Un policier et un faux agent ont été condamnés par la justice pour escroquerie. Ils exigeaient 50.000 euros auprès de propriétaires d’un immeuble squatté pour expulser les habitants. Eux assurent qu’ils surveillaient une « mosquée clandestine ».
Abdellah K. a pris ses habitudes dans la 14e chambre du Tribunal judiciaire de Bobigny (93) depuis des mois. Le quadragénaire assiste aux audiences réservées aux délits commis par des fonctionnaires de police. Sur un des derniers bancs au fond du tribunal, il papote, toujours souriant, enchanté, presque jovial, avec le public et les journalistes. Il ne dit jamais qu’il est de la même profession que les « collègues » dont il commente abondamment les affaires mais ça tombe sous le sens. À StreetPress, il glisse une fois qu’il est un des futurs prévenus. Le 8 janvier 2025, c’est son tour. Pourquoi ? « Tu verras bien », confie-t-il moins d’une minute avant son audience, encore le sourire aux lèvres et d’une confiance qui détonne avec le fond du dossier.
Avec un autre homme, Abdelali S., Abdellah K. est accusé d’avoir tenté de soutirer 50.000 euros aux nouveaux propriétaires d’un immeuble dionysien squatté, en échange de l’expulsion des habitants. Si celui-ci est bien flic, ex-membre des renseignements territoriaux, désormais agent de la police aux frontières (PAF) à l’aéroport de Roissy, son comparse en a usurpé la qualité lors de l’affaire. Début avril, ils ont chacun été condamnés à dix mois d’emprisonnement pour escroquerie, aménagés sous bracelet électronique. Ils ont fait appel et sont présumés innocents. StreetPress rembobine cette drôle d’histoire.
Des menaces répétées sur des riverains
Mars 2020. Quelques jours après le début du premier confinement lié au Covid-19, deux hommes sont contrôlés par une brigade équestre dans un parc de La Courneuve, sans attestation de sortie. Tandis que le « vrai policier » Abdellah K. tient tête aux agents à cheval, Abdelali S. fait tomber de sa veste un brassard de police. Étrange attirail pour un commercial dans la rénovation. Le contrôle dégénère et les deux hommes sont « conduits au poste pour vérification d’identité et rébellion », s’amuse la présidente à l’audience. Si les faits sont classés sans suite, ils permettent aux enquêteurs d’identifier les gaillards dans une autre affaire : un curieux harcèlement autour d’un immeuble qui vient d’être racheté il y a plus de deux mois.
Depuis quelques semaines, deux mains courantes ont été établies au sujet de « faux policiers » qui contrôlent les habitants d’un squat de la rue Danielle-Casanova à Saint-Denis (93). Le 9 février, l’un des habitants est poussé dans la rue puis fouillé par deux hommes qui se présentent comme des agents de l’État. Des voisins, suspicieux de leur comportement, interviennent et une voiture de police à proximité est appelée. Le duo fuit discrètement avant d’être retrouvés par l’équipage à bord d’un véhicule de police banalisé. Après le départ de la patrouille, les deux seraient revenus au commerce et « le petit » – Abdellah K. – aurait exhibé son brassard, son rôle aux renseignements, et son arme.
Début mars, les mêmes frappent aux portes et auraient demandé en arabe aux habitants de quitter les lieux. À la fin du mois, c’est le gérant d’une épicerie avoisinante qui porte plainte. Sans avoir leur identité, il accuse les deux hommes de l’avoir violemment contrôlé devant son commerce, puis d’être revenus et de l’avoir menacé pendant près d’une vingtaine de jours. Le duo lui demande d’intervenir pour « vider l’immeuble ». À lui aussi, le fonctionnaire du rens’ aurait exhibé son arme. Leur présence répétée est corroborée par deux vidéos non datées prises par le commerçant. Sur la première, Abdelali S. et Abdellah K. discutent dans la rue la nuit tombée. Sur l’autre, prise de jour, ils se disputent avec des riverains.
Argent contre plus-value
Les enquêteurs de l’IGPN convoquent les proprios de l’immeuble squatté. Ceux-ci espèrent réaliser une grosse plus-value. Mais d’abord, il faut faire partir les habitants qui plombent sa valeur. Donnant presque à l’affaire des aires de mauvais film hollywoodien, ces derniers reconnaissent une rencontre dans un hôtel avec les deux hommes où ils auraient exigé 50.000 euros contre l’éviction des squatteurs. Là-encore, ils auraient chacun porté des brassards « police » bien visibles. « On ne vous reproche pas d’avoir eu pour projet de les faire sortir. On vous reproche d’avoir fait croire que vous aviez le pouvoir de le faire contre rémunération », rappelle généreusement la procureure.
Si l’opération aurait été abandonnée au profit d’une procédure légale en raison du coût, une « expulsion illégale » a bien eu lieu contre « des transferts d’espèce », estime la magistrate, qui ne peut affirmer pour autant que l’éviction soit l’œuvre des deux prévenus.
Caméléon du renseignement ou simple logisticien ?
À l’audience, comme au cours de leurs multiples auditions en garde à vue devant l’IGPN, les deux mis en cause assurent ne rien connaître de cette histoire. Comme auprès des riverains, ils justifient leur présence par la surveillance d’une « mosquée clandestine » dans les sous-sols du bâtiment qu’Abdelali S. aurait découvert au détour de travaux. Il aurait ensuite envoyé les photos sur la boîte mail professionnelle du policier. « Un acte de citoyenneté », justifie le commercial à l’audience, qui insiste sur le risque qu’aurait représenté ce lieu à deux pas du Stade de France. « S’il y avait eu quelque chose, peut-être qu’aujourd’hui j’aurais été récompensé », ajoute-t-il. La remarque passe mal auprès de la procureure, qui rappelle que le « bon citoyen » a déjà été condamné à neuf reprises, notamment pour escroquerie en bande organisée, trafic de stupéfiants et violences volontaires aggravées.
Quant à l’agent Abdellah K., la comparution ne l’empêche toujours pas d’être à l’aise. Le fonctionnaire de la PAF parle abondamment, s’approche auprès des juges pour leur expliquer des documents et n’hésite pas à les interrompre, jusqu’à être recadré par la présidente :
« Vous ne me coupez pas ma parole, même si vous êtes des renseignements. Ici, c’est le tribunal. »
Il assure qu’il a parlé de cette mission à son supérieur et qu’elle s’effectue dans le cadre de son rôle logistique « polyvalent » aux renseignements :
« S’il fallait quelqu’un pour prendre des photos, aller poser un micro, infiltrer une manifestation, on allait me chercher. »
S’il ajoute fièrement avoir fait « toutes les manifestations Gilets jaunes », la procureure, elle, cingle :
« Il vous ment à chaque fois qu’il ouvre la bouche sur ses missions. »
D’après sa hiérarchie, le fonctionnaire est en réalité chargé du courrier, de la gestion du parc automobile, et du « criblage », c’est-à-dire la vérification des antécédents des personnes extérieures intervenant dans les locaux, comme les agents de propreté. Pour le parquet, il n’y a aucune trace d’une surveillance d’un lieu de culte, qui ne relève pas de son service, ni de son territoire. Une telle opération en petite couronne est de la responsabilité de la direction du renseignement de la préfecture de police.
Aucune trace de la mosquée clandestine
Quant à la curieuse mosquée clandestine, ni la salle, ni les photos n’ont pu être retrouvées. Interrogés par les enquêteurs sur son emplacement précis, le premier a indiqué un sous-sol – aujourd’hui « rempli de détritus » relève la procureure –, le second a été incapable de situer le batiment. Malgré tout, devant les juges incrédules, les deux prévenus persévèrent. Leurs avocats Seydi Ba et Sarah Ikkawi ne s’y frottent pas. Lors d’une suspension d’audience, ils enjoignent leurs clients d’« arrêter avec [leurs] histoires ».
L’avocat du fonctionnaire Seydi Ba limite pour sa part sa plaidoirie au droit : « Est-il interdit d’aller éventuellement sonner chez les gens et dire vous devez partir ? Pour être médiateur, il faut juste avoir 18 ans. » Ce dernier affirme que son client n’a pas commis d’escroquerie, car il n’aurait pas agi au titre de ses fonctions, mais seulement comme « médiateur ». L’argumentation n’a pas convaincu le tribunal. En complément des dix mois d’emprisonnement aménagés, Abdellah K. a été interdit d’exercer pendant cinq ans les fonctions de fonctionnaire de police.
Illustration en Une de Vincent Victor.
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