Sur StreetPress, Alice Zeniter, écrivain précoce de 23 ans, écrit dans son roman Jusque dans nos bras, sur sa génération et son engagement politique. «Une génération de paumés», dit-elle, dont elle est «la première sur la liste».
Tu as écrit un roman sur l’amitié et ses responsabilités dans le contexte des reconduites à la frontière de sans-papiers. Pourquoi tu as choisi ce thème politique ?
J’étais moi-même étrangère dans un pays, la Hongrie, quand j’ai écrit ce roman. Je voyais ce qui se passait en France de loin. A ce moment-là, l’actu c’était les arrestations des sans-papiers dans des lieux improbables comme à la sortie de l’école ou à la soupe populaire. Ça me paraissait incroyable vu de loin, comme des rafles.
Dans le livre, la narratrice, Alice, épouse Mad, son meilleur pote malien pour qu’il ait des papiers français. Tu ferais la même chose?
Pour un ami d’enfance, oui. Mais le livre est un vrai roman, même si la narratrice s’appelle comme moi. Et je ne dis pas que le mariage blanc est la meilleure solution pour régler le problème des sans-papiers. Sinon il faudrait tous les épouser.
Tu adoptes une écriture et un langage très « djeuns » tout au long du livre. Pourquoi ce style ?
Je me suis rendue compte que le ton et le style étaient exactement les mêmes aujourd’hui qu’il y a dix ans en littérature. Pourtant il y a une forte évolution du langage. J’ai donc eu envie d’inscrire le langage littéraire dans son temps. Il n’y a pas de langage indigne à la littérature.
Alice Zeniter, bio express
1986: Naissance puis enfance en Basse Normandie. Ecrit déjà des histoires avec ses deux sœurs.
2000: Publie son 1er roman à l’âge de 14 ans, “Deux moins un égal zéro” aux Editions du petit véhicule.
2004: Obtient son bac et monte à Paris pour ses études. Avec comme passion le théâtre et la mise en scène.
2008: Part en Hongrie et enseigne le français à l’université de Budapest et fait un stage chez Arpad Schilling (metteur en scène Hongrois de la compagnie Kreatakor).
2010: Publie “Jusque dans nos bras”. Travaille comme assistante de metteur en scène et sur ses propres projets d’écritures (théâtre, nouvelles, roman) et part en Hongrie pour les vacances.
« Il y a bien un truc que Geneviève de Fontenay nous apprend en ce moment c’est que “La dignité est de ne jamais se montrer nu“ »
Le livre est entièrement écrit dans ce style très direct, presque parlé. Ce style c’est le tien?
Non, j’ai d’ailleurs mis un an à m’en départir. L’écriture et le langage font partie intégrante de l’histoire. Avec rythme effréné, rapide. Mais une fois que le rythme a été pris, c’était parfois difficile de le tenir sur toutes les parties narratives car ce côté « slam » ne s’applique pas partout.
Tu as parfois un regard très dur la génération de tes personnages qui ont la vingtaine. Que lui reproches-tu?
Rien et je n’ai pas l’impression d’être dure. C’est peut-être un peu comme les blagues communautaires, elles ne passent vraiment bien que lorsqu’elles sont racontées par quelqu’un de cette communauté. C’est pareil avec notre génération. Je suis la première concernée et la première sur la liste si je dis que c’est une génération de paumés et de petits cons. Moi, je la vois avec de la tendresse.
En mars, tu as participé au Salon du livre de Paris. C’était comment?
J’ai un peu eu l’impression d’être une marchandise en vitrine que personne ne voulait. J’ai eu l’impression d’être en solde mais je ne peux pas en vouloir aux gens de se précipiter sur Paul Auster qui dédicaçait en même temps. J’aurais fait pareil à leur place. Mais c’est quand même bien d’avoir un retour des lecteurs.
h3. Jusque dans nos bras – Le résumé |
Alice et Mad, sont un peu comme les deux doigts de la main, amis depuis toujours et toujours là l’un pour l’autre. Alors quand Mad demande Alice en mariage, c’est oui. Mais ici pas question d’amour: uniquement une histoire d’amitié et un mariage blanc pour éviter à Mad, d’origine malienne, une reconduite à la frontière.
« Jusque de nos bras » est un livre sur le 20-30 ans qui fera dire aux ados d’aujourd’hui que nous sommes nous aussi des vieux cons. Tant pis. On a 25 ans et on assume puis on sourit à la justesse du texte et au plaisir de sa lecture.
En parlant de retour, je t’ai « googuelisée » et j’ai vu que tu avais répondu à un billet sur ton livre, sur le blog Encreblog. Tu surveilles-ce qu’on dit sur toi ?
En fait c’est un ami qui m’a prévenu (rires). Encreblog a été un des premiers retours que j’ai eu sur le livre, notamment non professionnel. Quand j’ai lu le papier, j’ai d’abord commenté sans dire que j’étais l’auteur, puis en le disant. Quitte à aller voir ce qui se dit sur moi, autant ne pas le faire comme une fouine et répondre. Mon ami a aussi découvert qu’un blog estonien avait parlé de moi et que l’auteur s’était fait traduire des pages de mon livre (rires).
Tu surfes pour voir ce qu’il y a sur toi. Facebook, Twitter, c’est ton truc?
Je ne suis pas du tout technologie et je suis même souvent en retard sur ce genre de chose. Déjà MSN je l’ai eu trois ans après tout le monde. Depuis peu j’ai un compte Facebook où tout est restreint sinon j’aurai une impression de nudité totale, comme d’être en slip sur le bord de l’autoroute. Et si il y a bien un truc que Geneviève de Fontenay nous apprend en ce moment c’est que « La dignité est de ne jamais se montrer nu » (rires).
« J’ai un peu eu l’impression d’être une marchandise en vitrine que personne ne voulait »
«Je ne dis pas que le mariage blanc est la meilleure solution pour régler le problème des sans-papiers. Sinon il faudrait tous les épouser»
Jusque dans nos bras, Alice Zeniter, Albin Michel, 15,20 €, 238 pages
Source: Aurélie Achache | StreetPress