Lors d’une interpellation en juillet 2022, des policiers racontent dans un procès-verbal signé par toute la brigade qu’un jeune homme les a violentés. La vidéosurveillance a tout contredit et pointe les coups d’un policier, condamné en novembre.
Tout au long de son procès, Adrien S. avait fait l’autruche. Le policier de 36 ans était jugé le 19 septembre devant le tribunal correctionnel de Paris pour avoir violenté il y a deux ans un jeune homme et s’être couvert avec un faux procès-verbal. Il était aux côtés de son collègue Alexandre E., 30 ans, poursuivi pour avoir signé le document. Ce jeudi 28 novembre 2024, après délibération, la justice a rendu son verdict : le premier a été condamné à 12 mois avec sursis. Il a fait appel (1). Le tribunal n’a pourtant « aucun doute sur [sa] culpabilité au vu de la vidéosurveillance » sur la plupart des faits reprochés et souligne leur « extrême gravité ». Alexandre E., contre qui huit mois avaient été requis, est quant à lui relaxé. À l’audience, il avait annoncé n’avoir eu qu’un simple avertissement à la suite de cette histoire et avoir été « soutenu par la hiérarchie ».
Deux plaintes
La nuit du 13 au 14 juillet 2022, leur équipage de la Brigade territoriale de contact (BTC), nouvelle forme de « police de proximité », patrouille en renfort des festivités de la fête nationale. Dans le parc de Belleville, les fonctionnaires sont invectivés par un groupe de jeunes. L’un d’entre eux, Maati (1), leur jette une bouteille en verre qui éclate à leurs pieds. Des faits parfaitement reconnus par le jeune homme, présent à l’audience en septembre, qui explique que les policiers lui auraient cassé sa chicha peu avant.
Immédiatement, les deux agents poursuivent Maati, qui s’enfuit jusqu’à un kebab, où il se cache sous les tables. Là, selon le procès-verbal dressé par le gardien de la paix, il ne se serait « pas laissé faire » et aurait donné plusieurs coups, frappant la bombe lacrymogène dans la main du fonctionnaire. Le mécanisme de l’engin saute et, en une fraction de seconde, inonde la pièce de gaz lacrymogène. Le jeune se réfugie alors dans les toilettes. À l’arrivée d’un second équipage en renfort, il aurait continué de résister et donné de violents coups de pieds dans la porte des toilettes pour la frapper contre les fonctionnaires, au point d’y creuser un trou, avant d’être finalement interpellé et placé en garde à vue.
Deux plaintes sont déposées : la première par le policier Sébastien L. (1), qui aurait reçu des coups de porte, la seconde par le gérant pour la dégradation de son établissement. Le procès-verbal, particulièrement incriminant, expose Maati à trois ans d’emprisonnement. Des affaires comme celle-là, les chambres de comparution immédiate en jugent tous les jours. Mais pour les enquêteurs, les agents de police ont menti, et le procès-verbal rédigé par Adrien S. et signé par toute la brigade est un faux. Toute la scène a été captée par la vidéosurveillance du kebab et les images renversent les accusations.
Sur la vidéo, on voit le policier Adrien S. débouler en trombe dans le commerce et donner un grand coup de pied dans le ventre de Maati. Le geste, violent et immédiat, a choqué à l'audience. / Crédits : DR
Un faux procès-verbal
« Le déroulé des faits sur procès-verbal n’est pas conforme au visionnage », euphémise le rapport d’exploitation de la vidéo. Sur le grand écran de projection derrière les juges, les images défilent. On y voit, depuis la caméra perchée dans le coin de la pièce, le jeune homme allongé sous les tables. Soudainement, le policier Adrien S., alerté par le gérant, déboule en trombe dans le commerce et lui donne un grand coup de pied dans le ventre. Le geste est violent et immédiat. La juge n’y va pas par quatre chemins :
« Disons les choses clairement, vous vouliez vous venger ? »
Reprenant le procès-verbal, qui mentionne un geste du pied pour «écarter les tables », elle commente : « On voit ce qu’il en est ! »
À la barre, le policier explique désormais qu’il « voulait voir ses mains » et assure lui avoir fait des injonctions. Le jeune se serait « affairé sur sa sacoche » et représentait « un danger potentiel, peut-être porteur d’une arme blanche ou d’une arme à feu ». Le tribunal est dubitatif. « Vous avez eu le temps, avant le coup de pied ? » On repasse les images, elles laissent peu de place au doute.
Un suspect dangereux mais laissé seul
Sur l’explosion de la gazeuse lacrymogène, le policier maintient la version du procès-verbal. Mais Maati, qui a porté plainte, l’accuse de l’avoir frappé avec la bombe au niveau de l’œil. Il présente d’ailleurs une « hémorragie sous-conjonctivale massive » – du sang dans la paroi de l’œil. Sur les images, on distingue l’agent se pencher au niveau de la tête de la victime et faire, une seconde avant que la lacrymo inonde l’endroit, plusieurs gestes du bras. Lui nie et se dit contre l’utilisation de « l’angle de la caméra ». Il sera d’ailleurs relaxé pour ce fait au bénéfice du doute.
Après le visionnage, le tribunal s’interroge aussi sur la réalité du danger représenté par la victime. À l’explosion de la gazeuse, les deux policiers se précipitent à l’extérieur, le laissant seul dans la pièce saturée de gaz pendant plusieurs minutes, jusqu’à leur relais par un second équipage. La lacrymo a infligé des brûlures étendues au bras et au dos de Maati – qui lui ont valu huit jours d’ITT et lui laissent encore de grandes cicatrices, deux ans après les faits.
« Et s’il veut se couvrir ? »
Quant au reste de l’intervention dans les toilettes, Adrien S. l’a minutieusement retranscrite… Alors qu’il n’y a pas assisté. Elle lui a été dictée, sans le mentionner, par le policier Sébastien L., celui-là même qui a porté plainte, ce qui lui interdit normalement de participer à la rédaction du procès-verbal. « Et s’il ment ? Et s’il veut se couvrir ? », s’insurge la juge. « Il y a des conséquences pénales pour monsieur. » Selon plusieurs témoins et la vidéosurveillance, les coups de pied dans la porte des toilettes dont Maati est accusé auraient en réalité été donnés par Sébastien L., jusqu’à percer celle-ci vers l’intérieur.
Dans sa plainte, Maati accuse également ce même policier de lui avoir tapé la tête dans le miroir des toilettes – qui a effectivement été retrouvé cassé – ainsi que de maltraitances durant son transport et à l’arrivée au commissariat. Des faits qui n’ont pas été poursuivis faute de constatations médicales compatibles.
Les signataires impossibles à identifier
Surtout, des six signatures – sans aucun nom – présentes sur le faux procès-verbal, seule celle du collègue Alexandre E. sera reconnue par les enquêteurs, raison de sa seule présence à l’audience, aux côtés de l’auteur des coups Adrien S. Alexandre E. affirme l’avoir relu, mais pas signé. D’ailleurs, il ne sait pas qui l’a signé. De quoi agacer la procureure :
« Vous imaginez un jugement, on ne sait pas qui l’a rendu ? Il suffit de faire un gribouillis sur un papier ? Doit-il désigner un graphologue pour savoir ? (…) On est dans la police, avec des agents assermentés, et on ne sait pas qui a signé ! »
Pour celle pour qui « la police est un partenaire quotidien », cette affaire abime « le rapport entre la police, le citoyen et l’institution judiciaire » et participe au « discrédit porté sur les forces de l’ordre ». Le faux en écriture par les policiers et gendarmes est normalement une « qualification criminelle », rappelle-t-elle.
Reconstitution fait-maison
L’avocat d’Adrien S., maître Petipermon, plaide l’erreur de son client. Pour cela, il s’appuie sur ses mauvaises notations dans la rédaction de procès-verbaux. En résumé, ce ne serait pas de sa faute car il n’est pas bon dans l’exercice et il ne faisait que retranscrire sous la dictée de ses collègues… « Avait-il conscience que ce qu’il a écrit était faux ? », insiste-t-il.
Il présente même des photos de la scène de violence reproduite dans son cabinet, où il joue la victime. « On voit beaucoup mieux », s’amuse-t-il, fier de sa reconstitution. Puis, il s’affaire très longuement à souligner chaque bout de phrase « vrai » du procès-verbal, prenant bien soin de sauter le reste. Quant aux violences, le coup de pied, c’est pour « dégager la vue », le jeune « peut-être un dingue, un martyre avec un flingue, un cocktail molotov ». Et la blessure à l’œil, ce pourrait être la faute des autres policiers. Les « collègues » apprécieront.
Suspendu depuis mai, presque deux ans après les faits, l’auteur des violences Adrien S. attend un conseil de discipline dans les mois à venir.
(1) Malgré une peine moitié moindre que les réquisitions du procureur, le fonctionnaire, qui espérait la relaxe, a fait appel. Il reste donc présumé innocent.
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