Sur StreetPress, des jeunes chargés de cours racontent leur premier amphi. Avec, souvent, comme pour Coline, la sensation de ne pas avoir été préparé : «Tout ce qu'on m'a fourni, ce sont des photocops poussiéreuses de Bescherelle.»
Coline*, 26 ans, vacataire à Paris 3
Stressée de très mal gagner sa vie
Première rentrée pour Coline hier et pour l’occas’, elle s’est acheté… de nouvelles chaussures. Pas pour être la plus belle, mais pour paraître un peu plus « Madame ». Thésarde en histoire de l’édition, elle donne deux cours qu’elle a eu elle-même quand elle étudiait en master.
Le relooking a fait son effet ? Les étudiants m’ont quand même regardé d’un air soupçonneux quand je suis entrée dans la salle ! Genre, c’est notre prof elle ? Surtout les étudiantes qui ont entre 21 et 24 ans et qui m’ont parues plus âgées que moi avec leur fond de teint et leurs beaux sacs. Mais ça c’est bien passé, dans l’ensemble, ils étaient mignons et sages !
T’avais été bien conseillée pour ton premier jour ? Je devais récupérer les cours de mon prédécesseur, mais ça n’a rien donné. À la fac, au mois d’août, tout le monde est en vacances, personne ne répond. Tout ce qu’on m’a fourni, ce sont des photocops poussiéreuses de Bescherelle qui traînaient au fond d’un carton. Dans le master où j’enseigne, la moitié des profs sont novices, quand on s’est retrouvés pour la pré-rentrée, ils n’en savaient pas plus que moi.
C’est quoi le plus stressant ? Perso, j’ai plus le stress de ne pas avoir assez d’argent pour vivre que celui de me retrouver face aux étudiants. D’un point de vue financier, être vacataire, c’est un peu la misère. En moyenne, on est payé entre trois et six mois après la fin des cours. Alors quand, comme moi, tu fais une thèse sans être financée en parallèle, c’est très difficile. Etre vacataire, c’est présenté comme une opportunité de financer tes recherches alors qu’en réalité tu dois vivre avec des thunes que tu n’as pas.
Et pourtant, leur statut ne devrait pas s’améliorer de sitôt. Déjà, à la fin de l’année universitaire 2010-2011, les jeunes profs de fac ont dit adieu aux allocations de recherche et aux moniteurs d’initiation à l’enseignement supérieur (MIES), bref au monitorat. Ce statut a été remplacé en 2009 par le contrat doctoral. Mais personne ne sait plus trop où se planque ce beau CDD de trois ans, censé être rémunéré mensuellement.%
Alix, 28 ans, chargé de cours à Paris 8
N’a pas dormi la veille
Deuxième rentrée pour Alix, il a commencé l’an passé alors qu’il était en 3ème année de doctorat de sciences de l’information et de la communication. Son job, c’était d’apprendre à ses étudiants à avoir une lecture critique de l’actu. « Je leur apprends à analyser ce que vous écrivez quoi ! »
La première fois que t’es entré dans un amphi, t’as ressenti quoi ? La première fois, ça fait bizarre de se retrouver devant 180 paires d’yeux qui te matent. J’ai un groupe de musique donc la scène, je connais un peu, mais là t’es tout seul. Il suffit que tu galères à brancher ton micro pour que tout le monde rigole.
Tu t’étais préparé comment ? J’étais très stressé, j’avais rencontré d’autres chargés de cours qui m’avaient conseillé. Je me posais même des questions cons du genre « qu’est-ce que je fais quand j’arrive ? Je fais l’appel ? » La veille, j’ai pratiquement pas dormi. T’es jeté dans l’arène tout de suite sans aucune formation et t’apprends sur le tas.
Tes étudiants t’ont fait galérer ? Là où j’appréhendais, c’était au niveau de l’autorité, surtout que Paris 8 c’est un peu particulier. Quand ils ne sont pas d’accord avec toi, certains étudiants te le manifestent de manière virulente, limite ils t’agressent verbalement. Ça m’a un peu déstabilisé, et surtout c’est fatiguant. Il faut toujours être alerte et organiser tes idées pour pas te laisser bouffer.
Être prof c’est la classe comme même (sans aucun jeu de mots) ! C’est vrai qu’il y a des trucs inhabituels, comme ces étudiants qui te donnent du « Monsieur ». Mais je me régale, c’est hyper enrichissant. Et puis c’est vrai qu’avoir la parole et des gens qui t’écoutent, c’est flatteur pour l’égo. C’est un mélange de sentiments, une appréhension qui se transforme en assurance.
> Agent temporaire vacataire / Chargé de cours : Doctorant de moins de 28 ans ou retraité de moins de 65 ans, le chargé de cours ne devrait intervenir qu’en licence. Il n’est censé assurer que des cours de travaux pratiques ou travaux dirigés. Dans la réalité, on lui refile souvent des promos de master et parfois des cours magistraux. Dans la limite d’un nombre d’heure annuel (en moyenne, une centaine d’heures.)
> Chargé d’enseignement vacataire : C’est un intervenant extérieur. Il est salarié, travailleur indépendant ou chef d’entreprise (enfin normalement).
> ATER (Attaché temporaire d’enseignement et de recherche) : Doctorant employé en CDD, l’ATER est recruté par les universités pour combler le manque de titulaires. Il est mieux payé qu’un vacataire, et ce chaque mois, mais coûte moins cher qu’un enseignant-chercheur. C’est un peu le Graal des doctorants.