déserté. Ce n’est pas forcément un retour du religieux, c’est un retour de l’organisation communautaire. D’ailleurs, ceux qui combattent le communautarisme, ce sont eux qui le crée ! Lorsqu’il y a des musulmans qui sont attaqués, la République ne prend pas leur défense. Il faut donc que l’on s’organise pour pouvoir avoir un poids médiatique. On veut être entendu, faire valoir nos droits et éviter les situations de victime.
Mais je ne me revendique pas que de la communauté musulmane. Je suis membre de la communauté française et de la communauté hip-hop. Je peux être militant musulman comme militant français sur les questions sociales.
Comment tu vis d’être comme un rappeur musulman par certains, alors que tu revendiques être l’un des artistes les moins communautaires du rap français ?
Beaucoup pensent que je suis communautariste car j’appelle mon album « Arabian panther ». Si je me définis comme tel, c’est pour pouvoir mieux représenter les autres. On me catalogue car on aimerait me voir sur cette seule étiquette. Mais Médine, ce n’est pas un rappeur musulman. C’est un rappeur qui s’attaque aux sujets d’injustice en France et qui essaye de faire bloc en face.
[Clip] – Biopic
Je suis membre de la communauté française et de la communauté hip-hop
On va parler de ton EP. Dans le morceau Biopic tu dis : « Est-ce que je fais du rap ? Ou est-ce que c’est le rap qui me fait ? En effet, peu de choses me séparent d’un Keen-V ! ». Tu peux m’expliquer ?
Souvent un artiste finit par s’enfermer dans une image et sert ce que les gens attendent de lui. C’est souvent la discipline qui permet de déterminer l’orientation de sa carrière. Le simple fait de me demander si je fais le rap ou je le subis, c’est une façon de dire que je ne veux pas être prisonnier d’une image. Je veux être acteur de ma discipline et je veux clairement l’influencer. Et même ceux qui font du rap de divertissement, il faut qu’ils écrivent des textes de qualité. Un rappeur comme Booba a clairement une maitrise du langage, dans ses mots et ses images. Et même si on est en désaccord avec ses propos, c’est de la qualité ce qu’il écrit !
Tu iras acheter le prochain album de Booba ?
Je pense que oui ! Je suis un consommateur de rap français. J’ai grandi avec, et je n’ai pas peur de dire que j’achète des albums, car c’est la musique que j’aime ! Donc je veux supporter ces artistes.
Dans Biopic toujours : « Pour les gens de la profession, donner du sens avant du son dans nos chansons, c’est donner de la confiture à des cochons ». Peut-on être un rappeur politique et toucher le grand public ?
Par le passé, je crois qu’il y a beaucoup de rappeurs qui ont prouvé que l’on pouvait allier des discours politisés et conscients avec le succès commercial. Des gens comme IAM, Kery James, Diam’s, et aujourd’hui Youssoupha, se sont clairement engagés et sont restés compétitifs en terme de ventes. Je crois même que nous sommes en train d’inverser la tendance. Les auditeurs sont friands d’un discours responsable. Le rap conscient a aujourd’hui pleinement sa place parmi les autres types de rap.
[Clip] – Le bruit qui pense
Un artiste finit par s’enfermer dans une image et sert ce que les gens attendent de lui
« Comment ne pas trouver le rap romantique ? », elle vient d’où cette punchline ?
D’un film où Brad Pitt est un recruteur de baseball (Le Stratège, ndlr). Il regarde une scène sur le terrain de baseball, et dit : « après avoir vécu toute cette histoire (sa passion pour le baseball), comment ne pas trouver le baseball romantique ? » Cette phrase m’a vraiment touché, donc je l’ai gardée. Elle m’a rappelée les aléas de mon parcours et de mon histoire.
Dans le dos j’ai mis « Anelka », car c’est un type de français que l’on refuse
Sur le morceau « Made in », tu dis : « Je suis plus british qu’Elisabeth quand je porte les couleurs de Manchester United ». Je vois que tu portes un maillot de l’équipe de France aujourd’hui, tu t’intéresses au ballon rond?
Je ne suis pas quelqu’un qui suit énormément le foot, mais il y a quelques équipes que j’aime bien regarder. Cette phrase, c’est pour dire que je suis de partout, que je m’inspire de plusieurs cultures. Le message, c’est qu’il ne faut pas se cantonner à une seule identité. On est le produit de notre environnement, de nos voyages, de nos rencontres… Et il faut en être fier !
Quelle est ton opinion sur le comportement des joueurs de l’équipe de France en 2010 ?
Je n’ai pas découvert le foot avec ces questions-là. Le problème identitaire et l’intégration sont des questions qui se posent depuis trop longtemps. Le fait que l’on se pose des questions sur l’éventuelle légitimité de certains joueurs de concourir sous les couleurs de la France, c’est dramatique que ça arrive ! Surtout que les principaux joueurs de l’équipe de France sont Français depuis 2-3 générations. En 2010, mettre en avant le côté provocateur de certains joueurs, ça a été une façon de diaboliser une partie de la population. Les jeunes de banlieue, à travers leur comportement, ont été stigmatisés. C’est ce pourquoi je porte aujourd’hui un maillot de l’équipe de France, car je suis fier d’être français ! Dans le dos j’ai mis « Anelka », car c’est un type de français que l’on refuse, parce qu’il est entier dans sa démarche. Il a toujours assumé son origine populaire et ethnique. C’est comme ça que je voudrais que l’on intègre les personnes issues de l’immigration : comme des personnes qui sont fiers d’être Français sans abandonner leurs origines ou leurs valeurs religieuses. Je conçois l’identité nationale différemment que ceux qui en posent la question.
Tu dis que le rap c’est du « bruit qui pense ». Qu’est-ce que c’est le R’n‘b alors ?
C’est méchant pour le R’n‘b. Elle est orientée ta question ! Attention, car il y a du R’n‘b qui pense ! J’ai fait un morceau avec Kayna Samet dans l’EP. Elle a toujours eu des morceaux avec des thématiques qui me parlent. En apparence j’ai une sensibilité beaucoup plus dure, pourtant certains de ses morceaux me mettent la larme à l’œil. Je recommande aux artistes R’n‘b d’aller vers cette voie-là. A une époque, Wallen (une chanteuse, auteur-interprète de 3 albums, ndlr) était le leader de ce mouvement. On écoutait des morceaux de Wallen comme on écoutait des morceaux de rap, ça nous procurait les mêmes émotions, les mêmes sensations. Dans ma carrière, Wallen a joué un rôle. Je me suis dis : « tiens, voilà quelqu’un qui en apparence vient d’un univers totalement différent, qui a une démarche un peu mielleuse et qui me procure tout un tas de choses que je retrouve habituellement dans le rap. »
D’ailleurs sur la forme de tes nouveaux morceaux, il y a beaucoup de refrains chantés. C’est quelque chose que tu recherches maintenant ?
Oui, c’est une orientation différente. Si je ne l’avais pas fait avant, c’est que je n’avais pas encore cette maturité artistique que j’ai après 4 albums. Avant, j’écrivais mes refrains comme mes couplets. Je ne prenais pas le risque de mettre des refrains chantés car ça me rapprochait des morceaux de rap dont j’étais un peu réfractaire. Mettre un refrain chanté, c’était correspondre à un certain type de format pour être radio diffusable. Et ce n’est pas comme ça que je conçois la musique. Pour moi, ces refrains chantés sont une façon d’adapter ma musique et de la rendre accessible. C’est simplement pour un confort d’écoute car j’ai des textes très denses. Parfois, un peu d’aération peut susciter beaucoup plus de réflexion. Le fait que les refrains soient plus légers, ça laisse le temps de réfléchir à l’auditeur entre 2 couplets.
Est-ce que tu referas un « enfant du destin » (morceau récurrent dans les albums de Medine qui met un scène en enfant pendant une guerre) dans le prochain album ?
Bien sur ! Les morceaux « enfant destin », c’est ma marque de fabrique. Il y aura un morceau sur le prochain album « Don’t panik », et j’en ferai même un album entier prochainement. Sur cet album, il y aura les anciens titres que l’on remasterisera et au moins 5-6 nouveaux morceaux.
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