Dix mille citoyens français vivent au milieu de l’Amazonie à Maripasoula, en Guyane. Là-bas, les voitures sont des pirogues et la sécheresse historique, aggravée par le dérèglement climatique, isole plus que jamais cette commune du bout du monde.
Maripasoula, Parc amazonien de Guyane (973) – Depuis les hublots du petit avion à hélices qui effectue la liaison entre le littoral et la ville de Maripasoula, dans le sud de la Guyane, un tapis tout en nuance de vert s’étend à perte de vue. Il faut une heure de vol pour enfin apercevoir les premières habitations de cette commune intégrée au vaste Parc amazonien, posées au creux d’un méandre du fleuve Maroni. Le bras d’eau marque la frontière avec le Suriname et fait office de route jusqu’à l’océan Atlantique – à plus de 300 kilomètres en aval. « Normalement, ici, on voit toujours des pirogues débarquer des marchandises », déplore Jonathan Abienso, propriétaire d’une entreprise de fret fluvial dans cette enclave urbaine cernée par l’Amazonie.
En arpentant le « dégrad » de Maripasoula – terme qui désigne ici un embarcadère – l’entrepreneur explique qu’après 18 mois de déficit hydrique, alors que l’année 2024 promet d’être une des plus chaudes jamais enregistrées par Météo France, cette artère vitale n’est plus que l’ombre d’elle-même. Le niveau de l’eau est si bas que de nombreux amas rocheux bloquent désormais le passage des hommes et des marchandises. À certains niveaux, il serait presque possible de franchir à pied les 500 mètres qui séparent les deux pays. Il poursuit :
« Depuis deux semaines, plus personne ne se risque à remonter le fleuve, devenu trop dangereux. »
L’intensité de cette sécheresse est liée à la double influence d’El Niño, un phénomène océanique naturel et cyclique qui se traduit par un réchauffement des eaux du Pacifique, et du dérèglement climatique, dont une des conséquences en Guyane est la baisse des pluies.
Les Maripasouliens veulent une « route du fleuve » pour les rattacher au littoral. / Crédits : Enzo Dubesset
A Maripasoula, seul l’aérodrome et son unique piste en latérite – cette roche rouge et aride – relient encore les 10.000 habitants au reste du monde.
Envolée des prix
« La vie a toujours été compliquée et chère mais là, c’est bien pire », constate Charles Aloïke. Au guidon de sa filong, ces motos importées d’Asie depuis le Suriname, principal moyen de locomotion dans les rues poussiéreuses de Maripasoula, il assure que les habitants de Maripasoula n’ont pas attendu le dérèglement climatique pour ressentir le poids de l’enclavement.
La commune, aussi vaste que la Nouvelle-Calédonie, a connu un fort développement suite à la découverte de nouveaux gisements aurifères dans les années 1990 ayant attiré de nombreux chercheurs d’or, venus exploiter les filons plus ou moins légalement. Mais les infrastructures n’ont pas suivi ce boom démographique. En 2023, la liquidation de la compagnie aérienne en pleine sécheresse – déjà – avait mis la ville sous cloche pendant plusieurs mois, faisant bondir le prix des denrées, qui n’ont depuis cessé d’augmenter. Charles Aloïke, le motard, s’inquiète :
« L’essence est à quatre euros le litre. Ça monte tous les jours, je ne sais pas comment on va faire. »
Charles Aloïke, au guidon de sa filong. / Crédits : Enzo Dubesset
L’année d’avant, c’était les fréquentes coupures d’électricité liées à la faible capacité et à l’isolement du réseau qui étaient vivement dénoncées par la population.
Comme la plupart des habitants, Rosiane Agésilas, une infirmière, a pris l’habitude d’aller faire ses courses chez les « Chinois » d’Albina 2. Ces commerces installés sur la côte surinamaise forment la base arrière de toute l’économie informelle de la région mais proposent aussi des marchandises détaxées peu chères. Ces supermarchés sur pilotis, où l’on paye en euros ou au gramme d’or, sont bien plus fréquentés que les épiceries françaises. Mais eux aussi se sont résignés à s’approvisionner en avion et à augmenter leurs prix :
« Il n’y a plus de différence notable entre les prix. Même en allant en face, mon panier de courses est passé de 80 à 150 euros, par semaine. C’est impossible de suivre. »
La soignante est engagée dans le collectif Apachi qui, depuis 2023, dénonce les conséquences mortifères de l’enclavement. « Nous faisons des sacrifices et nous ne pouvons plus nous alimenter correctement. Ça va poser des problèmes de santé publique. » Les bouteilles d’eau, mais aussi les œufs, le riz ou le gaz commencent à manquer, alerte-t-elle.
Les commerces surinamais sont la base arrière de toute l'économie informelle de la région. / Crédits : Enzo Dubesset
Rationnement
L’envolée des prix pèse d’autant plus sévèrement sur les migrants venus du Guyana, d’Haïti ou du Brésil – attirés par la perspective d’un travail sur le sol français. « Je gagne 200 euros par mois pour un mi-temps et j’ai trois enfants », explique Maria (1). La Guyanienne travaille comme vendeuse dans une des boutiques du centre :
« Comme je n’ai pas les papiers, je ne peux pas avoir d’aides. Si mon mari ne m’aidait pas, je ne pourrais plus me nourrir. »
L’économie dans son ensemble, déjà peu développée, s’en retrouve totalement impactée. Les entreprises subissent désormais le coût de la vie et des transports, additionné à la pénurie des denrées. C’est le cas de la seule boulangerie de la commune. « Je ne trouve plus du tout de farine. J’ai réduit ma production de pain, mais je risque de devoir bientôt fermer », témoigne Dewane Roger, le patron.
A Maripasoula, les prix de l'essence ont flambé. / Crédits : Enzo Dubesset
Recul des services publics
Les conséquences de la sécheresse sont d’autant plus visibles dans les nombreux « kampus », des hameaux situés à plusieurs heures de pirogue de Maripasoula. L’accès aux services, déjà très précaire en raison des distances, est encore plus difficile.
Plusieurs écoles primaires ont également dû fermer : le transport scolaire en pirogue étant impossible, de nombreux élèves doivent désormais suivre les cours du collège à distance, quand la connexion internet le permet. Dans le kampu d’Antecume Pata, le dispensaire est une sorte de pharmacie et de cabinet médical, capable d’assurer les premiers soins d’urgence. Ce centre d’accès gratuit aux soins pour près d’un millier de personnes a été contraint de réduire la fréquence des permanences. D’une visite hebdomadaire, le médecin vient désormais quelques heures toutes les deux semaines, grâce à un hélicoptère affrété depuis Cayenne.
Dans plusieurs de ces hameaux, l’eau potable est puisée dans des nappes dont le niveau dépend de celui du Maroni. Plusieurs forages sont complètement à sec. D’autres ne permettent de puiser de l’eau que quelques heures par jour, souvent boueuse et impropre à la consommation. À l’échelle de toute la Guyane, plusieurs milliers de personnes sont concernées et, si des solutions d’urgence ont été déployées comme l’envoi de fontaines atmosphériques – des générateurs produisant de l’eau à partir de l’humidité présente dans l’air – c’est très insuffisant, selon les habitants concernés.
Pont aérien
Face à la crise, la préfecture a déclenché un plan Orsec Eau le 29 octobre dernier. Le dispositif d’urgence se traduit notamment par la mise en place d’un pont aérien effectué par l’armée pour ravitailler en eau potable, nourriture, essence ou médicaments Maripasoula et les autres communes isolées de Guyane – en tout, près de 40.000 personnes. La collectivité territoriale de Guyane (CTG), de son côté, a annoncé doubler les capacités de fret aérien de la compagnie privée, qui assure les vols vers l’intérieur du territoire afin d’accroître, là aussi, les capacités de ravitaillement.
Le niveau de l'eau est si bas que des amas rocheux bloquent désormais le passage. / Crédits : Enzo Dubesset
Si le tarif de ce fret aérien subventionné a été fixé en deçà des prix moyens du transport fluvial, les prix restent, pour l’instant, sensiblement les mêmes. La plupart des Maripasouliens continuent de s’approvisionner au Suriname. « Ni la mairie, ni la collectivité, ni l’État ne nous ont associés aux discussions », déplore Patrick Valiès, président de l’association des commerçants de Maripasoula. Certains confient d’ailleurs ne pas être au courant du fonctionnement des dispositifs d’État ni comment bénéficier de ces aides :
« Cela fait des mois que l’on demande la création de stocks. On a déjà eu la sécheresse l’année dernière. Tout ça aurait pu être mieux anticipé collectivement. »
La préfecture, de son côté, explique avoir organisé, avec la CTG, des réunions pour discuter des besoins des commerces. L’administration assure travailler à la mise en place d’un dispositif d’encadrement des prix, dans le cadre duquel des contrôles répressifs sont effectués – au cas où les commerçants locaux seraient tentés de bénéficier de cet affrètement exceptionnel sans faire redescendre leurs prix.
Sentiment d’abandon
Plutôt que d’éternelles mesures d’urgence, les Maripasouliens souhaitent – avec souvent peu d’espoir – la construction d’une « route du fleuve » pour les rattacher au littoral. Ce projet titanesque, qui agite la politique locale depuis 20 ans, a été entamé. Mais il reste encore 150 kilomètres de forêt dense à aménager, à ce jour sans financements.
La sécheresse est visible partout à Maripasoula. / Crédits : Enzo Dubesset
En 2022, Emmanuel Macron en avait fait une promesse de campagne, avant de finalement annoncer le remodelage de la route en « piste améliorée » – sans plus de précision – lors de sa venue en Guyane, en mars.
Suite à ce revirement, l’armée s’est vu confier la réalisation d’une étude portant sur la faisabilité d’une telle piste. Le document, achevé depuis des mois a été remis à la CTG et au gouvernement, mais n’a toujours pas été rendu public. « La route, c’est la seule solution pour se désenclaver », veut croire Rosiane Agésilas :
« Ce serait le début d’une nouvelle ère et une promesse pour développer Maripasoula. »
Ce pourrait être aussi une des solutions pour prévenir les futures sécheresses : selon les projections du rapport scientifique GuyaClimat, publié en 2022, le territoire devrait connaître un réchauffement de l’ordre de 2,5 à 4,5 degrés et une réduction des précipitations de 15 % à 25 % d’ici à 2100.
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