04/09/2012

« Il suffit que tu galères à brancher ton micro pour que tout le monde rigole »

Précarité et impréparation : l'entrée dans l'arène des jeunes profs de facs

Par Paola Schneider

Sur StreetPress, des jeunes chargés de cours racontent leur premier amphi. Avec, souvent, comme pour Coline, la sensation de ne pas avoir été préparé : «Tout ce qu'on m'a fourni, ce sont des photocops poussiéreuses de Bescherelle.»

Coline*, 26 ans, vacataire à Paris 3

Stressée de très mal gagner sa vie

Première rentrée pour Coline hier et pour l’occas’, elle s’est acheté… de nouvelles chaussures. Pas pour être la plus belle, mais pour paraître un peu plus « Madame ». Thésarde en histoire de l’édition, elle donne deux cours qu’elle a eu elle-même quand elle étudiait en master.

Le relooking a fait son effet ? Les étudiants m’ont quand même regardé d’un air soupçonneux quand je suis entrée dans la salle ! Genre, c’est notre prof elle ? Surtout les étudiantes qui ont entre 21 et 24 ans et qui m’ont parues plus âgées que moi avec leur fond de teint et leurs beaux sacs. Mais ça c’est bien passé, dans l’ensemble, ils étaient mignons et sages !

T’avais été bien conseillée pour ton premier jour ? Je devais récupérer les cours de mon prédécesseur, mais ça n’a rien donné. À la fac, au mois d’août, tout le monde est en vacances, personne ne répond. Tout ce qu’on m’a fourni, ce sont des photocops poussiéreuses de Bescherelle qui traînaient au fond d’un carton. Dans le master où j’enseigne, la moitié des profs sont novices, quand on s’est retrouvés pour la pré-rentrée, ils n’en savaient pas plus que moi.

C’est quoi le plus stressant ? Perso, j’ai plus le stress de ne pas avoir assez d’argent pour vivre que celui de me retrouver face aux étudiants. D’un point de vue financier, être vacataire, c’est un peu la misère. En moyenne, on est payé entre trois et six mois après la fin des cours. Alors quand, comme moi, tu fais une thèse sans être financée en parallèle, c’est très difficile. Etre vacataire, c’est présenté comme une opportunité de financer tes recherches alors qu’en réalité tu dois vivre avec des thunes que tu n’as pas.

Et pourtant, leur statut ne devrait pas s’améliorer de sitôt. Déjà, à la fin de l’année universitaire 2010-2011, les jeunes profs de fac ont dit adieu aux allocations de recherche et aux moniteurs d’initiation à l’enseignement supérieur (MIES), bref au monitorat. Ce statut a été remplacé en 2009 par le contrat doctoral. Mais personne ne sait plus trop où se planque ce beau CDD de trois ans, censé être rémunéré mensuellement.%

Alix, 28 ans, chargé de cours à Paris 8

N’a pas dormi la veille

Deuxième rentrée pour Alix, il a commencé l’an passé alors qu’il était en 3ème année de doctorat de sciences de l’information et de la communication. Son job, c’était d’apprendre à ses étudiants à avoir une lecture critique de l’actu. « Je leur apprends à analyser ce que vous écrivez quoi ! »

La première fois que t’es entré dans un amphi, t’as ressenti quoi ? La première fois, ça fait bizarre de se retrouver devant 180 paires d’yeux qui te matent. J’ai un groupe de musique donc la scène, je connais un peu, mais là t’es tout seul. Il suffit que tu galères à brancher ton micro pour que tout le monde rigole.

Tu t’étais préparé comment ? J’étais très stressé, j’avais rencontré d’autres chargés de cours qui m’avaient conseillé. Je me posais même des questions cons du genre « qu’est-ce que je fais quand j’arrive ? Je fais l’appel ? » La veille, j’ai pratiquement pas dormi. T’es jeté dans l’arène tout de suite sans aucune formation et t’apprends sur le tas.

Tes étudiants t’ont fait galérer ? Là où j’appréhendais, c’était au niveau de l’autorité, surtout que Paris 8 c’est un peu particulier. Quand ils ne sont pas d’accord avec toi, certains étudiants te le manifestent de manière virulente, limite ils t’agressent verbalement. Ça m’a un peu déstabilisé, et surtout c’est fatiguant. Il faut toujours être alerte et organiser tes idées pour pas te laisser bouffer.

Être prof c’est la classe comme même (sans aucun jeu de mots) ! C’est vrai qu’il y a des trucs inhabituels, comme ces étudiants qui te donnent du « Monsieur ». Mais je me régale, c’est hyper enrichissant. Et puis c’est vrai qu’avoir la parole et des gens qui t’écoutent, c’est flatteur pour l’égo. C’est un mélange de sentiments, une appréhension qui se transforme en assurance.

> Agent temporaire vacataire / Chargé de cours : Doctorant de moins de 28 ans ou retraité de moins de 65 ans, le chargé de cours ne devrait intervenir qu’en licence. Il n’est censé assurer que des cours de travaux pratiques ou travaux dirigés. Dans la réalité, on lui refile souvent des promos de master et parfois des cours magistraux. Dans la limite d’un nombre d’heure annuel (en moyenne, une centaine d’heures.)

> Chargé d’enseignement vacataire : C’est un intervenant extérieur. Il est salarié, travailleur indépendant ou chef d’entreprise (enfin normalement).

> ATER (Attaché temporaire d’enseignement et de recherche) : Doctorant employé en CDD, l’ATER est recruté par les universités pour combler le manque de titulaires. Il est mieux payé qu’un vacataire, et ce chaque mois, mais coûte moins cher qu’un enseignant-chercheur. C’est un peu le Graal des doctorants.

Delphine*, 26 ans, ATER à Paris

Difficile d’enseigner à des élèves qui ont le même âge que soi

La première expérience de Delphine comme prof, c’était il y a deux ans. Elle était en 3e année de thèse de philo et a été « balancée » chargée de cours de TD en L3 langage et éducation.

Comment tu es devenue prof ? Mon directeur de recherche était dans l’incapacité de faire cours. Il m’a appelée un jour et m’a demandée d’assurer un TD le lendemain. Être débauchée 24h à l’avance et ne recevoir aucune aide, ça provoque pas mal de stress. Quand je suis arrivée, les étudiants n’étaient pas prévenus non plus, ils étaient assez sur la défensive.

Tu gardes quoi comme souvenir de cette première fois ? La plus grosse difficulté a été que je me suis retrouvée avec des élèves qui avaient plus ou moins mon âge. C’était une classe de 20 ou 30 personnes. Je me souviens de deux étudiantes en particulier qui avaient déjà un certain bagage de connaissances sur le sujet. Elles ont voulu me tester, c’était ma légitimité d’enseignante qui était attaquée.

Ça t’a ouvert les yeux sur ton attitude quand tu étais toi-même étudiante ? C’est vrai que je ne me rendais pas compte à quel point les bavardages peuvent être déstabilisants. Par contre, en tant que prof, j’ai tenté de ne pas reproduire ce côté anonyme qui me dérange profondément à l’université. L’attitude « je suis chercheur donc je balance mon cours parce qu’il le faut mais je m’en fous », je ne supporte pas ça.

Tu as obtenu un poste d’ATER depuis, à quel prix ? C’est la croix et la bannière. Les ATER ont un véritable statut d’enseignant-chercheur sous CDD et sont donc mieux rémunérés que les vacataires (voir le portrait ci-dessus de Coline). Mais les places sont rares et il faut développer des stratégies incroyables, montrer que tu es prête à te battre corps et âme pour un poste considéré comme une perle rare.

Je ne me rendais pas compte à quel point les bavardages peuvent être déstabilisants.

Nicolas*, 29 ans, chargé de cours à Cergy

Déstabilisé par les filles qui le séduisent

Nicolas est doctorant en sociologie, il est en deuxième année de thèse lorsqu’il donne son premier cours à Cergy. Face à lui, quelques étudiants plus tous jeunes à qui il doit apprendre à écrire un mémoire.

Prof de fac, c’est dans un amphi perché sur une estrade ? La première fois, j’ai donné cours à des gens qui avaient 20 ans de plus que moi, notamment des femmes mariées déjà entrées dans la vie active, et on n’était pas dans un amphi. Ce qui m’a le plus surpris, d’ailleurs, c’est le peu de distance entre eux et moi. J’avais déjà été prof de lycée, tu es au tableau, ça te protège un peu. Là, je me suis retrouvé assis à côté des étudiants. Ils pouvaient voir ce qu’il y avait sur mon ordi, voir si j’étais stressé. C’est déstabilisant d’être regardé par les gens d’aussi près !

As-tu déjà été décontenancé par l’attitude d’un étudiant ? L’année d’après, j’ai donné cours à une centaine d’étudiants et parmi eux, il y avait seulement… trois garçons. Du coup, les filles jouent sur la séduction pour te déstabiliser, du genre « Monsieur vous êtes trop fort. » Quand tu leur annonces que tu pars en conférence la semaine d’après, c’est « prenez-moi dans votre valise ! »

Quand on est doctorant, on fait comment pour obtenir des heures ? C’est une affaire de politique. Dans le milieu universitaire, tout le monde se connaît. Tu appartiens à un labo et tout dépend de sa réputation et du pouvoir de ton directeur de thèse. Il faut te faire connaître car tu as besoin d’être chargé de cours pour décrocher une qualification de maître de conférences. Pourtant, c’est un peu l’arnaque. Un vacataire touche environ 40 € de l’heure alors que dans la réalité, une heure de cours représente 2 à 5 heures de préparation, plus les déplacements, la correction de copies etc… Et puis, question outils pédagogiques, pour avoir un feutre, c’est la misère !

Tes devises en tant que prof ? Je valorise ceux qui viennent en cours et qui travaillent régulièrement, mais j’essaie de ne pas être trop strict sur les délais. Tu peux me rendre un dossier avec 2 ou 3 jours de retard, tant que ce n’est pas deux semaines après tout le monde !

C’est déstabilisant d’être regardé par les gens d’aussi près !

Sébastien, 25 ans, intervenant à Metz

A donné un cours devant son ancien prof

Sébastien n’est pas doctorant. Il s’est arrêté après un master pour devenir photojournaliste freelance. Mais l’année dernière, il s’est invité comme intervenant extérieur au sein de la licence webjournalisme de Metz. Avec un peu de chance, cette année, c’est reparti pour un tour.

Comment tu as décroché ton poste ? Un pote à moi faisait son année là-bas, en licence pro webjournalisme. Il me racontait que leur projet de fin d’année était un webdoc mais qu’ils n’avaient pas eu de cours sur le diaporama sonore. Alors j’ai appelé le directeur de la licence, qui avait été mon prof, pour me proposer comme intervenant extérieur. Il a accepté.

Le plus déstabilisant ça a été quoi ? Ce qui a été marrant et à la fois stressant, c’est quand il [le directeur de licence] est entré dans la salle et m’a demandé : « ça ne te dérange pas si j’assiste au cours ? » Ça m’a foutu un bon petit coup de pression de me retrouver à faire cours devant quelqu’un qui avait été mon prof – en plus c’est un chercheur que je respecte beaucoup.

Et avec les étudiants ? C’est un peu intimidant au début mais très vite, l’ambiance s’est détendue. Ça s’est déroulé sur une journée, avec une matinée plus théorique et un après-m’ en mode atelier. Résultat, je n’ai même pas vraiment eu le sentiment d’un rapport de prof à élève, mais plutôt d’un échange, d’une mise en commun de connaissances.

div(border).

Et vous, votre premier amphi ?

Vous êtes un jeune chargé de cours ou un vacataire précaire ? Vous avez donné vos premiers cours cette semaine ? Racontez-nous vos premiers amphis. Une seule adresse : redaction@streetpress.com