L’édition 2024 de la Foire du Trône s’est achevée ce 21 avril. Conviviale et populaire, la gigantesque fête foraine est régulièrement stigmatisée. Récit d’une saison marquée par les polémiques, entre bagarres et bad buzz, au grand damn des forains.
Porte de Charenton, 12e arrondissement de Paris – « Pardon mais c’est devenu un site de rencontre la Foire du Trône », lâche Salma (1), vingtenaire venue « du 95 », en plein sketch. « Tu crois que les gens sont venus faire des attractions ?! Ils viennent pour draguer hein ! » Sa bande de copines éclatent de rire. Odeurs de churros et de saucisses, lumières led criardes et écrans qui font tourner la tête : bienvenue à la mythique Foire du Trône, le royaume des manèges aux portes de Paris. Née en 957, la fête foraine millénaire est initialement installée Place de la Nation (11e), anciennement baptisée Place du Trône – d’où son nom ! Mais jugée encombrante, la Foire du Trône a été déplacée en 1964 sur la pelouse piétinée de Reuilly, quelques kilomètres plus loin, en bordure du Bois de Vincennes.
« Pardon mais c'est devenu un site de rencontre la Foire du trône », lâche Salma. « Tu crois que les gens sont venus faire des attractions ?! Ils viennent pour draguer hein ! » / Crédits : Louisa Ben
Devant les auto-tamponneuses, Ismaël, 12 ans, trépigne après avoir fait toute la route depuis Orly (94). À côté, son frère Yaya, cinq ans, a de la barbapapa pleins les mains et le visage. La Foire du Trône a toujours été populaire et, chaque année, elle arrive encore à faire jaser pendant ses deux mois de présence – souvent entre avril et mai. Sur les réseaux sociaux, défilent les thread qui compilent « toutes les dingueries qu’il y a eu », avec quelques fake news dans le lot. « Y’a eu bagarre vendredi et samedi dernier. » Un non-événement pour Isma (1), qui raconte l’embrouille comme le dernier potin devant les machines à grappins :
« C’est surtout le samedi soir que ça part, mais sans plus. »
Ismaël, 12 ans, trépigne après avoir fait toute la route depuis Orly. À côté, son frère Yaya, cinq ans, a de la barbapapa pleins les mains et le visage. / Crédits : Louisa Ben
Bagarre
« J’appelle tous les humains à venir massivement samedi 6 avril 2024 à la Foire du Trône. » L’appel aux followers est lancé un beau matin d’avril par le tiktokeur Willy à la prod. Le jeune homme suivi par des dizaines de milliers de personnes est surnommé le « maire de France », pour ses vidéos quotidiennes où il se rend dans des villes franciliennes et les vanne. Des détracteurs le prennent comme un rendez-vous et décident de le confronter sur la pelouse de Reuilly. « Des jeunes n’étaient pas contents parce que j’avais mal parlé de leur ville dans une vidéo », contextualise l’influenceur. « Alors que je n’avais rien dit de méchant. » L’événement est filmé et relayé sur les réseaux. Willy y participe en postant :
« Je suis à la Foire, du monde, c’est trop ghetto ! Ça va goumer ! »
Il fait des millions de vues et d’autres tiktokeurs se mettent à parler de la Foire. « Il y a des bagarres, comme dans toutes les foires ! », tempère Michael, le technicien d’une des grandes roues, marié à une foraine. « Ce qui est choquant, ce sont les réseaux sociaux », analyse-t-il. Ce fameux 6 avril, il voit « quatre gars passer en courant » dans l’allée de son manège. Puis quatre policiers derrière eux :
« Et puis une immense foule de 150 personnes qui couraient dans la même direction, tous avec leur téléphone ! »
La foire du trône a été déplacée en 1964 sur la pelouse piétinée de Reuilly. / Crédits : Louisa Ben
Mauvaise presse
Les médias s’emparent du sujet et envoient des journalistes sur place, pour des angles souvent sécuritaires. « Bagarres, vols à l’arraché : à la Foire du Trône, “bientôt y aura plus que les emmerdeurs” », titre Marianne. « “Ça ne rassure pas” : inquiétude après des violences en série à la Foire du Trône à Paris », s’angoisse BFM-TV. Le Figaro va plus loin, en se concentrant sur la présence de femmes voilées : « “La population change” : à la Foire du Trône de Paris, le tracas des forains face à la violence des “jeunes” ». « C’est une hécatombe cette année ! On est débordés », déplore le président du comité de la Foire du Trône, Louis Joubert, qui en à gros sur la patate concernant Willy à la prod :
« Comme dans les westerns, on a affiché la tête du tiktokeur à l’entrée, pour que la sécurité ne le laisse pas rentrer. »
Le 16 avril, il annonce même vouloir poursuivre en justice le créateur de contenus dans Touche Pas à Mon Poste, l’émission de Cyril Hanouna. Pour le président, « il a fallu qu’un trublion vienne pour faire une annonce et faire venir des jeunes sur la Foire ». Même s’il reconnaît que rien de grave n’est arrivé.
Née en 957, la fête foraine millénaire est initialement installée Place de la Nation (11e), anciennement baptisée Place du trône – d’où son nom. / Crédits : Louisa Ben
« Je pense qu’il s’est focalisé sur moi parce que j’ai eu de la visibilité alors que je n’ai rien fait de mal à la Foire », se défend le concerné. Sur TikTok, le hashtag « Foire du Trône » comptabilise effectivement près de 25.000 vidéos, dont pas mal d’images de bagarres. Il y aussi des analyses de visiteurs sur les manèges ou même sur l’ambiance. Quelques scrolls plus loin, il a cette vidéo Twitter – 800.000 vues au compteur – d’un jeune qui témoigne avoir vu des vols de churros et de pommes d’amour. « La foraine veut nous gazer !! », sur une capture d’écran d’une vidéo cette fois, une commerçante aurait une gazeuse dans les mains.
« Tout se passe bien, il n’y a jamais d’histoires », affirme Corinne, 61 ans, tenancière d’un stand de ficelles gagnantes. Tous les forains semblent s’être donnés le mot : il n’y a pas d’embrouilles. C’est mauvais pour les affaires, alors n’en parlons pas ! « Ce ne sont que des rumeurs », balaie carrément Gabin Lesot, 8e génération du patronyme, dans son stand de tir à la carabine. Le grand blond fait partie d’une de ces grandes lignées de forains qui ont pignon sur les allées de toutes les fêtes de France et de Navarre. Au président Louis Joubert d’en remettre une couche sur le plateau de Cyril Hanouna :
« Il n’y a pas d’espace public plus sûr en France. »
« Tout se passe bien, il n’y a jamais d’histoires », affirme Corinne, 61 ans, tenancière d’un stand de ficelles gagnantes. / Crédits : Louisa Ben
Sur le terrain
« J’ai pas vu de bagarres en vrai. Mais ça m’a grave freinée de venir », raconte Soukaina, jeune parisienne venue avec sa bande d’amies. « Après on ne va pas se mentir, il n’y a pas que cette année où il y a des bagarres. » Devant un manège qui tourne dans tous les sens, Nawelle, 8 ans, est ébahie. Elle est venue avec sa grande sœur Andrine qui, du haut de ses 15 ans, est persuadée que les gens en rajoutent sur les réseaux. Leur maman, Louisa, tempère :
« On n’a pas peur, c’est surtout la nuit. »
« J’ai pas vu de bagarres en vrai. Mais ça m'a grave freinée de venir », raconte Soukaina, jeune parisienne venue avec sa bande d’amies. / Crédits : Louisa Ben
« Mon mari m’a dit de faire attention. On vient bien en début d’après-midi exprès », rajoute un peu plus loin Mariatou, une mère de famille avec sa sœur et ses quatre enfants.
Rencontré à la Foire, le chef de patrouille de la police municipale de Paris raconte être présent tous les jours, de l’ouverture à midi jusqu’à 18H30. La Foire du Trône serait en réalité plutôt calme, selon ses dires. Le soir, la police nationale prend le relais. Une petite patrouille de quatre fonctionnaires se baladent d’ailleurs ce vendredi 12 avril au soir : « On est surtout là pour manger des chichis », confie l’un d’eux. Selon les informations du Figaro, seules deux enquêtes ont été ouvertes par le parquet pour violences cette année.
Une petite patrouille se balade d’ailleurs ce vendredi 12 avril au soir : « On est surtout là pour manger des chichis », confie l’un d’eux. / Crédits : Louisa Ben
Odeurs de churros et de saucisses, lumières led criardes et écrans qui font tourner la tête : bienvenue à la mythique Foire du trône. / Crédits : Louisa Ben
« La fameuse foire d’Abidjan »
Ce qui n’a pas empêché l’extrême droite de s’en donner à cœur joie sur les réseaux sociaux. Dans les commentaires TikTok de Willy à la prod, un certain Victor commente :
« La fameuse foire d’Abidjan. »
Sur Twitter, le site identitaire Fdesouche a été le premier à mettre en lumière les violences de la Foire en 2024, lançant dans la foulée la fachosphère sur le sujet. Florilège de tweets haineux : « Que ce soit à la Foire du Trône ou à la feria de Séville, ce sont toujours les mêmes qui pourrissent l’ambiance », « cette racaille qui fait la loi… » ou encore : « Ces barbares sauvageons qui se croient tout permis #ensauvagement », twitté par Benoît Auguste, conseiller de la région Auvergne-Rhône-Alpes, couleur Rassemblement national (RN).
Foire du trône à Paris. On arrête quand de se soumettre à ces barbares sauvageons qui se croient tout permis ? Force aux forces de l’ordre. Inadmissible ! #foiredutrone #ensauvagement pic.twitter.com/MMwNbp1EC8
— Benoît AUGUSTE (@baugusteaura) April 14, 2024
L’extrême droite n’est pas la seule à critiquer la fête foraine. « Plus on avance et plus cet endroit devient le repère de tous les kassos d’Île-de-France », commente un utilisateur qui semble plutôt loin des identitaires. Un autre encore : « C’est trop la jungle que dieu détruise la Foire du Trône une fois pour toutes ». Des propos dangereux qui se sont même retrouvés dans les rangs des forains. En 2010, le controversé Marcel Campion dénonçait « l’insécurité à la Foire du Trône squattérisée par des populations à risque ». Celui qui dit « tutoyer Marine Le Pen » est à l’époque président de la Foire. Un règne de 30 ans, entre 1964 et 2019, qui lui vaut le surnom de « Roi des forains ». C’est lui qui convainc les municipalités françaises de co-organiser les fêtes foraines et de les accueillir dans leurs villes. Lui encore, en 1964, qui réussit l’exploit de déplacer la Foire aux portes de Paris – où se déroulait à l’époque la Fête de l’humanité – alors que la mairie de Paris voudrait l’envoyer bien plus loin, à Créteil (94) :
« Tous les ans on essayait d’avoir un artiste : Maurice Chevalier, Dalida, Salvador Dali, Monsieur Mitterrand, Monsieur Chirac… Tous sont venus ! »
Marcel Campion a finalement cédé sa place à Louis Joubert pour se lancer en campagne. En 2019, il monte une liste pour les élections municipales de Paris avec, notamment, Jean-Marie Bigard, « pour bien embêter Anne Hidalgo », titre Le Monde cette année-là. En 2021, le forain est condamné pour injure publique l’actuelle maire de la capitale, pour l’avoir traitée de « salope » lors d’une réunion publique.
Louis Joubert : « On va remédier à tous les problèmes que nous avons rencontrés cette année. L’image qu’on nous a donnée, ce n’est pas la nôtre ». / Crédits : Louisa Ben
« L’image qu’on nous a donnée, ce n’est pas la nôtre »
Cette année, à l’occasion des 60 ans de la Foire du Trône, il n’y a pas eu de journée à thème comme lors d’autres éditions. « On n’a pas le temps et pas le budget. Et il ne fait pas assez beau », déplore Louis Joubert. Miss France 2024 est tout de même passée. Mais ce n’est pas ce qui a fait la Une de l’événement cette saison. « C’est une année sans. Des fois on a des années avec. C’est comme ça le métier de forain », glisse Gabin Lesot, du stand de tir à la carabine. Le blond soutient tout de même :
« La chose la plus importante dans le milieu, c’est de ne jamais laisser un client partir déçu. Et de faire passer un bon moment aux gens. »
Gabin Lesot et son tatouage « patate de forain ». / Crédits : Louisa Ben
« Vous n’avez pas deux euros ? J’ai perdu le billet de cinq euros de ma mère. » Personne ne peut louper l’entreprenante Mounia, 12 ans, et sa copine Inès, 11 ans. Elles n’en ont rien à faire des polémiques. Nutella mal nettoyé autour de la bouche, les deux petites alpaguent tout le monde dans un seul but : récolter assez pour faire le bateau pirate – qui se balance à cinq mètres de haut – et l’iconique tagada – sorte de soucoupe géante rebondissante sans harnais de sécurité. Il faut dire que les manèges coûtent cher en 2024. « Il y a dix ans, c’était quatre euros la grande roue et trois euros pour les enfants, maintenant c’est six euros et quatre pour les enfants », se rappelle Mickaël, le technicien de la grande roue. « L’entrée est gratuite », tempère le président Joubert. « C’est familial, convivial et populaire la Foire du Trône ! »
Les deux petites alpaguent tout le monde dans un seul but : récolter assez pour faire le bateau pirate et l’iconique Tagada. / Crédits : Louisa Ben
L’édition 2024 s’est terminée un peu en avance, ce dimanche 21 avril. Elle n’a duré qu’un petit mois cette année : le site doit être disponible pour accueillir des milliers de militaires dépêchés pour les Jeux olympiques. Mais la foire mythique revient, comme tous les ans, en 2025, cette fois pour deux mois. Louis Joubert se veut rassurant :
« On va remédier à tous les problèmes que nous avons rencontrés cette année. L’image qu’on nous a donnée, ce n’est pas la nôtre. »
(1) Les prénoms ont été changés.
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