A Léogâne, rencontre avec Ardilès, le chef du comité du camp. Car ici, l'organisation est étonnamment hiérarchisée. Comme si tout était là pour durer, on a posé le carrelage sur les gravas et le ciné a rouvert dans une baraque de tôle.
Notre série consacrée à Haïti: Retrouvez la partie 1 Do you speak logbase, la partie 2 Laisse béton, la partie 3 « Moi avant j’étais chef » et la suite à venir sur StreetPress
Lorsque la terre a tremblé, peu avant 17h le 12 janvier, il ne restait aux Haïtiens qu’une heure de jour pour trouver un endroit où dormir. Stades de foot, marchés, terrains vagues, les rescapés ont envahi par centaines les espaces publics. Avec ce qu’il leur restait de biens, quelques draps, morceaux de tôle et carton, ils se sont construits des abris de fortune, histoire de passer la nuit.
S’organiser pour représenter ses intérêts
Un mois après le séisme, ces logements d’une soirée deviennent inexorablement habitats longue durée. Avec leurs grands rues, leurs cafés et leurs quartiers chauds, les camps se font cité. Sur une chaise haute installée au cœur de son camp, Ardilès domine fièrement les tentes des 800 familles qui vivent ici face à la mairie de Léogâne. « Ici, c’est vraiment un village. Tout le monde se connaît, on fonctionne en communauté ». Promu maire informel, Ardilès, 28 ans, est à la tête du comité du camp, structure spontanée mais étonnamment hiérarchisée. Comme ailleurs, les jeunes ici ont vite senti la nécessité de s’organiser pour représenter leurs intérêts et ont monté des comités de quartier.
Du carrelage sur les gravas
« Par superstition, nous avons mis longtemps à reconnaître que nous ne sommes pas prêts d’être relogés » explique Ardilès. Un mois après le séisme, les habitants multiplient les aménagements pour faire du logement d’un soir un foyer douillet. Hier, Darwin a passé tout l’après-midi à poser du carrelage sous sa cabane. « Pour se sentir mieux ici ». Un carrelage orangé tout neuf, bien posé, qui tranche avec le sol de gravas qui recouvre le reste du camp.
Un peu plus loin, deux adolescents torses nus font fièrement visiter leur intérieur soigné monté entre quatre planches de tôle. Du jour au lendemain orphelin, Stanley Toussaint, 18 ans, s’est reconstruit un chez lui. Tapis au sol, napperons en dentelle et moustiquaire joliment enroulée façon baldaquin sur un lit aux draps tirés. Aux murs, Didier Drogba et Tony Parker côtoient jeunes femmes aux seins nus et rappeurs américains. Sur une étagère bancale, des bibelots kitschs sont sagement alignés. Seuls souvenirs de ses parents, marchands de porcelaine sur le marché, morts enfouis sous leur maison le 12 Janvier.
Salsa, merengue, kompa et bachata
Loto, spaghettis, épiceries, chacun a déplacé son activité d’avant en plein cœur du camp. Un mois après le séisme, avec la fin de la période de deuil national, la fête reprend timidement ses quartiers. Salsa, merengue, kompa et bachata ont remplacé les chants religieux qui envahissaient toutes les nuits les quartiers. Histoire de « faire passer le stress » comme tout le monde dit ici.
Dans le camp, tout le monde se connaît. Entouré de ses amis, Edison, 19 ans, nous explique : « Nous nous sommes regroupés dans les camps par affinité. Je suis ici avec mes meilleurs amis. On se raconte des blagues, on partage les repas, on passe le temps en s’amusant gentiment ».
5 gourdes l’entrée chez Greg Ciné
(map) Léôgane c’est où ?
Pour 5 gourdes l’entrée, chaque soir, les habitants peuvent même se faire une toile. Dans une petite baraque de tôle, ils sont une vingtaine à se serrer sur des bancs d’écoliers devant une vieille télé. Il faut s’accrocher pour suivre les dialogues étouffés par les vrombissements de la vieille génératrice. Grégory, le propriétaire a ouvert à peine quatre jours après le tremblement. « J’ai constaté que les gens tournaient en rond désemparés sans savoir quoi faire. Mon cinéma s’est effondré alors, avec pas grand chose, j’ai rouvert dans le camp ». Au programme ce soir, 2012. Blockbuster apocalyptique qui fascine les haïtiens depuis le tremblement. Dans la nuit éclairée à la bougie, en attendant le retour de l’électricité, les cris et les fous rires se mêlent aux sons bachata de la cabane d’à côté.
Voir aussi :
Partie 1: Do you speak logbase
Entre beaux gosses bronzés et spaghettis auto-chauffantes, le kit de survie de l’humanitaire dans la logbase de Port-au-Prince
Partie 2: Laisse béton
En Haïti, la vie « comme si rien n’avait jamais eu lieu »
Partie 3: Laisse béton
Chômage et déclassement en Haïti, où les ONG croulent sous les CV
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