Sarah a de l'abnégation à revendre : elle mène de front ses études d'avocate et la co-direction d'une ONG qui accompagne des jeunes de banlieue dans leurs projets. Le tout… bénévolement. « Je sais que je suis complètement folle. »
« Un portrait sur moi ? Je préfère que tu parles de toute l’entreprise parce que j’aurais jamais pu faire ça toute seule ! » Sarah Gogel n’aime pas trop la lumière. Elle préfère braquer les objectifs sur ses protégés, des jeunes de la Courneuve ou des banlieues chaudes de New York et Boston. Global Potential, l’asso qu’elle a cofondée avec un ami, Frank Cohn, permet à une centaine de jeunes par an de voyager.
« On était tous les deux assistants sociaux aux États-Unis, et tous les deux effarés, enragés même, de ce qui était proposé aux jeunes. Global Potential, pour nous, c’est une façon de pallier à ce qui peut manquer dans l’approche éducative : la nécessité absolue de valoriser le point de vue et les envies des jeunes avec lesquels on travaille, la puissance des voyages, la possibilité de les faire sortir du lieu où ils habitent. »
Et Sarah en sait quelque chose. Ces dix dernières années, elle a habité au Nicaragua, à New York, à Paris – sans compter les innombrables allers-retours à Boston et les multiples voyages un peu partout sur le globe. « Quand j’étais plus jeune, on faisait de l’humanitaire en famille pendant les vacances, j’ai eu la chance d’avoir des parents qui m’ont inculqué ce plaisir. »
La Courneuve depuis janvier Dans l’esprit de Frank et de Sarah naît donc, il y a 5 ans, un projet un peu fou : accompagner des jeunes de 15 à 23 ans sur des projets pendant un an et demi et, clou de la formation, un voyage de six semaines au Nicaragua, en République dominicaine ou en Haïti (lire ci-contre le programme détaillé). « À l’origine, on avait choisi de travailler avec ces pays parce qu’aux États-Unis, où est né notre projet, l’immigration d’Amérique latine est forte. Ça permet à certains de nos jeunes de voyager dans leur pays d’origine. » L’ouverture d’une antenne de Global Potential en France, début 2012, change la donne : « On a le projet de travailler avec le Maghreb et l’Afrique de l’Ouest d’ici à 2014. »
Oui, parce que depuis le mois de janvier dernier, Global Potential a délégué une partie de ses forces vers la Courneuve. « D’un point de vue perso, j’avais envie de revenir en France après toutes ces années à l’étranger. Et puis, en France, il y a trop peu de programmes dans le genre. » Et même si son emploi du temps est archi blindé, Sarah ne tarit pas d’éloges sur « ses » jeunes de la banlieue parisienne. Sincèrement touchée, elle raconte : « Ils sont 13 à être vraiment actifs et ils sont tous… comment dire… inspirants. » Alors qu’elle a tout juste 30 ans, elle ajoute, dans un doux sourire : « J’ai envie de les protéger, j’ai un côté très mère poule. »
> 1985-2000 : grandit à Paris
> 2000 : Travail humanitaire en Inde et au Nicaragua
> 2001-2004 : Étudie la sociologie à Harvard, puis un master en travail social
> 2004-2009 : Travail avec les réfugiés traumatisés, entre Boston, Israël et la France
> 2007 : Création de Global Potential à New York
> 2009 : Ouverture de Global Potential à Boston
> 2012 : Ouverture de Global Potential à la Courneuve
> 2013 : Passe son diplôme d’avocat
On faisait de l’humanitaire en famille pendant les vacances,
Bénévolat 60 heures par semaine Bien sûr, arrivés là dans votre lecture, vous vous demandez : mais comment arrivent-ils à financer ce joli projet ? Sachant que pour chaque jeune, la formation coûte environ 2.000 € – de son côté, le jeune qui suit ce programme doit récolter 250 €. Eh bien, depuis 5 ans, Sarah, Frank et toute l’équipe qui les entoure – ils sont près de 150 bénévoles – cherchent subventions, partenariats et dons de mécènes. En France, l’entreprise est en partie subventionnée par le gros groupe de microfinance PlaNet Finance qui leur offre un local.
Résultat : une fois que toutes les formations sont payées, il ne reste plus un euro, ni même un dollar, pour rémunérer l’équipe. Oui, vous avez bien compris : depuis 2007, Sarah bosse comme une acharnée, à minima 60 heures par semaine et tout ça… bénévolement.
« Tu peux me regarder comme ça, je sais que je suis complètement folle ! Je sais que j’ai pas de vie en-dehors, je vais très rarement dans les bars par exemple. Tout ce que je fais, c’est pour Global Potential. D’ailleurs, je suis mariée à Global Potential sur Facebook ! »
Encore plus « folle » qu’en parallèle, elle bosse pour obtenir son diplôme d’avocat en juillet prochain – diplôme qu’elle tente… à Boston. « Si je veux être écoutée et respectée, être directrice générale d’une boîte comme Global Potential, ce n’est pas suffisant. Quand t’es avocate, c’est triste à dire, mais on t’écoute plus. » Le souci ? C’est qu’en plus de pomper du temps, les études pour devenir avocate coûtent horriblement cher (autour de 250.000 dollars). Du coup, non seulement Sarah n’est pas payée, mais en plus elle croule sous les prêts. « Ce qui m’inquiète, c’est que je vais devoir les rembourser à partir du mois de mai prochain… » Elle rit : « Je rêve que le gouvernement américain s’effondre pour que je n’ai pas à rembourser mes dettes ! » En attendant que la Fed s’écroule, Sarah est retournée vivre chez ses parents. Tout en continuant ses allers-retours vers Boston pour poursuivre ses cours : « j’ai fait plusieurs mois de cours à Sciences-Po, mais là, il faut que j’y retourne dans quelques jours. Rien que d’en parler, ça me stresse ! »
- 6 semaines de voyage au Nicaragua, en République dominicaine ou en Haïti
- Puis 10 mois et demi d’accompagnement pour développer le projet professionnel et/ou personnel du jeune