Rachel Keke, première femme de chambre à entrer à l’Assemblée nationale sur les bancs de la France insoumise, n’a pas été réélue après la dissolution. La déception passée, la révoltée continue de lutter sur le terrain et n’oublie pas la politique.
« Ce n’est pas parce que je ne suis plus députée que je vais abandonner le terrain », affirme Rachel Keke d’un ton sec et déterminé. Femme de chambre, porte-parole lors de la grève historique de l’hôtel Ibis Batignoles, députée à l’Assemblée nationale… « La lutte, c’est toute ma vie », résume l’ex-insoumise qui a récemment goûté à la défaite. En juillet dernier, elle perd son siège face à Vincent Jeanbrun (Les Républicains), lors du deuxième tour des élections législatives anticipées. « Ça a été brusque, je n’étais pas bien préparée, ça m’a choquée, je n’ai pas compris… », enchaîne-t-elle d’une voix basse. « Même si Rachel n’est plus à l’Assemblée nationale, pour nous, elle n’est pas partie ! », assure son ex-collègue de la France insoumise (LFI), Louis Boyard :
« On va sur une lutte : elle est là ! Sur une manif : elle est encore là ! »
Rachel Keke, première femme de chambre à entrer à l’Assemblée nationale sur les bancs de la France insoumise, n’a pas été réélue après la dissolution. / Crédits : Corentin Fohlen
Ce lundi 25 novembre, Rachel Keke se tient bien droite sur sa chaise, devant une dizaine de femmes de chambre de l’hôtel F1 – Campanile de Suresnes (92). « Le maire ne nous soutient pas », explique Kandé, porte-parole du mouvement, l’air dépité. Les visages sont fatigués, résultat d’une grève qui dure depuis déjà quatre mois. « Vous avez déjà vu quelqu’un de droite en manifestation ? », leur répond Rachel Keke en riant, avant de livrer des techniques pour maintenir la pression face à la direction. « On est contentes de l’avoir à nos côtés », expliquent les femmes de chambre, qui attendent toujours une augmentation de salaire, une prime pour le pouvoir d’achat et la réintégration d’une de leur collègue, licenciée « injustement » selon elles. L’ex-députée de la 7e circonscription du Val-de-Marne (94) se veut motivante :
« Eux gagnent des milliards ! Ce n’est rien ce que vous demandez par rapport à eux ! »
En aparté, la politique assure que sa défaite dans les urnes ne l’a « pas brisée ».
« On va sur une lutte : elle est là ! Sur une manif : elle est encore là ! », assure son ex-collègue de la France insoumise, Louis Boyard. / Crédits : Corentin Fohlen
Les femmes de chambre de l'hôtel F1 - Campanile sont en grève depuis presque quatre mois. / Crédits : Corentin Fohlen
Un défaite et des regrets
Cinq mois après la fin de son mandat, celle qui a perdu à un peu plus de 500 voix d’écart, à la suite d’une campagne express contre le candidat Les Républicains et maire de L’Haÿ-les-Roses Vincent Jeanbrun, se demande encore : « Qu’est-ce qui n’a pas fonctionné ? » Se revendiquer porte-voix des invisibles, « des gens d’en bas », n’a pas suffit. « Les élections auraient-elles été truquées ? », se demande même l’ex-élue lorsqu’elle apprend les résultats au QG de son parti, avant de se résonner. Elle ajoute :
« Une dame m’a appelée en pleurant pour me dire à quel point elle était triste et déçue que je ne sois plus là pour représenter les gens comme elle… »
Elle a le regret de ne pas avoir pu mener à bout son enquête sur la sous-traitance, responsable selon elle d’une grande partie des conditions de travail indignes. Son tour de France devait aboutir – elle l’espérait – sur une proposition de loi en 2025, pour mieux protéger les travailleurs. Comme les femmes de chambre de l’hôtel F1. Dans le brouhaha des discussions syndicales, un jeune homme débarque, s’assoit dans la salle, pendant que Rachel Keke précise tout sourire : « C’est mon ancien collaborateur ! ». Elle promet :
« Je vais appeler Mathilde Panot [députée LFI] pour voir si elle peut vous recevoir à l’Assemblée. »
« Ce n’est pas parce que je ne suis plus députée que je vais abandonner le terrain », affirme Rachel Keke. / Crédits : Corentin Fohlen
Un poste à l’ONU ?
Pour l’instant, Rachel Keke explique vivre grâce à une indemnité de fin de mandat d’environ 3.200 euros pendant six mois. Après, ça sera une allocation de « retour à l’emploi » pendant deux ans. D’autres ex-députés – dont l’écrasante majorité est diplômée de l’enseignement supérieur et de cursus prestigieux – se sont tournés à la fin de leur mandat vers les conseils municipaux, la fonction publique, font du conseil ou du lobbying. Rachel Keke, qui a quitté la Côte d’Ivoire adolescente, n’a pas leur CV. « Mais je peux quand même chercher du travail », prévient-elle. Elle vient de postuler à l’ONU, pour travailler sur la question des droits des femmes, son thème de prédilection. « Mais je ne parle pas anglais… » D’une voix basse, elle ajoute : « Mais je me dis que maintenant il y a des casques et des traducteurs… On verra ! J’attends. »
Rachel Keke vient de postuler à l’ONU, pour travailler sur la question des droits des femmes, son thème de prédilection. / Crédits : Corentin Fohlen
La femme politique travaille en ce moment sur la création d’une association pour « rendre visibles les invisibles », selon ses mots. L’organisme pourrait apporter son soutien lors de manifestations ou de grèves, et porter ces combats devant les médias, détaille-t-elle. Rachel Keke a aussi écrit un livre, intitulé Cette rage dans mon cœur, les combats d’une députée pas comme les autres, aux éditions Michel Lafon. En aparté, elle déclare, les étoiles dans les yeux :
« Jean-Luc Mélenchon est même venu à la dédicace ! »
Le chef de file de LFI a aussi préfacé sa biographie.
Rachel Keke travaille en ce moment sur la création d’une association pour « rendre visible les invisibles », selon ses mots. / Crédits : Corentin Fohlen
Un retour en politique ?
Rachel Keke fait partie de ceux que la politique émerveille encore. Elle ne manque pas d’éloges sur son ancien groupe : « Il n’y a que LFI qui parle de nous et qui s’intéresse aux gens d’en bas ! », assure-t-elle, convaincue. Jeudi 28 novembre 2024, elle a suivi les discussions lors de la niche parlementaire de son ex-groupe, mais cette fois-ci côté tribunes du public, et sans pouvoir prendre la parole. « J’aurais aimé être là… ça aurait permis d’envoyer un message fort. J’aurais pu parler d’à quel point certains métiers abîment le corps… », se convainc l’ex-femme de chambre, sûre qu’elle aurait pu y jouer un rôle.
Rachel Keke souhaite monter une association qui pourrait apporter son soutien lors de manifestations ou de grèves. / Crédits : Corentin Fohlen
« Rachel Keke reviendra. Que ce soit à l’Assemblée ou ailleurs », est persuadé son camarade Louis Boyard. « Ils savent que s’ils ont besoin de moi je suis là. Et je sais que si j’ai besoin, ils sont là aussi », précise Rachel Keke, qui tractait encore pour son groupe sur le marché de Chevilly-Larue (94) fin novembre. Si les élections municipales de 2026 ne l’intéressent pas, l’idée de se représenter comme députée lui fait envie. « Et pourquoi pas présidente de la République ? », ajoute-t-elle même sans sourciller :
« Ce serait bien d’avoir quelqu’un qui représente les gens d’en bas, que ce soit moi ou quelqu’un d’autre. Il faut des invisibles en politique. »
Rachel Keke fait partie de ceux que la politique émerveille encore, et l’idée de se représenter comme députée est toujours là. / Crédits : Corentin Fohlen