Sabrina, Farida et Lalya s’apprêtent à ouvrir leur huitième restaurant, avec le succès de leur enseigne Sista Place. Une adresse pour bruncher où « tout le monde doit se sentir chez lui ».
Avenue d’Argenteuil, Bois-Colombes (92) – « Salut sista ! Tu vas bien ? » Sabrina a dû répéter cette phrase à des centaines de clientes. Sans que cela n’altère sa sincérité et son sourire communicatif. Ça commence toujours comme ça à Sista Place, la chaîne de restaurants de petits-déjeuners et de brunchs qu’elle a monté à partir de rien avec deux amies. Suivi d’un : « Tu manges quoi ? Non, il faut que tu manges ! » La tata d’« à peu près 40 ans » ne laisse partir personne sans lui servir pancakes, bagel et autres gourmandises importées des États-Unis. « Des assiettes copieuses, avec des influences de chez nous ! » Les eggs muffin côtoient l’Oriental, une assiette comprenant msemen, matlouh et felfel – sorte de crêpe orientale, pain algérien et salade de piments et poivrons rôtis – ou le Yassa Sista, inspiré du plat sénégalais à base d’oignons et de riz. « C’est ça notre délire : tout le monde se sent à la maison », complète Farida, douce, avant d’interpeller une table : « Un supplément chantilly ? » Reste Lalya pour clôturer ce trio, qui commente :
« On a même participé à des rencontres et des mariages. C’est meetic.fr ici ! »
Lancé en 2017, Sista Place compte aujourd’hui six restaurants dans toute l’Île-de-France, auxquels vont bientôt s’ajouter deux nouvelles adresses. Une success story pour ces trois femmes voilées, souvent négligées par le monde professionnel. Maintenant self made women, elles voudraient « donner leur chance à des petits de quartier : la chance qu’on ne nous a pas donnée ».
« On donnait gratuitement à manger »
« On fait comme si on recevait des gens à manger chez nous. » Sabrina n’avait rien à voir avec la restauration. Diplômée en prépa’ pharmacie, la fille unique rêve de « la grande famille » : « J’en ai eu sept ! ». En 2017, la mère au foyer profite d’un proche qui lâche un local à Bois-Colombes (94) pour le reprendre. Sista Place est né, d’abord avec trois bouts de ficelle. « Comme un délire avec Farida. » Les deux mères de famille s’adorent : elles se sont rencontrées à l’aéroport de Doha (Qatar), escale pour Dubaï (Émirats arabes unis). L’une galère avec le porte-bébé. « Je peux t’aider ? » Elles ne se sont plus quittées. « On cuisinait très très bien ! On a eu envie d’un lieu qui nous ressemble. » Sabrina a plein d’idées de recettes ! Farida – les « mains d’argent » de l’équipe – dresse chaque assiette comme une œuvre d’art Instagram, à coups de tourbillons de Nutella et d’avocat ciselé. « Mais on n’était pas structurées », contextualise Sabrina en rigolant :
« Parfois, on donnait gratuitement à manger aux gens. Ceux qui avaient besoin quoi. »
On leur présente Lalya, qui devient « le cerveau ». La plus jeune du trio a de l’expérience dans l’hôtellerie et la restauration. Le courant passe instantanément, en partie grâce à leurs influences américaines : dans tous leurs restaurants, une énorme fresque met à l’honneur des personnalités qui les inspirent. Sur celle de Bois-Colombes, se côtoient Rihanna, 2Pac, – « Mon ex », sourit Lalya – et DJ Snake. « Lui nous a donné de la force sur les réseaux. Il nous avait aussi envoyé en exclu sa cassette Disco Maghreb », explique Sabrina. Sur Instagram, elles s’affichent toutes les trois en baggy et T-shirt large, les mains formant un « W » en hommage au Wu-Tang, avant leur concert événement à Paris. « On n’arrive pas à grandir », sourient les trois enfants des nineties.
Par nous pour nous
Sur Instagram – actuellement 46.000 followers – les trois entrepreneures réunissent rapidement une communauté fidèle. « Les gens accrochent parce qu’on est des nanas qui ouvrent pour des nanas : une safe place. » Les premiers mois, sur certaines plages horaires, Sista Place est un lieu en non-mixité, où les femmes voilées peuvent retirer leur voile par exemple. Le trio met aussi en avant les produits d’autres entrepreneuses, qui ont des business sur les réseaux sociaux. « On avait organisé un marché, il y avait un monde de ouf ! » Les débuts riment aussi avec amateurisme : le succès est tel que l’événement déborde sur le trottoir. La mairie les réprimande. « À l’époque, on avait des voisins racistes aussi », souffle Sabrina :
« Ils ont jeté des pots de fleurs sur les voitures, arrosaient les gens en terrasse de leur fenêtre. Un est entré en caleçon dans le restaurant. »
Puis est arrivé le Covid. Un boom pour l’Instagram de Sista Place, qui organise des livraisons dans toute l’Île-de-France. « On a été jusque Savigny : une cliente réunissait toutes les commandes et on venait approvisionner tout son quartier », se souvient Lalya. Elles livrent aussi les soignants et les hôpitaux. Sista Place tourne à plein régime : trois voitures et deux scooters pour « les petits » qui partaient en livraisons. Quand elles le peuvent, Sabrina, Farida et Lalya font travailler les jeunes du coin, « pour qu’ils ne se rabattent pas dans les halls et leur donner leur chance », confie Lalya :
« Moi, on ne me l’a pas donnée : je suis partie travailler en brasserie, ça n’est pas facile quand tu es noire et de confession musulmane. »
Pour Farida, ce sont eux les plus assidus. « Ils le prennent comme un truc familial, comme nous. »
Huit Sista Place
Sur les deux dernières années, le concept s’est décliné en franchises : cinq Sista Place ont vu le jour à Arcueil (94), Les Clayes-Sous-Bois (78), Melun (77), Pavillon-Sous-Bois (93) et Paris. « Il nous manque le 91 (Essonne) et le 95 (Val d’Oise)… », dit Sabrina en faisant la moue. Les débuts sont effrayants : les franchisés sauront-ils sauvegarder l’essence de l’endroit ? Jusqu’ici tout va bien. À chaque restaurant sa fresque, avec des personnalités locales. « Tiakola dans le 93, Omar Sy dans le 78, Lena Situation à Paris ! » Les soirées engagées et féministes s’organisent toujours dans les différentes adresses, une fois la projection d’un match de la Coupe d’Afrique des nations, une autre pour une réunion entre femmes.
Dans les prochains mois, le trio devrait inaugurer un septième restaurant, cette fois à elles, à Tour d’Asnières (92). « On devrait ouvrir pendant le Ramadan, vers mars – avril. » Un huitième devrait arriver courant juin, cette fois en Seine-Saint-Denis : les entrepreneuses ont été invitées à participer au projet Les Docks de Saint-Ouen, un complexe comprenant entre autres le plus grand food court d’Île-de-France. « On n’imaginait pas avoir une chaîne en lançant notre premier restaurant ! » Elles voudraient, surtout, que l’ADN initial de Sista Place reste intact, comme l’explique Farida :
« On veut que tout le monde se sente bien, peu importe les origines, et ne pas diviser. »
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