Olivier Touron, photographe gréviste de 20 minutes répond au directeur de la rédaction: «Mézou parle beaucoup pour dire des conneries». Jeudi, sur StreetPress, M. Mézou expliquait que les grévistes voulaient «le beurre et l'argent du beurre».
Bon alors, comment se passe la réorganisation à 20 minutes ?
Il n’y en a pas, en fait. Yvon Mézou [le directeur de la rédaction de 20 minutes, ndlr] semble dire que les six photographes sont embauchés. Alors que ce n’est pas encore fait. Il est aussi très critique sur notre travail. Il parle de photographes rémunérés à la pige et qui travaillent sans concertation avec les journalistes. Mais, c’est faux.
Yvon Mézou nous a dit qu‘« avant, c’était n’importe quoi, les photographes arrivaient 2 heures après les journalistes. Ils ne les voyaient même pas et prenaient une photo qui n’avait rien à voir avec l’angle choisi pour l’article ».
Prenons l’exemple de Lille, où nous sommes 3 photographes à tiers temps. Effectivement, nous organisons nous-mêmes nos plannings. Mais, il y a toujours un photographe qui travaille. Chaque matin, à 9 heures, il y a une conférence de rédaction avec tout le monde. Ensuite les photographes vont sur le terrain. La plupart du temps, les journalistes ne peuvent pas y aller parce qu’ils n’ont pas le temps. Ce sont les photographes qui remontent l’information par téléphone ou directement au journal. On traite l’image avec notre propre matériel et notre propre connexion internet.
Et vous avez demandé une régularisation ?
Oui, parce qu’en tant que pigiste pendant plus de 5 ans, on avait le droit d’être régularisé. La direction refuse. On est 12 en France. Ils nous ont proposé des postes à temps complet, mais seulement pour 6 d’entre nous. Donc, ça veut dire qu’il y en a 6 qui partent.
Ah, il n’a pas proposé 12 postes ?
Ah non. Pour nous, à Lille, il a envoyé un mail à chacun. On avait jusqu’au 11 février pour postuler pour un poste à temps complet. Vous vous imaginez ? Il nous envoie un mail pour proposer un poste et dire : dans 10 jours, il n’y en aura plus qu’un. Lequel ? C’est la courte paille.
Et vous avez répondu au mail ?
Non, nous n’avons pas répondu. On a fait grève. On s’est mis en syndicat et on a demandé des vraies réponses. Pour l’instant, c’est le black-out total.
Olivier Touron
Photojournaliste, photographe pigiste à tiers temps à l’édition lilloise de 20 minutes. A été élu délégué syndical SNJ-CGT, mais la direction remet en cause sa désignation.
Et vous étiez convoqué au tribunal ce matin ?
Oui, parce qu’ils remettent en cause la désignation par le SNJ-CGT de mon poste de délégué syndical, parce qu’ils ne veulent pas de syndicat dans l’entreprise.
Vous en êtes où, du coup, maintenant ?
Pour l’instant, on est salariés à temps partiel, de fait. Car la loi Cressard stipule qu’en tant que pigistes de longue date, les journalistes sont considérés comme en CDI. Donc tant qu’on ne nous propose pas de régularisation de notre statut, on considère qu’on est toujours en CDI, donc on n’a pas à en accepter un autre.
Que réclamez-vous alors ?
On réclame la régularisation de tous nos droits. C’est-à-dire un droit à l’ancienneté, à la prime matériel, aux frais de bouche… Et on ne veut pas décider qui va reprendre les postes et qui va partir. Comme gestion des ressources humaines, il y a mieux quand même.
Et il n’y a pas eu de disputes entre les photographes pour répartir les postes justement ?
Non, non. Mais ça crée des tensions forcément. Quand on sait ce qu’est le milieu de la photo aujourd’hui. Passer d’un temps partiel à un temps complet, ça peut paraître intéressant.
Yvon Mézou, lui, disait que la rémunération qu’il vous proposait (soit environ 2.400 euros par mois) ne vous suffisait pas ?
Ce n’est pas que ça ne suffit pas. Mais si vous êtes salarié dans une entreprise depuis 5 ans et que vous gagnez 3.500 euros par mois, vous n’allez pas accepter qu’on change votre façon de travailler pour 2.400 euros. C’est ça la situation aujourd’hui. Et ce n’est pas les 5.000 euros dont parle Mézou. De toute façon, il parle beaucoup pour dire des conneries.
Et à 20 minutes, vous êtes une rédaction soudée ? Comment ça se passe du côté des journalistes ?
A Lille, ils sont emmerdés. Ca marchait super bien.
Et avec les journalistes parisiens ?
A Paris, ça ne se passe pas du tout de la même façon. Il y a 2 photographes, qui sont salariés. Ce sont des pigistes à l’origine. Ils ont négocié un salaire inférieur à ce qu’ils gagnaient avant, mais avec le droit de revendre leurs photos en dehors. Mais, ils doivent être inquiets de la tournure que prennent les choses aujourd’hui parce que sur les nouveaux contrats, il est question d’exclusivité et d’impossibilité de revendre ses photos à l’extérieur.
Yvon Mézou : « Ils veulent le beurre et l’argent du beurre »
Jeudi 18 février, sur StreetPress, le directeur de la rédaction de 20 minutes revenait sur la grève des photographes des éditions de province du quotidien :
« On a proposé de régulariser leur situation. Mais, ils veulent le beurre et l’argent du beurre. Je ne peux pas rémunérer un photographe 5.000 euros par mois (…). Avant, c’était n’importe quoi, les photographes arrivaient 2 heures après les journalistes. Ils ne les voyaient même pas et prenaient une photo qui n’avait rien à voir avec l’angle choisi pour l’article ».
Lire tout l’article: 20 minutes: les nouveautés de 2010 du quotidien expliquées en 2 minutes
Et en ce qui concerne l’exploitation des images, ça se passe comment ?
Au niveau des droits d’auteur, ils sont à côté de la plaque. Leur rêve, ce serait qu’on bosse et qu’ils puissent exploiter nos images à l’envie, sans nous rémunérer derrière ou très peu. Ca coûte cher la photo. Et peut-être que 20 minutes n’a pas les moyens de ses ambitions.
Vous êtes rémunérés combien ?
On est payé 100 euros la journée. Et ça n’a pas été réévalué depuis 5 ans. Par rapport à Libération, qui n’est pourtant pas super riche et qui a quelques problèmes, 20 minutes paye vraiment moins bien. A Libération, c’est 200 euros la journée.
Et comment ça se passe quand les photos sont réutilisées sur le web ?
Ca fait partie d’un accord qui devrait être signé entre l’employeur et son salarié. Ca n’a jamais été signé à 20 minutes. On n’a pas signé d’accord pour la ré-exploitation de nos images. Le problème, c’est qu’à 20 minutes, il n’y a pas de syndicat. Ils n’en veulent pas.
Mais, sachant que le journal est disponible sur le net en format PDF, les photos sont forcément sur le site…
Il y a deux choses sur le web. Il y a une version téléchargeable : l’intégralité du PDF, c’est une chose. Mais, il y a aussi le site internet de 20 minutes. Et ça c’est différent. Alors, la mode sur internet, c’est que tout soit gratuit, sauf que théoriquement, ça se fait dans le cadre d’accord. A chaque fois qu’il y a eu un diaporama, il a été facturé 150 euros. Et les reprises systématiques qui ont eu lieu à partir de l’automne n’ont pas été facturées.
Est-ce que vous allez rencontrer la direction ?
Oui, j’ai appelé le DRH pendant plus d’une heure. On s’est mis d’accord, oralement, sur une réunion le 1er mars à 15 heures. Sauf que derrière, on n’a eu aucune convocation officielle. La seule chose que j’ai reçue, c’est une convocation devant le tribunal pour remettre en cause ma désignation en tant que délégué syndical.
Mais vous êtes d’accord pour dire qu’ « avant c’était un peu n’importe quoi » ?
Ca n’était pas « n’importe quoi ». C’était libre. Tout se passait dans la confiance entre la rédaction et nous. Après, on ne remet pas en cause le fait qu’ils restructurent et qu’ils repensent la façon de travailler. C’est la façon dont ils procèdent pour faire ça qui est n’importe quoi.
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Source : Armelle de Rocquigny | StreetPress