11/09/2012

Chapeau noir, papillottes et porno full screen

« Frum Porn » : Le porno juif ultra-orthodoxe est-il casher ?

Par Johan Weisz

Apparu en 2009, le porno juif ultra-orthodoxe met en scène des acteurs lookés en juifs religieux. J'ai demandé à mon rabbin si la religion l'autorisait. Réponse: Erotisme oui. Porno casher, certainement pas.

« Non maman, ça n’est pas parce que j’écris un article sur le “Frum Porn” que je regarde ces choses-là. » Ma mère est une mère juive et l’idée que je regarde sur le net les ébats filmés d’un couple – certes juif ultra-orthodoxe – n’avait pas l’air de la rassurer.

La première personne qui m’a tuyauté sur les vidéos de Frum Porn est une pote journaliste qui a fait des séjours fréquents dans les communautés juives ultra-orthodoxes new-yorkaises. Ce sont ces communautés qu’on appelle « frum » (prononcez « froum »), qui signifie « pieux » en yiddish. Dans les communautés frum, on parle le yiddish, les hommes portent des shtreiml (chapeaux de fourrure) 24h/24, les femmes mettent des fichus sur leurs perruques, pour être bien sûres que la pudeur est respectée, et tout le monde vit dans l’observance de la Torah. Ou presque: ma pote m’avait déjà à l’époque parlé des rabbins qui trompaient leurs femmes, mais on est bien loin de ce que je vais vous raconter ici.

Rachel et Esther

Le porno juif ultra-orthodoxe a débarqué sur le net il y a 3 ans. Des jeunes en rupture de ban avec leur communauté lancent FrumPorn.com, un site construit à l’arrache avec des photos amateurs. Tous ceux qui posent sont lookés comme des juifs orthodoxes : kippa noire, talit katan (carré de tissu porté sous la chemise) pour les hommes, fichus, robe longue et bas pour femmes, la plupart du temps avec les visages floutés.

Puis apparaissent les premières vidéos : elles sont titrées en yiddish avec des titres évocateurs, comme « David et Déborah » ou « Sexe comme à la maison ». Dans « Rachel et Esther », une actrice tout droit sortie de Youporn part en 69 avec une mama yiddish :

« Rachel et Esther sont de bonnes copines. Elles aiment être ensemble pour faire du shopping ou pour shabbat. Parfois elles prennent du bon temps en plus… »

Chapeau noir et porno full screen

Je crois que c’est cette vidéo qui a convaincu les mecs de la rédaction que ce phénomène « chelou », dixit notre red-chef Robin D’Angelo, valait un sujet. Perso, ce qui m’a motivé pour commencer cette enquête, c’est la rencontre fortuite avec un jeune ultra-orthodoxe, perdu avec son chapeau noir au fond d’un cybercafé de Tel Aviv, en train de mater un gros porno en plein écran. Dans ce microcosme où la télé et les smartphones sont proscrits et où l’usage du net est réservé uniquement à des fins professionnelles, une fille aux épaules découvertes est une perversion extrême et le porno un tabou total.

Hasidic porn

« Nous sommes basés à New-York, nous sommes frum et nous aimons le sexe et le porno. Nous avons voulu faire quelque chose de fun et que nous aimions », me répondent par mail les fondateurs de Frumvids, qui confirment que leur audience de niche est d’abord constituée de « juifs ultra-orthodoxes, mais nous ne discriminons personne, nous aimons tous les juifs :) ».

Je leur demande comment ils trouvent les acteurs qui tournent dans leurs films. Réponse :

« No comment – nous aimons faire ces choses là pour le fun, et nous ne voulons pas de “tzorus” (problèmes, en yiddish) pour nous ou ceux qui bossent avec nous. »

Sur le net, les internautes sont avides de porno feuj. Le blogueur Heshy Fried s’amuse des mots clés tapés par les gens qui arrivent sur son blog Frumsatire : on y vient chercher du “porno hassidique” ou “bukharian”, la “Yeshiva porno star” ou encore du “sheitel porn” (“sheitel” signifie en yiddish “perruque”, que portent les femmes orthodoxes). Je passe sur les recherches google sur “la femme du rabbin porno” ou “masturbate porn on shabbath”.

D’un côté, une minorité de juifs ultra-orthodoxes, écrasée par la pression imposée par la communauté, se retrouve en silence sur ces sites, envoyant des photos ou consommant des vidéos. De l’autre côté, certains franchissent le pas, rompent avec la communauté, et passent du côté porno de la force.


VideoYour Good Friend, un mockumentary signé Matthew Jacobs

Je repense à La Lamentation du Prépuce, le roman de Shalom Auslander, un écrivain de la nouvelle génération d’auteurs juifs américains : Le personnage principal, largement inspiré de la vie d’Auslander, est élevé dans le monde ultra-orthodoxe. Il raconte comment, jeune enfant, il brûlait dans le jardin les magazines pornos qu’il trouvait dans la chambre de son grand-frère. Et comment, jeune adulte, il envoie bouler la religion et se paye le même jour un cheeseburger (non casher) et une pute. Il y a aussi à Joanna Angel, actrice et productrice d’“alt porn” made in Brooklyn. Celle qui a remporté le AVN award pour la “Most outrageous scene” dans Re-Penetrator a rompu avec le milieu frum mais continue à jeûner chaque année, comme le veut la tradition, le jour de kippour.

Porno casher ?

Comme si un porno casher était possible. « Tu sais quoi, tu devrais en parler à ton rabbin ! ». C’est Camille qui me dit ça. Camille est un photo journaliste génial qui traîne souvent à la rédac. Il a des bonnes idées, Camille. Alors j’appelle mon rabbin :


Allô Yeshaya, alors voilà j’écris un article sur le Frum Porn, je suis désolé de vous embêter avec ça, mais ça m’aiderait bien si vous acceptiez de répondre à de rapides questions – je peux ne pas citer votre nom, ça n’est pas un problème…

« Non au contraire, c’est amusant comme sujet ! »

Bon alors voilà, vous pensez que c’est possible un porno casher ?

« Je répondrais que le judaïsme ne censure pas le plaisir charnel ou l’érotisme. Le célèbre Cantique des cantiques (attribué au roi Salomon, ndlr), quand on va le lire directement en hébreu, est éminemment érotique. Mais la pornographie, c’est non. Parce que le judaïsme prône de ne pas tout dire, ni tout voir. Il y a évidemment aussi le problème éthique des conditions de tournage, qui sont souvent des conditions dégradantes. »

Sauf que si on parle de pornographie amateure, comme une sex-tape, là les acteurs sont consentants…

« Certes, mais le problème le plus important, c’est ce qui se passe de l’autre côté de l’écran : Dans la tête de celui qui la regarde, l’actrice porno n’est plus une personne. Il ne sait ni même quelle langue elle parle, ni d’où elle vient… Celui qui regarde ce film a l’impression de ne rien faire de mal, car il ne fait que regarder, mais pourtant il nie l’humanité de la personne qui joue dans le film ».

A quoi ressemblerait un porno casher ? Le comédien et blogueur Chicky Winkelman s’est penché sur la question dans un post sur son site Hipsterjew:

« Si je devais deviner à quoi ressemblerait du porno casher, j’imagine qu’on y verrait un jeune couple religieux, fraîchement marié, assis paisiblement pour un diner de shabbat. Après un repas traditionnel, ils ont bu un peu trop de vin et partent se tripoter dans leur chambre. Après avoir écarté vraiment le plus possible la lampe de shabbat, ils font ce qu’ils ont à faire. Leurs vêtements s’envolent partout, et les cheveux de la jeune mariée virevoltent.»

Casher ou pas, combattu par les rabbins, le porno frum a mal vécu l’arrivée des tubes, les Youporn et autres Pornotube, qui agrègent des milliers de vidéos uploadées par des internautes. Des quelques sites qui proposaient du frum porn, il ne reste plus que frum vids. Car les youtube du X ont sur leurs disques durs des tera-octets de vidéos pour répondre aux fantasmes les plus exotiques des internautes. Sur pornhub, la “jewish girl” n’est pas un hit mais elle est accessible gratuitement en un clic. Le performeur grimé en juif orthodoxe qui prend l’actrice agrippée à un chandelier à 7 branches est streamable. C’est vulgaire, ultra-cliché, bien commercial et ça marche.

Quand l’ultra-orthodoxe en rupture de ban se transformait en pornographe hipster, l’hérésie du frum porn avait ce petit quelque chose de révolutionnaire. Mais 3 ans plus tard, c’est déjà à ranger au rayon du vintage. Sauf que les créateurs de Frumvids m’ont confié avoir dans leurs cartons un projet qu’ils voient déjà faire un tabac, un « site juif orthodoxe 100% gay ». Parce que « bizarrement, c’est plus facile de trouver des gens intéressés par ça ».

Le yiddish était une langue vernaculaire, utilisée au quotidien par les Juifs de Berlin à Moscou, à distinguer de l’hébreu qui était réservé à la prière et à l’étude religieuse.

En yiddish, « frum » – prononcez « froum » – signifie pieux ou dévot. Voilà pourquoi les ultra-orthodoxes issus du monde ashkénaze s’appellent des Frum.