Sur StreetPress, le politologue Pierre Martin décrypte les résultats des élections régionales : Les riches votent plus que les pauvres ou les jeunes, "qui ont été socialisés dans un univers où l'on perçoit la politique comme un spectacle".
Tout d’abord Pierre Martin est-ce que vous avez voté ?
Bah oui…
C’est quoi la première chose que vous avez remarqué à l’annonce des scores ?
Moi j’ai été frappé par l’ampleur de l’abstention. Et par le fait que la gauche ait une majorité absolue. Il faut remonter aux législatives de 1981 pour ça! Presque 30 ans! C’est un phénomène exceptionnel. Le poids personnel des présidents de région a du beaucoup jouer à l’instar de George Frèche.
Et le come-back du FN cela vous a étonné ?
Cela ne m’a pas surpris. J’avais déjà analysé ça dans le résultat des européennes. L’élection européenne est la plus défavorable au Front National: les milieux populaires qui composent leur électorat votent peu, et pour les électeurs du FN hostiles à l’Europe, voter aux européennes ça pose un problème! Dans ce contexte, leur score de 6,3% n’était pas mauvais. C’est pour ça qu’il faut toujours comparer d’élection à élection.
Certains analystes comme Caroline Fourest, disent pourtant que le FN a reculé car leur nombre de voix en volume est plus faible …
C’est pas faux… Objectivement c’est vrai. Ça veut dire que des électeurs du FN se sont aussi abstenus. N’oublions pas que même en pourcentage, le résultat du FN au premier tour est plus faible que celui des régionales de 2004. On n’a pas retrouvé les résultats de la grande période du FN.
Est-ce que ces élections sont exactement les mêmes que celles de 2004 ?
Non ! Toutes les élections sont différentes. Mais c’est quand même aux élections de 2004 qu’elles ressemblent le plus. Les contextes sont assez proches: la gauche est dans l’opposition, à l’époque le gouvernement Raffarin était très impopulaire et surtout les élections ne se font plus à la proportionnelle… La grande différence, c’est qu’en 2004, la participation avait été importante.
Les trois quarts des – de 35 ans n’ont pas voté, ça vous choque?
Ce n’est pas nouveau. Mais c’est un phénomène qui s’est accru, comme l’abstention dans les quartiers populaires. Ceux qui ont été « socialisés » dans un univers où l’on perçoit la politique comme étant un spectacle, mais aussi comme étant impuissante, ne se sentent pas concernés.
Le profil des abstentionnistes est-il plutôt de droite ou de gauche ?
Je dirais qu’il penche légèrement à droite, un petit peu. Mais je n’aime pas ce terme « d’abstentionnistes de droite ou de gauche ». Ils ne se reconnaissent pas dans ces notions parce qu’ils ont le sentiment que la politique s’éloigne d’eux. Par contre il y a un gros bataillon d’abstentionnistes plus politisés qui on été déçus par le gouvernement. Certains aussi ne se sont pas abstenus et ont voté socialiste sans que cela signifie une quelconque adhésion.
En tant que citoyen, comment jugez-vous le taux d’abstention ?
Vous savez il ne faut pas porter de jugement sur l’attitude des citoyens.
Qu’est ce que vous retenez de ces élections ?
Elles accentuent le résultat des européennes: le redressement du FN, l’échec du NPA, la victoire des écologistes sur le Modem en tant que troisième force politique du pays. Et le différentiel sociologique [les électeurs des milieux aisés votent plus que ceux issus des aurtiers populaires, ndlr] s’est accru parmi les votants.
Pierre Martin est un politologue spécialiste de l’analyse des résultats électoraux et de l’étude des systèmes électoraux. Docteur en sciences politiques de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris (1983), ingénieur de recherche au CNRS, il est actuellement affecté au laboratoire PACTE à Grenoble. Il enseigne à l’Institut d’études politiques de Grenoble et assure régulièrement une chronique des élections françaises dans la revue Commentaire.
Source: Robin D’Angelo | StreetPress