17/06/2024

« Il faut mieux sélectionner dans l’immigration »

Ces jeunes descendants d’immigrés qui votent pour le Rassemblement national

Par Elisa Verbeke

Adam, d’origine algérienne et musulman a sa carte au RN. Il n’est pas le seul descendant d’immigré à soutenir l’extrême droite. Kilian, dont les parents sont Portugais et Béninois ou Olivier, d’origine malgache et réunionnaise, votent Bardella.

« Je suis l’un des rares encartés au RNJ qui défend corps et âme la Palestine », lance Adam, 16 ans, arrivé d’Algérie à ses quatre ans. Il ne vote pas encore, mais s’est encarté au Rassemblement national de la jeunesse (RNJ) en attendant, impatient. Il y a aussi Guillaume, petit-fils d’immigrés algériens de 25 ans, qui trouve que la France « ressemble à un zoo » et qui souhaite la « peine de mort pour les pédophiles et la castration pour les violeurs ». Ou encore Olivier (1), 32 ans, d’origine malgache et réunionnaise, qui publie des TikTok sur son amour pour la patrie et qui propose une « date limite de bienvenue » pour les immigrés « non-intégrés ».

Comme 32% des 18-34 ans, ils ont soutenu Jordan Bardella pour les élections européennes. Les prises de positions racistes, les combats contre l’immigration ou « l’idéologie islamique » du parti nationaliste ne sont pas un problème pour ces descendants d’immigrés que StreetPress a rencontrés.

L’effet Bardella

Thibault (1), 25 ans, n’a jamais été tout à fait convaincu par les positions lepénistes ou par les diatribes civilisationnelles d’Éric Zemmour – malgré « quelques idées » qui le séduisaient. Mais « Jordan Bardella, c’est un autre sujet… » Le pompier volontaire s’explique :

« Je sais que Bardella a des appartenances fortes au Front national et à Marine Le Pen, que c’est une façade avec une forte idéologie derrière. Mais on ne peut pas en être sûr tant qu’il n’occupera pas le poste. »

Alors pour la première fois depuis longtemps, il votera en toute conscience pour le parti d’extrême droite aux élections législatives. Celui qui a grandi en Moselle, dans un village où cohabitent depuis la fin des trente glorieuses les Français, les Algériens, les Marocains, les Italiens et leurs descendants – qui furent autrefois invités à prêter main-forte dans les hauts-fourneaux de l’industrie métallurgique alors florissante de la vallée de la Fensch –, se dit « frustré » :

« Je suis petit-fils d’immigrés et je vois qu’il y a une différence d’intégration entre les générations. »

« Jordan Bardella est un monstre de communication », analyse Adam, le jeune encarté au RNJ. « Avec Bardella, on peut se représenter nous-mêmes. Il est jeune et il s’adresse aux jeunes », plaide-t-il presque, limpide. Tout en précisant que ce n’est pas uniquement lui qui le fait adhérer aux idées du Rassemblement national.

Déclic patriotique

« Jusqu’à mes 18 ans, je méprisais mon père et le traitais de raciste car il votait pour Marine Le Pen », livre Guillaume, 25 ans. Mais depuis quelques années maintenant, l’aide-soignant a « pris conscience de beaucoup de choses ». Il n’hésite pas à se rendre aux meetings de Bardella depuis son déclic « patriotique et nationaliste ». Sa mère est Algérienne. Ses grands-parents ont fui le pays à l’indépendance en 1962. « Les vrais Français, même ceux qui ont des origines, méritent des aides et des logements », reprend le jeune papa, résident d’un petit village de l’Hérault. Pendant l’épidémie du covid, le soignant se sent abandonné par l’État. Lui qui galère avec sa femme et son fils – qu’il a d’ailleurs nommé Mohammed (1), du nom de son grand-père algérien – en veut à ces nouveaux arrivants, qui, croit-il, toucheraient « 2.000 euros d’aides », et ne viendraient « que pour la carte vitale ou pour foutre la merde ».

Le « déclic nationaliste » de Kilian (1), 21 ans, intervient aux élections européennes. « C’était soit Jordan Bardella, soit vote blanc. » Ce manager en restauration portugo-béninois estime que le pays « part en sucette » : pêle-mêle, il parle de l’insécurité, des questions de genre, des personnes gays représentées à la télévision ou de l’acharnement contre le policier qui a tué Nahel…

Les autres immigrés

Kilian a les idées bien tranchées, et fait la différence entre les bons immigrés – dont sa famille – et les autres. Ses parents se sont eux « pliés aux valeurs et aux coutumes » du pays, pourquoi pas les autres ? « Ce n’est pas supportable que ces personnes traumatisent les gens qui les ont accueillis à bras ouverts dans leur pays ». Il enchaîne : « Oui, il y a peut-être beaucoup plus de racistes et de radicaux au RN, mais dans tous les cas, peu importe le parti, il y en aura. Tant que beaucoup ne s’adapteront pas et joueront les racailles, on n’avancera pas. »

« Soit tu t’intègres, soit tu t’en vas », plussoie Olivier, l’agent de sécurité Malgache. L’électeur de Bardella explique être pour une « date limite de bienvenue » pour régler ce « problème » :

« [Quand on immigre] on a tous droit à une année où ça ne va pas, mais quand ça fait quatre, cinq ans… À un moment donné, il faut faire tous des efforts. C’est comme tout dans la vie, soit tu t’intègres soit tu t’en vas. »

« Les gens qui viennent six mois pour dire qu’ils vivent en France alors que les autres six mois, ils les passent au bled […] non-stop… Moi aussi je veux une part du gâteau », s’insurge Guillaume, le petit-fils d’Algériens. Thibault, le Mosellan, fait le rapprochement avec son histoire familiale : « Ma grand-mère est venue en France sans faire de vague, elle s’est intégrée au pays. » Olivier, l’agent de sécurité, regrette :

« Il faut mieux sélectionner dans l’immigration. Laisser passer ceux qui sont là et qui sont intégrés. »

Assumer son engagement

Olivier tient à distinguer le patriotisme et le racisme. « Ce n’est pas être raciste qu’être fier de son pays. » Malgré son engagement, il raconte, évasif : « Ma couleur de peau a bien sûr réveillé des petites tensions, mais peu importe. » Il persiste :

« Quitte à se faire blâmer, si c’est pour que ça change, on sera blâmés et puis c’est tout. »

Concernant les blagues racistes de ses camarades de parti, Adam s’est paré du problème : le musulman coraniste use de l’autodérision. « Les fois où on me fait ces blagues, je suis la première personne à en rire. »

Pas biens vus

Cet engagement pour le RN n’est pas toujours bien perçu par le reste des familles. Guillaume préfère se faire discret : « Ma mère est une Algérienne, elle aime bien être dans le contrôle. » Pas facile non plus chez Adam du RNJ : « Mon père est de droite patronale, ma mère est de gauche. Ils ne sont pas forcément d’accord et je peine à en parler. »

Mais dans d’autres familles, c’est plus simple. Olivier, le Normand et agent de sécurité vient d’une famille très engagée pour la France :

« Beaucoup ont fait la légion étrangère, on fait l’armée. C’est plutôt de droite, mais pas forcément pour le Rassemblement national. »

Dans les cercles d’amis, les langues se délient plus facilement. « Tous mes amis sont issus de l’immigration et tout le monde respecte tout le monde », déclare Guillaume, le sudiste soignant, « et on est tous plus au moins du même avis ». Le jeune Adam assure qu’il a même des amis musulmans aux RNJ, « des copains qui se cachaient qui ont exprimé un ras-le-bol semblable au mien ». Puis de compléter, plein de lyrisme :

« Mais de toute façon, ça fait longtemps que les mains ne tremblent plus en votant Rassemblement national. »

(1) Les prénoms ont été changés.

Illustration de Une de Nayely Rémusat.