04/09/2024

Le directeur serait en train de préparer un nouveau studio

Au studio de jeux vidéo Mi-Clos, l’ambiance sexiste et les incohérences de production épuisent

Par Lisa Noyal

Le studio lyonnais de jeux vidéo Mi-Clos a annoncé sa liquidation en avril dernier. Un soulagement pour certains salariés de la boîte indé qui dénonçaient l’ambiance sexiste, la mauvaise gestion, et des mises à l’écart à la suite d‘alertes…

Quand Émilie (1) est embauchée au sein du studio de jeux vidéo Mi-Clos l’ambiance était « chaotique mais sympathique ». Lancée en 2010, la boîte indépendante lyonnaise gérée par Michaël Peiffert se consacre à la création de jeux de science-fiction. Quatre ans après son arrivée sur le marché, Mi-Clos sort Out There, un jeu d’aventure et de gestion au succès modéré, mais depuis plus grand-chose. En 2022, le studio est racheté par une boîte anglaise et une vague de recrutements s’ensuit : Mi-Clos triple presque ses effectifs. Parmi ces nouvelles recrues, plusieurs chefs de pôle arrivent, dont Quentin (1) le supérieur d’Emilie. Pour elle, c’est le début du cauchemar. « Il me faisait des compliments sur mon physique, ma voix… Il ne me faisait pas du tout de retours et quand je le sollicitais, il me disait : “On peut aller boire une bière… » Cette dernière décrit notamment une scène où il lui aurait demandé d’attraper le badge dans la poche de son pantalon afin d’ouvrir la porte. Si Mi-Clos se présente sur son site comme un studio inclusif composé à 50 % de femmes portant une « réelle volonté de faire bouger les mentalités du secteur », le constat semble différent. « Les femmes étaient vues comme trop sensibles, fragiles, qui s’inquiètent pour rien », décrit Lou (1), qui était catégorisée comme « quelqu’un qui pleurait tout le temps » :

« Il y avait beaucoup de mansplaining : si les femmes disaient une chose, elles n’étaient pas écoutées pareilles qu’un homme qui disait la même chose. »

Au sein du studio, au moins huit personnes décrivent une mauvaise gestion globale qui pèse sur le bien-être au travail, une ambiance sexiste, des mises à l’écart… La majorité d’entre eux dit avoir dû se mettre en arrêt maladie, débuter un suivi psychologique ou entamer une reconversion professionnelle suite à leur expérience là-bas. Pour le syndicat des travailleurs et travailleuses du jeu vidéo (STJV) qui a suivi la situation :

« C’est très symptomatique de l’industrie du jeu vidéo. Peu importe la taille du studio dans lequel les victimes travaillent, il est régulier que ce genre de problèmes nous soit remonté… »

En avril dernier, les salariés se sont brusquement retrouvés au chômage après la liquidation de Mi-Clos.

Une ambiance sexiste

Si Emilie se rappelle des phrases régulières sur son physique ou des blagues sexuelles lancées par Quentin, les remarques inappropriées sur ses tenues ont été confirmées par au moins trois de ses collègues. « J’ai assisté à quelques trucs comme : “Tu as une jolie robe, un beau rouge à lèvres” », mentionne une d’entre elles. Dès l’arrivée de Quentin, des salariées alertent sur son comportement, mais aucune mesure concrète n’aurait été mise en place et sa période d’essai est validée.

Lorsque Emilie fait remonter une nouvelle fois son mal-être, c’est même elle qui est sanctionnée et mise au placard : Quentin ne lui adresse plus la parole, ne l’invite plus aux réunions, son équipe et elle n’a plus de tâches à effectuer durant plusieurs mois. Un point est finalement organisé entre le directeur du studio, la chargée des ressources humaines et elle. Le boss Michael Peiffert lui annonce alors qu’elle participerait elle-même à sa placardisation car elle est parfois… en télétravail. La salariée est même accusée d’avoir un « comportement toxique » et de « répandre de la négativité dans le studio ». Elle a finalement déposé plainte aux prud’hommes contre l’entreprise.

Plusieurs salariées rapportent aussi avoir régulièrement été témoin ou victime de remarques sexistes par d’autres collègues. « Elle est belle la vue sur le canapé là », à propos d’une salariée installée sur le divan, « quelle chieuse » ou « hystérique… », à propos d’autres femmes du studio. En plus de ces propos, le manque de considération des salariées est également décrié.

Des problèmes de gestion et de management

« J’avais l’impression de ne pas être prise en compte dans les décisions », rapporte Jade (1) qui est restée un an dans la boîte. Elle prend comme exemple une de ses demandes adressée à un collègue totalement court-circuité par le directeur Michael Peiffert, sans qu’elle n’en soit informée. Pour la salariée, le climat ambiant l’a amené à faire des toilettes son « refuge ».

« La gestion de la boîte était incohérente », affirme Mathilde (1) qui a travaillé plusieurs années à Mi-Clos. Comme Jade, elle constate un manque de clarté sur les objectifs, des demandes contradictoires, des rétropédalages dans les décisions prises, une désorganisation de la part du directeur – oublis de rendez-vous, réunions sauvages, pas de compte-rendu… La salariée raconte avoir enchaîné les crises d’angoisse et les arrêts pour burn-out durant son expérience. Parmi les situations qui pèsent, elle décrit également des semaines d’isolement. « Mon chef ne nous attribuait pas de tâches à faire, ou alors restait très vague. Il ne nous communiquait jamais les informations des autres pôles, en disant : “Ça ne vous concerne pas, ça vous ferait trop d’informations” ».

Une situation similaire à celle qu’à vécu Benjamin (1), pourtant à un poste bien placé, lorsqu’il tente d’alerter sur l’impact de la gestion globale et du climat ambiant :

« J’avais l’impression que mes équipes n’étaient pas en sécurité alors j’ai continué d’alerter jusqu’à ce qu’on m’ordonne d’arrêter de faire remonter les problèmes. »

À partir de ce moment, il dit ne plus être convié à certaines réunions et ne plus être tenu au courant de projets. Ce dernier restera seulement quelques mois dans l’entreprise avant d’en ressortir déprimé et lessivé.

Une liquidation brutale

Pour Emilie, l’annonce de la liquidation du studio a presque été rassurante. « Je suis soulagée de voir qu’il y a bien un problème financier car je me dis je ne suis pas folle. Ça vous sape d’alerter sur les dysfonctionnements et de se faire traiter d’ignorante… » Si certains salariés se doutaient que le fonctionnement n’était pas tenable, l’annonce de la fermeture fut rude. « Personne ne pensait que ça allait venir aussi tôt », souligne Mathilde encore choquée. Des recrutements peu de temps avant l’annonce laissaient à penser qu’il y avait encore de l’espoir. En avril 2024, Mi-Clos a définitivement mis la clé sous la porte. De son côté, le directeur Michael Peiffert serait en train de préparer l’ouverture d’un nouveau studio.

La majorité des salariés interrogés passés par ce studio dit avoir dû se mettre en arrêt maladie ou débuter un suivi psychologique à cause du climat de travail. Lou, à qui la direction propose une rupture conventionnelle lors de son entretien bi-annuel, est encore choquée des reproches formulés. Elle ne serait « pas heureuse ici et ne pourrait pas continuer comme ça ». Cette dernière n’est jamais revenue après son arrêt maladie. « Je suis sous traitement depuis janvier, j’ai beaucoup de mal à rechercher du travail, je panique dès que je suis face à un employeur », décrit-elle. Une sensation partagée par Jade qui se mettait à pleurer en regardant les offres d’emploi : « Je ne voulais pas revivre ça, j’avais la nausée dès que je lisais les annonces… » Finalement elle s’est résignée à postuler dans une boîte par nécessité financière en attendant de se reconvertir :

« J’ai qu’une envie, c’est de rembourser mon prêt et de partir de ce milieu… »

(1) Les prénoms ont été modifiés.

StreetPress a reçu après la publication de l’article une réponse de Michael Peiffert, retranscrite ci-dessous :

Le sujet « Au studio de jeux vidéo Mi-Clos, l’ambiance sexiste et les incohérences de production épuisent », publié sur votre site le 4 septembre 2024, contient des allégations mensongères et diffamatoires qui m’amènent à vous adresser ce droit de réponse. Les contrevérités et interprétations erronées et malveillantes contenues dans cet article ont pour seule origine des supposées déclarations, sous forme anonyme.
La réussite de l’entreprise est incontestable. « Out There » a été écoulé à plus de 2 millions d’exemplaires et a reçu des récompenses dans le monde entier. Sigma Theory a été écoulé à plus de 500.000 unités. Le succès de ces jeux, dans un climat concurrentiel fort, a permis la création d’emplois.
Le seul élément exact: Mi-Clos Studio a été racheté à 100% en février 2022. Monsieur Christopher Sharp, en sa qualité de directeur général, prend toutes les décisions, notamment de recrutement. Les effectifs ont presque triplé pour atteindre une trentaine de personnes puis de licenciements.
Monsieur Michael Peiffert n’est pas responsable de la liquidation de cette entreprise plus de deux ans après (Jugement du Tribunal de Commerce de Lyon en date du 03/04/2024).
Si aux termes de l’article L1153-5 du code de travail, « l’employeur prend toutes dispositions nécessaires en vue de prévenir les faits de harcèlement sexuel, d’y mettre un terme et de les sanctionner », si les services de l’État indiquent « face à une accusation de harcèlement sexuel ou sexiste, votre employeur doit faire une enquête qui permettra de savoir si les faits ont véritablement eu lieu », la réalité est beaucoup plus complexe, car il peut être reproché à l’employeur d’avoir sanctionné à tort un salarié parfaitement correct, d’avoir insuffisamment protégé un salarié réellement harcelé, tout en ayant ni de pouvoirs d’enquête, ni même le bénéfice d’être certain que les fausses déclarations d’un salarié puissent être sanctionnées.

Lorsque Émilie a fait remonter des faits inquiétants, Michael Peiffert, après validation de sa hiérarchie, a immédiatement transmis un avertissement le 3 janvier 2024 à Quentin. Et ce, malgré l’absence de témoins ou de preuves. L’employeur, puis le juge sont tenus « d’examiner l’ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d’apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer ou laissent supposer l’existence d’un harcèlement moral au sens de l’article L. 1152-1 du code du travail ou d’un harcèlement sexuel au sens de l’article 1153-1 du même code. »
Madame Émilie n’a pas, à cette date, communiqué d’élément de nature à tenir pour vraisemblables ses allégations.
Il est inexact de prétendre que « Le boss Michael Peiffert lui annonce alors qu’elle participerait elle-même à sa placardisation, car elle est parfois… en télétravail ». Émilie vivait à Paris, elle n’a jamais voulu s’installer à Lyon comme les autres salariés et comme elle s’y était engagée. Il suffisait de vérifier le domicile d’Emilie, le nombre de billets de train Paris-Lyon/Lyon-Paris, l’hébergement à l’hôtel, autrement dit son absence de Lyon bien avant l’arrivée de « ce Quentin », pour éviter de reproduire des ouï-dires sans le moindre souci d’investigation.

L’histoire véritable est simple. Une entreprise fonctionnait bien depuis une dizaine d’années, elle a attiré un investisseur pour faire de la croissance externe, celui-ci par une gestion un peu dispendieuse, a dû mettre la clé sous la porte. Michael Peiffert n’a aucune responsabilité. Une personne, Emilie sentant le vent venir, comme elle le déclare elle-même, fait des déclarations à l’encontre d’un autre salarié pour réclamer 50 000 € à l’entreprise. La liquidation de cette dernière n’a pas permis de contrôler la véracité de ses propos pour aller au-delà de l’avertissement, mais surtout a rendu son espérance de gain plus qu’hypothétique. Il lui appartient désormais de porter plainte si les faits sont exacts.
Tout le reste de l’article n’est ni vrai ni prouvé.

Contactés, Michaël Peiffert et Quentin, le directeur créatif pointé par Émilie, n’ont pas répondu aux questions de StreetPress.

Illustration de Une de Timothée Moreau.