2 mois après la Révolution, la mosquée de l'université El-Manar de Tunis a ré-ouvert ses portes et le doyen a été expulsé. «Ni Israël, ni les États-Unis n'ont jamais financé ni nos marqueurs!», se félicitent les étudiants contestataires.
Comme si rien n’avait changé. A l’ombre des palmiers, les étudiants se croisent, discutent, flânent. Tranquilles. En attendant les examens du premier semestre, reportés pour cause de révolution.
Lacrymos L’université El-Manar est la plus grande de Tunisie. 43.000 étudiants de 33 nationalités différentes s’y côtoient. Le 11 janvier, les étudiants du campus sont descendus dans la cour, pour protester. Feres, étudiant en Ingénierie à l’École nationale d’ingénierie de Tunis (ENIT), située sur le campus, raconte : « Dans mon école, les gens n’étaient pas très mobilisés, puisqu’on est tous sûrs de décrocher un travail après le diplôme. Seuls 10 % d’entre nous sont descendus dans la rue. Rapidement la Brigade d’ordre public (BOP) a bouclé le périmètre.»
Les étudiants tentent alors de bloquer les routes qui mènent au campus. « Les policiers nous ont coincé sur la rampe d’accès, ils ont commencé à charger et à tirer des grenades lacrymogènes. On a répliqué avec des pierres, mais ils nous ont dispersé» poursuit Feres. Le lendemain, le directeur annonce l’arrêt des cours et le report des examens jusqu’à nouvel ordre.
L’université El-manar de Tunis
Piston « C’était ma première manifestation » confie Feres. A les entendre, les étudiants ont pourtant bien des motifs de mécontentement. La mauvaise qualité de l’enseignement. La pauvreté des bibliothèques. Les millions de dinars reçus de l’Union européenne pour la réforme LMD, volatilisés. Le montant ridicule des bourses : 45 dinars par mois (un peu plus de 20 euros), alors que le Smic mensuel est de 180 dinars. Surtout, le favoritisme et la corruption à tous les niveaux, à l’entrée en Master comme dans les concours. « Au concours d’entrée de l’école de la magistrature, il y a 40 places. La moitié sont réservées au proches du pouvoir, quels que soient leurs résultats » explique Ali.
Impossible de dénoncer le système quand des informateurs sont partout : « Quand j’étais étudiant, je suis allé à une réunion du RCD . Ils nous ont dit, mot pour mot : “ vous êtes nos yeux et nos oreilles” se souvient Slim, maintenant gérant d’un magasin informatique. Entre méfiance et autocensure, le silence est la norme. Ceux qui résistent forment une infime minorité.
Greve de la faim Dans un café du centre ville, nous retrouvons Nesrine. ex-membre de l’Union Générale des étudiants tunisiens (Uget), l’unique organisation syndicale étudiante. Pendant une heure et demie, elle parle. Sans s’arrêter. Comme si chaque malversation dénoncée était une victoire arrachée à Ben Ali et à son clan. « Les étudiants veulent des vrais professeurs, des gens compétents, pas le cousin ou le beau-frère d’untel » commence t’elle par dénoncer. Puis, méticuleusement, elle décortique comment, pendant des années, l’État policier a orchestré le discrédit du mouvement étudiant.
Afficher Université El-Manar sur une carte plus grande
Paranoia Au plus fort des troubles de 2009, le ministère de l’Intérieur accuse l’Uget d’être financée par des organisations étrangères. Nesrine s’insurge: «La loi nous interdisait de faire des collectes. Tout l’argent venait de notre poche. Je peux te jurer que ni Israël, ni les États-Unis n’ont jamais financé ni nos marqueurs, ni nos affiches.» Manifestations et revendications interdites, menaces et humiliations personnelles, jamais l’Uget n’a pu s’exprimer.
Depuis la révolution, quelques têtes sont tombées. Le doyen de la faculté de droit a été expulsé, ainsi que deux ou trois professeurs. Après des années de fermeture, la mosquée du campus a été rouverte dès le 15 janvier. Tout un symbole, dans un pays où tout zèle religieux était considéré comme suspect.
Incognito A l’image d’Ali, de Nesrine, de Faycal ou de Feres, les étudiants sont fiers de leur révolution, et plutôt confiants dans l’avenir. «Cela prendra du temps, peut-être un an ou deux. Mais on va construire quelque chose de mieux, à l’université et dans tout le pays. » explique Faycal. Aujourd’hui, la police n’a plus droit de cité à El-Manar. Le poste de police universitaire est déserté. Pourtant, les vieux réflexes ont la vie dure : sur le campus, aucun étudiant n’a osé donner son vrai prénom.
bqhidden. Je peux te jurer que ni Israël, ni les États-Unis n’ont jamais financé ni nos marqueurs, ni nos affiches
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