Les policiers n’apprécient pas d’être filmés, l’affaire dégénère
10/02/2025

Vidéo, morsure et SMS inappropriés

Les policiers n’apprécient pas d’être filmés, l’affaire dégénère

Vincent Victor Par Vincent Victor

Deux étudiantes néerlandaises qui sortent de boîte de nuit filment une interpellation. Les fonctionnaires n’apprécient pas et l’affaire dégénère. Les deux jeunes femmes accusées de violences passaient au tribunal ce vendredi 31 janvier.

Place de Clichy, Paris (75) – Le dimanche 24 novembre, au petit matin, April G. et Chimira O., deux étudiantes néerlandaises de 22 ans, sortent d’une d’une boîte de nuit de Pigalle. Alors qu’elles longent la route accompagnées d’amies, elles assistent à l’interpellation d’un homme noir par les policiers de la brigade anti-criminalité (BAC) nuit. Mais lorsque April G. commence à filmer l’homme au sol, une des fonctionnaires en civil, major de police, se place devant elle puis lui arrache son téléphone. Les forces de l’ordre l’accusent d’avoir tenté de frapper la fonctionnaire au visage. L’étudiante est projetée au sol. Allongée sur le bitume, elle aurait mordu un autre policier à la cheville. Son amie Chimira O., qui a voulu l’aider avant d’être mise au sol d’un coup de genou dans le ventre, est également accusée de violences et rébellion. Trois fonctionnaires ont déposé plainte contre elles. L’affaire est jugée, ce vendredi 31 janvier, au Tribunal de Paris.

« On a vu cet homme être arrêté, c’était une scène agressive et violente », commence en anglais, April G., à la barre du tribunal. Sur la courte vidéo qu’elle a captée, l’homme grogne au sol, entouré par les fonctionnaires. Une voix masculine, que les images ne permettent pas d’attribuer, lance un « ferme ta gueule ! » Puis l’image se coupe sur la main de la policière passant devant l’objectif.

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L'un des agents de la BAC a retiré son brassard au cours de l'interpellation. / Crédits : Capture d'écran.

Des policiers en civil difficilement identifiables

Les deux amies, nées aux Pays-Bas pour la première et au Nigeria pour la seconde, ne comprennent pas le français. Habillées pour l’occasion, maquillées et coiffées soigneusement, elles semblent intimidées par le tribunal et chuchotent presque à l’oreille de l’interprète qui les assiste. April G. explique difficilement :

« Je criais, les yeux fermés, mes mains étaient menottées, je ne me rappelle que de ça. C’était traumatisant. »

Questionnée sur la trace de morsure à la cheville d’un des fonctionnaires, elle répète ne pas se souvenir, puis fond en larmes. Chimira O., accusée de s’être « débattue », maintient avoir seulement voulu couvrir son torse, protégé d’un simple tee-shirt. « La seule forme de résistance que j’ai eu, c’est que j’ai voulu garder ma dignité », explique-t-elle. « Pas de résistance active, pas de rébellion », défend son avocate Alice Becker.

Toutes deux assurent n’avoir réalisé qu’après leur mise au sol que les personnes autour de l’intervention, qui leur parlaient en français, étaient des policiers en civil. Le procès-verbal d’interpellation affirme que tous les fonctionnaires « sont détenteurs de [leur] brassard siglé “police” » et que « [leur] qualité est connue de tous ». Mais sur la vidéo, parmi les six fonctionnaires visibles – tous en jean et vestes noires, dont plusieurs avec la capuche relevée – seuls deux semblent être porteurs de leurs brassards. Le second, Manis S., seul présent à l’audience, est même en train de retirer le sien. « Pour avoir un poste d’observateur et interpeller s’il y a des projectiles », justifie-t-il, certifiant avoir répété sa qualité. De leur côté, les prévenues ainsi que les deux témoins cités à la barre, la sœur de Chimira O. et une amie à elles, Biantaka L., affirment ne pas avoir entendu le mot « police » avant leur interpellation.

Des SMS inappropriés

Cette dernière raconte par ailleurs avoir reçu, au lendemain des événements, plusieurs SMS qu’elle juge inappropriés. Le matin, avec le reste du groupe, elle s’est rendue au commissariat s’inquiéter du sort de ses deux amies en garde à vue. Le soir, elle reçoit plusieurs SMS de l’officier de police judiciaire, d’abord pour la rassurer sur le sort de ses amies, puis plus déplacés : « Si vous avez le temps vous pouvez m’appeler pour discuter », et : « Tu es quelqu’un de très sensible, ça m’a beaucoup touché. »

A la suite de l'interpellation, une témoin a reçu des SMS déplacés de la part d'un officier de la police judiciaire. / Crédits : Capture d'écran.

« Oui, on a le droit de filmer la police »

Pour l’avocate des policiers, Michèle Launay, les jeunes femmes « ont eu tort de se mêler de ce qui ne les regardait pas ». Prenant le président à partie, elle affirme qu’on « ne filme pas une intervention policière comme on ne filme pas une audience », au nom du « droit à l’image » des policiers. C’est pourtant faux, une circulaire du ministère de l’Intérieur le rappelle (1). Mais pour elle, c’est simple, « elles n’ont pas obéi à l’ordre qui leur est donné ».

Des affirmations « abjectes » pour Alice Becker et pour Raphaël Kempf, les deux avocats des prévenues, qui listent les affaires dans lesquelles la version policière a été contredite par des vidéos : les violences policières sur Michel Zecler ou l’agression de Viry-Châtillon (91), dans laquelle huit jeunes avaient été condamnés sur la base de procès-verbaux que les vidéos ont révélé falsifiés. « Nous nous sommes habitués à ce que des “baqueux”, sans brassards, puissent interpeller et mettre un homme au sol », poursuit maître Kempf. « Il nous faut des étudiantes étrangères, un artiste, pour nous rappeler que ce n’est pas normal. » Et de marteler à pleins poumons :

« Oui, on a le droit de filmer la police. Filmer la police peut sauver des vies. Filmer la police protège la police de ses abus. »

De son côté, la procureure n’a guère apprécié les diverses « mises en cause des policiers ». « Les victimes de cette procédure, ce sont les fonctionnaires de police », rappelle-t-elle, tenant à féliciter l’agent présent d’avoir « démystifié son métier » et « expliqué pourquoi il enlevait son brassard ». Pour la représentante du ministère public, « si une personne s’estime victime de violence, elle doit déposer plainte. Devant le tribunal on fait du droit, pas de la politique ». Elle requiert huit mois avec sursis contre chacune des deux prévenues. Le délibéré sera rendu le 11 mars 2025.

(1) Les policiers ne peuvent pas s’opposer à l’enregistrement de leur image ou de son lorsqu’ils effectuent une mission, par un journaliste comme par un simple particulier, selon la circulaire du 23 décembre 2008 du ministère de l’Intérieur.