Vedette parmi la communauté Rom de Saint-Denis, Izabela anime une troupe de danse traditionnelle. A bientôt 18 ans, la jeune fille s'oriente vers un BTS comptabilité mais son rêve c'est de « vivre de la danse. »
Avant de pouvoir rencontrer Izabela, il a d’abord fallu demander l’autorisation à sa maman, qui nous a ensuite présenté le papa, Micha, qui nous a enfin permis d’aller parler à sa fille. Car Izabela, c’est l’enfant prodige de la famille, la danseuse vedette – et « présidente » – d’une petite troupe composée d’enfants et d’ado Roms, pour laquelle son père Micha s’improvise impresario.
Tous les samedis, ils se réunissent de 14 h à 18 h pour préparer leur spectacle – nous les avons d’ailleurs rencontrés à la fin d’une représentation au squat le 6B, à Saint-Denis. Sur scène, Izabela oublie sa timidité, non sans chercher de temps à autre le regard de son père pour se rassurer. Les petites filles Roms de la troupe, elles, la regardent avec admiration. Izabela, c’est un peu leur modèle à toutes.
Izabela en pleine représentation
Pourquoi est-ce que tu as créé cette troupe ?
Au début, je participais à des ateliers dans l’association Parada (une ONG franco-roumaine pour les enfants des rues) quand je vivais dans le camp du Hanul, à Saint-Denis. Avec Parada, on faisait du théâtre, des travailleurs sociaux nous aidaient à faire nos devoirs etc… Mais à un moment, ils sont partis du camp, parce qu’ils n’avaient plus d’argent je crois. Alors on a commencé à se réunir entre nous pour continuer. Et puis un ami français nous a expliqué que même si on n’avait pas 18 ans, on pouvait créer une association junior. Et c’est ce qu’on a fait. Ici, il y a des enfants de 4 ans à 17 ans qui viennent de plusieurs camps sur Saint-Denis.
C’est quoi la danse que tu leur apprends ?
La danse traditionnelle des gitans de Roumanie, et un peu de danse orientale, ce qui est assez proche. Mais la danse Rom, c’est beaucoup plus facile que la danse orientale ! Pour les garçons c’est plus difficile, mais pas pour les filles, car on ne danse qu’avec les pieds. On a des répétitions les samedis de 14h à 18h. Je prépare les chorégraphies chez moi, soit toute seule ou avec ma cousine, et je les montre aux enfants. Après on voit avec eux si on rajoute des mouvements ou pas.
Moi j’aime danser depuis que j’ai 4 ans. Petite, quand je me baladais dans la rue et que j’entendais de la musique, je disais à mon père : « non, moi je reste là ! » et je me mettais à danser ! Mais c’est vraiment quand j’étais à l’association Parada que je me suis mise à fond dedans. Je devais avoir 10 ans, je faisais mes premiers spectacles.
Il y a un spectacle dont tu es plus fière que les autres ?
Peut-être celui au Zénith de Paris en 2009. Il y avait une journée spéciale Rom. Je me souviens que quand je suis arrivée dans la salle, j’étais terrifiée ! Il y avait énormément de monde ! C’était rempli, parce qu’avant nous, il y avait des chanteurs célèbres. On me disait : « mais non, ce n’est rien ! » Mais je ne voulais vraiment pas y aller ! Ce qui est bien, c’est que là-bas, on a pu rencontrer le groupe Kesaj Tchave, des enfants qui venaient de Slovaquie. Maintenant, on les retrouve 2 à 3 fois par an. Ils viennent à Paris, on danse avec eux.
Isabela, ze story
> Avril 1995 : Naissance à Timisoara, en Roumanie.
> 2000 : Arrivée en France. Izabela est scolarisée dès sa première année.
> 2006 : Vit au camp du Hanul à Saint-Denis.
> 2008 : Partage un pavillon avec 2 autres familles de Roms à Saint-Denis.
> 2011 : Emménage avec ses parents dans un appartement à Rosny-Sous-Bois.
> 2012 : Entre en 1ere professionnelle, option comptabilité.
C’est qui tes amis ?
Ma seule amie, c’est ma cousine. Il y a les filles du lycée mais ce n’est pas pareil. Elle, c’est la seule que je considère parce qu’on a grandi ensemble. Depuis que j’ai 5 ans, je ne me suis jamais séparée d’elle. On habitait ensemble, on mangeait ensemble, on dormait dans le même lit. C’est comme une sœur pour moi. On se balade. On va manger à Paris. Les coins que j’aime bien c’est la Tour Eiffel, l’Arc-de-Triomphe, les Champs-Elysées.
Au collège on était ensemble, mais maintenant on n’est pas dans le même lycée. Elle me manque trop. On ne se voit plus trop en plus, parce qu’elle habite à Saint-Denis. Seulement, le mercredi après-midi, mais ce n’est plus comme avant. C’est triste. J’ai d’autres amis, mais elle c’est la meilleure. Il n’y a personne qui peut la remplacer…
Quels sont tes objectifs pour l’année qui commence ?
Là je suis en première comptabilité et j’espère passer en terminale. Après le bac, je voudrais faire un BTS. Vivre de la danse, c’est ce dont je rêve. Mais déjà, je vais devoir partir de l’association en avril parce que j’aurai 18 ans. Donc il va falloir que je trouve quelque chose d’autre. Bon je resterai, mais ce ne sera pas officiel ! Là, je veux refaire du cirque. Lundi je vais au cirque Fratellini, c’est à 15 minutes d’ici. Un très grand cirque. C’est un truc de fou le cirque, j’aime vraiment. Ma spécialité, c’est le trapèze. J’ai débuté quand j’avais 7 ou 8 ans et grâce à ça, je suis devenue souple.
Tu gardes quel souvenir du camp du Hanul ?
Il y en a plein ! C’était bien quand il y avait les ateliers. Mais ce que je n’aimais vraiment pas, c’est quand il y avait la police à 6 heures du matin. Ils nous réveillaient. A 7 heures et demi, on devait partir à l’école mais ils ne nous laissaient pas y aller. Puis pendant 2 ans, il n’y avait ni eau ni électricité. Heureusement le maire de l’époque, il a fait un contrat avec nous : il a mis des toilettes, des poubelles, des douches… Et après c’était bien.
On t’a déjà embêté au lycée à cause de tes origines ?
Aujourd’hui, ça se passe très bien. Mais en 6e, je me rappelle, j’avais des problèmes avec un garçon qui m’insultait tous les jours. J’ai dû aller à la CPE, puis ils l’ont viré du collège. Il m’embêtait trop, ne me laissait jamais tranquille. Il me disait « sale gitane ».
Il était peut-être amoureux de toi ?
Je ne sais pas ! Mais je le recroise maintenant. Il est là genre « ouais, Izabela, tu fais quoi maintenant ? » Mais je lui dis de me laisser tranquille. Je ne veux plus lui parler. Il m’embêtait trop.
Ce que je n’aimais vraiment pas, c’est quand il y avait la police à 6 heures du matin.
Parce qu’au delà des grands concepts (le chômage des jeunes ou la question des Roms), il y a des réalités complexes à découvrir et surtout… des vrais gens, qui vivent ces situations de manières diverses, avec chacun leurs personnalités.
Chaque jeudi sur StreetPress, on vous présente un(e) jeune Rom. Si vous regardez trop TF1, vous risquez d’être surpris.