2 ans et demi de travail, des centaines d'interviews , soit «50 ans de contre culture» en images. Pour Dimitri Pailhe et Julien Potart réalisateurs du docu T-shirt stories y a-t-il vraiment «une différence entre un Botticelli et un t-shirt» ?
Alors, lequel des 2 en enfilant son t-shirt un matin s’est dit « Tiens, c’est tout doux ce truc ! De quoi est-il fait, qui est derrière tout ça » ?
Dimitri Pailhe: J’étais en vacances avec des potes. Le vin coulait à flot. II faisait très chaud, on était tous en t-shirt. Je me suis rendu compte qu’on était tous en train de se tirer la bourre sur nos t-shirts « Tiens moi j’ai ça ! » « Regarde ça !». On était là tous autour de la table, tous passionnés de musique et de graphisme, on se disait “T’as vu le t-shirt d’untel, il cartonne”. L’idée a germé comme ça.
Ce n’est pas votre première œuvre journalistique, mais c’est votre 1er docu long, un format inhabituel pour vous ?
Julien Potard: En fait ce qui est cool sur les formats longs c’est de pouvoir prendre un sujet et de le retourner dans tous les sens. A la différence d’une news où le sujet est un peu survolé. Sur format long, on a le temps de se dire « Il y a lui qu’il faudrait rencontrer… » qui nous amène à une autre personne, à un autre sujet et ainsi de suite…
Du coup le projet est un peu en constante évolution dans ces conditions?
J.P. : Surtout sur le thème du t-shirt ! Tout le monde connait quelqu’un qui fait des t-shirts, tout le monde a une histoire de t-shirt à raconter. Donc à chaque fois qu’on allait rencontrer des gens, ils nous disaient : « Il faut que vous alliez voir untel il va vous parler de cette période, de ce t-shirt… » On avait pas mal balisé le terrain et réfléchi au truc mais en se laissant l’opportunité de faire des rencontres et de pouvoir raconter d’autres histoires en cours de chemin.
D.P. : On a eu une latitude assez agréable avec notre production. Chaque fois qu’on partait en tournage on a toujours essayé de se garder 3 ou 4 jours un peu « freestyle ». Sur les tournages, c’est un peu comme une pelote de laine que tu déroules, une rencontre en appelle une autre. On avait par exemple une dizaine d’interviews calées et au final on en ramenait peut-être une vingtaine qui n’était pas du tout prévues. Et il y a des séquences dans le documentaire qui n’étaient pas du tout écrites. Il y a eu des supers rencontres.
%(bubble)Justement, quelle est la personne la plus inattendue que vous ayez
rencontré comme ça ?%
D.P. : Jonny Makeup . Un personnage génial, très attachant. Au premier abord il est déboussolant. On l’avait déjà rencontré en tournant « J’y étais » (l’émission qu’on fait avec Julien sur Konbini depuis 2 ans). On l’avait rencontré au défilé de Jeremy Scott et on avait vraiment eu un coup de cœur. En enquêtant pour rencontrer Dov Charney (l’un des plus important personnages de notre film et patron d’American Apparel), on s’est aperçu que c’était lui l’attaché de presse d’American Apparel. On a vraiment halluciné. Quand il est venu nous chercher, il était dans son personnage de Jonny Makeup: il s’en fout, il chante, c’est une comédie musicale vivante, il drague tous les mecs sur son passage… il dénote vraiment dans cette entreprise qui était à l’époque composée à 80% d’employés latinos qui travaillent dur même si c’est dans une ambiance sympathique. Et lui il arrive là-dedans…Au final, c’est un type assez profond.
J.P. : Pour moi, c’est une interview à laquelle on ne croyait plus vraiment, celle de Tony Alva , le 1er champion du monde de skate (1977). C’était un rêve de l’avoir dans le doc et qu’il nous parle de t-shirts parce que c’est le premier en tant que skater à avoir eu le logo de sa marque imprimé sur un t-shirt. Il a une galerie à Los Angeles qui n’était pas très loin de notre hôtel. On passait quasiment tous les matins là-bas. On avait envoyé des mails. On téléphonait. Et on nous disait « oui, oui, c’est bon. Pourquoi pas. Ca va se faire ». Un matin une interview s’est annulée, on en a profité pour passer à la galerie et là on tombe sur Tony Alva qui préparait une expo. On lui explique ce qu’on fait et il nous dit « Ok les gars, j’ai ¼ d’heure, on fait ça maintenant ». Au final on est restés presque 1h avec lui. Ca s’est très bien passé. Il a été hyper généreux. C’était un peu la dernière fois qu’on allait passer là-bas et on a eu un coup de chance comme il en arrive parfois en tournage.
D.P. : On le voulait vraiment depuis le début, pour ce qu’il représente parce que le documentaire c’est plus une ballade dans la contre-culture des 50 dernières années. Tony Alva c’est un mythe ! On s’est dit on tente le tout pour le tout. Essayons de ne pas perdre notre temps. On a été récompensés, il était assis là avec ses dreadlocks et sa casquette.
Il vous aura fallu près de 2 ans pour arriver à la version qui sera diffusée sur Canal+ mercredi, est-ce que c’était un parcours plein d’embûches ou finalement le sujet vous a facilement ouvert les portes ?
D.P. : Ca nous a pris plus de 2 ans et demi. On a eu la chance de faire un article dans Wad, je remercie Romuald de Lazy Dog qui nous a commandé cet article, écrit à 4 mains. En le faisant, on s’est vraiment dit qu’il y avait de quoi faire un documentaire. Je travaillais chez Canal+, on a eu l’opportunité d’aller frapper à la bonne porte. Mais à partir du moment où le dossier est posé sur un bureau, c’est assez compliqué : ça passe dans des commissions, ensuite il faut réécrire le projet… La phase la plus longue étant la production où il faut convaincre des chaînes étrangères de financer. C’est assez coûteux à réaliser : il y a les voyages, beaucoup d’archives, la musique, les différentes droits à payer.
Tout coûte cher dans un documentaire. La grosse difficulté, c’est d’obtenir tous les droits sur la moindre photo, les accords des gens, des autorisations de diffusions, donc des négociations. Certains photographes, comme Roberta Baylay (photographe mythique de la scène punk new-yorkaise), nous ont laissé utiliser leurs photos parce qu’ils aimaient bien le projet, alors qu’ils les vendent pour une fortune… On n’a pas fait une enquête sur le nucléaire, c’est un thème joyeux et ludique. Les gens ont spontanément eu envie de participer. Mais ce n’est pas forcément un sujet évident à vendre aux chaînes. On a du redoubler d’effort.
J.P. On voulait pas du tout faire un sujet polémique, donc quand on démarchait les gens il n’y avait pas trop d’enjeux pour eux. Le seul qui aurait pu refuser c’est Dov Charney .
Surtout qu’il était en position délicate à l’époque
J.P. Oui c’est un personnage assez sulfureux qui a pas mal de procès derrière lui et pas mal de soucis à l’époque avec une boîte à faire tourner. C’était le seul qui aurait pu nous fermer la porte, et il ne l’a pas fait. C’était hyper dur de l’asseoir à son bureau et de le faire parler, mais une fois que c’était lancé il a coupé son téléphone et on a eu une interview d’1h30 où il s’est livré. Il nous a raconté des choses qu’il n’avait jamais racontées auparavant. Des gens de sa com nous disaient « c’est incroyable, ça fait 2 ans qu’il ne parle plus à la presse comment avez-vous réussi? » Donc après lui c’était un peu plus facile de bosser, quand on disait qu’on avait son interview, surtout aux Etats Unis, c’était une bonne caution.
On n’a pas fait une enquête sur le nucléaire, c’est un thème joyeux et ludique
Ce n’est pas forcément un sujet évident à vendre aux chaînes
Votre documentaire est drôle, festif et joyeux, à votre image, et c’est plutôt un hommage aux cultures alternatives, mais on voit bien avec Dov Charney et tout ce qu’on peut imaginer des énormes industries qui exploitent cette pièce de coton, que l’univers du t-shirt est un monde sans pitié, est ce que cela pourrait faire l’objet d’une suite ?
D.P. : On est en train d’y réfléchir, parce qu’il y a énormément d’histoires qu’on a pas pu raconter. On était tenu de respecter un format de 52 minutes, ce qui est très court. C’est très difficile de résumer 50 ans de contre-culture. On est passionné par ces mouvements contre-culturels, ces histoires de l’underground chères à Jean-François Bizot, le créateur de Nova. On a encore en stock au moins une vingtaine d’histoires. Si le film est bien accueilli, pourquoi pas travailler sur une V2.
Quand on voit certains passages du film, je pense notamment au Japon et à ces créateurs qui n’ont pas l’air de bien comprendre ce qu’ils impriment sur leur t-shirt, on se dit que vous avez du vivre certains chocs culturels ?
J.P. : Il faut savoir qu’au Japon, ils sont fans de vintage américain et on est tombés sur un t-shirt qui représente Hitler « European tour » et des noms de camps de concentration présentés comme des dates de concerts. C’est un t-shirt qui pour nous en tant qu’européen avec tout notre background, nous a tout de suite choqué…Mais au Japon ça passe ! On est par la suite retombé sur ce t-shirt à Londres, on s’est dit «on va l’acheter…? » et en fait on est resté peut-être ¼ d’heure devant le t-shirt à hésiter et au final on n’a pas pu. On ne se voyait pas le ramener. Ça nous mettait trop mal à l’aise.
D.P. : On voulait l’acheter pour nos archives. Mais on n’avait pas envie d’avoir ça dans nos placards. Au Japon, ils sont passionnés de graphisme. Ils adorent tout ce qui vient d’Europe et des Etats-Unis, et ils ne font pas toujours la distinction. Ils parlent souvent très mal anglais et pour eux ces sujets là sont loin. C’est vrai que ça a été un choc lorsque le type de la friperie nous a sorti ce t-shirt. Mais pour lui c’était naturel, il était complètement déconnecté de l’histoire. Il trouvait le graphisme hyper cool. Ca nous a scié les jambes. N’achetez pas ce t-shirt !
Le t-shirt ne mourra jamais !
Tout coûte cher dans un documentaire
Qui auriez vous ligoté et enfermé dans son placard pour lui voler sa collection?
J.P. : Cobra Snake ! Il a une sacrée collection ! C’est ce qu’il dit dans le film : il peut porter des t-shirts pendant 2 ans tous les jours sans jamais mettre le même. Et encore je suis sûr qu’il est loin du compte. Il a des t-shirt partout : dans sa cuisine, par terre…partout ! Dans le lot il y en a des vraiment cools.
D.P. : C’est vraiment le « t-shirt digger ». Avec sa banane, son short, il fait toutes les énormes friperies de Los Angeles. Il est connu comme le loup blanc. Et il amasse. Il a l’œil, l’art de repérer un bon t-shirt. On hallucine sur les prix qu’il pratique. C’est avant tout un sacré businessman. Il surfe un peu sur cette vague du « ridicool » ; mais en même temps, il vend des pièces de pop-culture américaine. Et au-delà de ça, c’est un type hyper gentil, toujours entouré de filles. Toujours ok pour sortir son appareil photo.
Vous avez rencontré des créateurs, designers, graphistes, est-ce que cela vous a davantage donné envie de consommer de l’art ailleurs que sur un T-shirt?
D.P. On consomme déjà pas mal d’art et de graphisme. C’est vrai que le t-shirt c’est le vecteur le plus simple et le moins cher pour faire la promo de son groupe, exposer une idée…c’est un peu la base. Certains considèrent que ça ne peut pas être une pièce d’art, mais au contraire. Je pense notamment à un t-shirt que Terry Richardson nous a montré : un t-shirt d’un jeune fan de GG Allin , chanteur de hardcore mort d’une overdose qui avait pour habitude de déféquer sur scène lors de ses concerts. Terry Richardson a acheté une fortune un t-shirt à ce gamin avec la photo de lui posant avec le chanteur et avec son t-shirt souillé signé par GG Alin. Pour moi c’est une pièce d’art, c’est toute la pop-culture qui est sur ce t-shirt. Alors que c’est qu’un bout de tissu mais par ce qu’il symbolise, par ce qu’il y a dessus et par la signature, en plus accompagnée de la photo… c’est une super pièce !
J.P.: On a aussi rencontré Marco Guetta, un français qui a fait fortune aux Etats-Unis. Dans les années 80, il récupérait les t-shirts qui étaient jetés et destinés à être découpés dans des lieux où on en faisait des chiffons pour laver les voitures. Lui avec d’autres illuminés, les récupérait et s’est constitué un stock incroyable. Il a ouvert le 1er magasin vintage sur Melrose qui s’appelle t-shirt Vintage. Pour l’instant il ne vend que des t-shirt des années 80, il n’a pas encore sorti les pièces des années 90. Dans ce magasin il a un espace réservé aux VIP et derrière encore, il y a un endroit pour les stars.
D.P. : Les Britney Spears…Alice Cooper…
J.P. : Michael Jackson est venu, Tom Cruise…
D : Tout le monde va là-bas…
J.P.: …pour chercher des pièces. Ce qu’il nous disait, c’est que la prochaine étape ce serait de faire des expos de t-shirts et de mettre ceux qui coûtent le plus chers sous cadres. Et c’est vrai, que ça se prête vachement à ça.
D.P.: Il y a bien sûr une différence entre un Botticelli et un t-shirt. Mais pour notre génération, ça représente beaucoup. Chacun a un t-shirt dans son armoire c’est ça qui est cool. C’était un peu le point de départ de t-shirt stories. On s’est posé plein de questions : est-ce qu’un t-shirt a déjà changé la vie de quelqu’un ? Et oui par exemple Daniel Johnston : Kurt Cobain a porté son t-shirt en 92 quand il remporte le MTV Music Awards .
Du jour au lendemain, tout le monde veut savoir d’où sort le t-shirt de Kurt Cobain, l’idole ultime à cette époque. Daniel Johnston sort du bois: tournées, concerts, show sur MTV…Lui qui était déjà un peu instable est devenu une célébrité et n’a pas du tout géré le succès, et derrière, s’est fait 10 ans d’hôpital psychiatrique. Donc c’est fou de voir la puissance d’un t-shirt !
Un message à transmettre à vos enfants lorsqu’ils commenceront à vous parler de T-shirt?
J.P.: Je leur interdirais ma collection ! Nan, c’est cool : tous les gens qu’on a rencontré portent des t-shirts qui leur rappellent leur enfance… C’est comme des photos qu’on est content de revoir. J’ai des t-shirts que je ne mets plus mais que je ne jetterai jamais, je suis juste content de savoir qu’ils sont là.
D: Souvent ça rappelle un bon moment. On va à un concert, on s’achète le t-shirt, les autres sont jaloux « - waaah t’as été à ce concert ?! – Ben ouai mec !». Par exemple un t-shirt d’Iron Maiden qui faisait des t-shirt différents pour chaque date, chaque ville. Aujourd’hui on pirate la musique sur Internet mais on ne peut pas sortir à poil donc on s’achète les t-shirts. C’est Dov Charney qui le souffle dans le documentaire « Le t-shirt ne mourra jamais !».
Au Japon, on est tombés sur un t-shirt qui représente Hitler « European tour » et des noms de camps de concentration présentés comme des dates de concerts
bqhidden. La prochaine étape ce serait de faire des expos de t-shirts et de mettre ceux qui coûtent le plus chers sous cadres
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