Le streamer Medja et sa bande ont reçu des dizaines de rappeurs dans le DVM Show. L’émission diffusée en live sur Twitch rappelle le format de Planète Rap et des radios libres. Un succès éclair avec des extraits qui ont fait le tour d’internet.
« Il faut qu’il y ait tout le temps de l’ambiance », assure Medja, 25 ans, à son équipe, concentrée et appliquée. « Dès qu’il y a un moment où ça baisse, tu changes de cam’ ! » Ce soir de novembre, le streamer et sa bande s’affairent dans leur studio d’Aulnay-sous-Bois (93). Ici, on règle les quatre caméras. Là, on remet droit des disques d’or. L’équipe reçoit ce jour-là le rappeur lyonnais Ashe 22 – 1,7 million d’auditeurs mensuels sur Spotify (1) – pour la sortie de son nouvel album. Au programme : deux heures trente de freestyles sans interruption.
En seulement six mois, Medja et sa bande se sont fait une place dans le paysage rap d’internet avec leur émission sur Twitch DVM Show, pour Devoir Valeur Moralité – ou Dans Vos Mères d’après les viewers. Pendant plus de deux heures, un rappeur invité enchaîne les freestyles avec les artistes de son choix, souvent pour promouvoir la sortie d’un nouvel album. Favé, Guy2Bezbar, Franglish, Kerchak et bien d’autres se sont prêtés au jeu du live et des collaborations inédites, avec les équipes de DVM qui s’ambiancent face caméra derrière les rappeurs.
Suivi parfois par plus de 8.000 spectateurs en direct – sans compter le replay et les extraits YouTube et TikTok, qui comptabilisent pour certains des centaines de milliers de vues –, le show fait jaser. Sur TikTok, des utilisateurs s’interrogent :
« Est-ce que le DVM Show éteint Planète Rap ? »
En seulement six mois, Medja et sa bande se sont fait une place dans le paysage rap d’internet avec leur émission sur Twitch DVM Show, pour Devoir Valeur Moralité – ou Dans Vos Mères d'après les viewers. / Crédits : Tom Menetrey
Le concept rappelle l’émission mythique de Skyrock, présentée par Fred Musa et lancée en 1996, tout en s’inspirant du ton et de l’énergie des libres antennes. Certains vantent une fraîcheur et une liberté que l’émission de radio, plus cadrée par les coupures pub, aurait moins. « Les artistes y voient un fort intérêt parce qu’ils savent que des extraits vont tourner partout sur les réseaux. Dans leur plan promo, la priorité c’est le DVM aujourd’hui », affirme Nicolas Colombien, ancien animateur de Booska-P et aujourd’hui créateur de contenus sur le rap, lui aussi présent sur Twitch. YL, rappeur marseillais présent ce jour-là, constate :
« Leur audience en direct, c’était assez puissant. Ils avaient un engagement du public vraiment fort par rapport à un live qu’on pourrait faire sur nos propres réseaux sociaux. »
La recette
22h30, heure du lancement. Une bonne quarantaine de personnes se sont entassées dans le studio et s’agitent. Dans les bureaux, ils sont presque une centaine. De quoi réchauffer l’ambiance avant l’arrivée triomphale d’Ashe 22. Ovation dès le premier son. Medja attrape alors un micro et balance :
« Eh, vous ne me connaissiez pas les gens de la musique il y a deux ans, hein ! »
L’équipe reçoit ce jour-là le rappeur lyonnais Ashe 22 pour la sortie de son nouvel album. Au programme : deux heures trente de freestyles sans interruption. / Crédits : Tom Menetrey
Ashe 22 n’est pas venu seul : le collectif Lyonzon a fait le déplacement, et même… le Roi Heenok, Canadien bien identifié venu rapper en surprise. Une table, quatre micros, un néon lumineux DVM Show, un décor sobre. « Le rappeur principal ramène ses invités. Moi j’ajoute des gens que j’aime bien, qui ne sont pas forcément connus. On s’en fiche ! » Une façon de donner de la visibilité à des artistes en devenir. Medja – de son vrai prénom Mohamed – semble savoir exactement où il veut aller, entouré de son équipe : Blaize, Naskid, Manzala, Marki, Purp, eux aussi sur Twitch pour la plupart. « Il crée l’alchimie et il a besoin de ses gars autour de lui pour ça. Ça donne l’énergie et la folie de toutes ses émissions », commente Nicolas Colombien, qui poursuit :
« Il y avait un créneau à prendre pour les artistes qui ont juste envie de freestyler, kicker. Le DVM fait du bien : sur le créneau “rap street”, les médias publient moins de freestyles qu’avant. »
22h30, heure du lancement. Une bonne quarantaine de personnes se sont entassées dans le studio et s’agitent. / Crédits : Tom Menetrey
Dans les bureaux, ils sont presque une centaine. De quoi réchauffer l’ambiance avant l’arrivée triomphale d’Ashe 22. / Crédits : Tom Menetrey
Surtout, Medja et son équipe accordent beaucoup d’importance à une chose : présenter cette scène du rap sous un visage positif. Quitte à éviter les sujets polémiques, comme les affaires judiciaires ou les controverses sur les réseaux. Medja assume : « Je ne suis pas journaliste et je n’ai pas envie de parler d’embrouilles. On a reçu Rohff, j’aurais pu lui parler de Booba. Mais je n’avais pas envie. On ne veut pas être considéré comme un média qui saute sur le moindre buzz. » le rappeur YL, invité à plusieurs reprises commente :
« Ce ne sont pas des journalistes, ce sont des streamers qui kiffent. Au niveau des questions, c’est plus détendu. Je pense que ça plaît aussi au public : il y a un côté très authentique dans leur manière de faire les choses. »
Ovation dès le premier son. Medja attrape alors un micro et balance : « Eh, vous ne me connaissiez pas les gens de la musique il y a deux ans, hein ! » / Crédits : Tom Menetrey
L’effet Freeze
Le 24 juillet 2023, Freeze Corleone, tête d’affiche du rap français avec près de trois millions d’auditeurs sur Spotify (1) – débarque au DVM Show. Le temps d’une soirée, TikTok et X (feu Twitter) sont inondés d’extraits vidéos où la bande de DVM s’ambiance avec la figure de proue du 667. La cote de popularité de l’artiste est à son apogée, entretenue par sa rareté : le rappeur refuse les passages média, d’autant plus depuis les polémiques qui l’accusent d’antisémitisme. Medja commente :
« Les gens se sont dit qu’on pouvait ramener qui on voulait. Freeze ne s’est jamais montré avant, et peut-être qu’il ne se montrera plus jamais nulle part ailleurs. »
Depuis des semaines, les fans du driller attendent la sortie de son second album, L’attaque des clones. En coulisses, le manager s’inquiète. « Il ne va pas donner la date quand même ?! » « Au final il l’a fait parce qu’il a kiffé le moment », sourit Medja, pas peu fier de son exclu. Le projet a depuis fait disque d’or (50.000 exemplaires vendus) et le DVM Show a décollé :
« Ce live a débloqué beaucoup de choses : ça nous a mis un vrai tampon niveau crédibilité. »
À la rentrée 2023, les invités prestigieux défilent ensuite les uns après les autres. Kaaris, Leto, Dinos et Dosseh (dans le format talk de la chaîne) ou même Kery James. Le rendez-vous rap à ne pas manquer est installé, autant pour les rappeurs que pour le public. Et Medja amorce son tournant du jeu vidéo au rap.
À la droite d'Ashe 22, le rappeur marseillais YL. / Crédits : Tom Menetrey
Grâce à l'exclu de Freeze Corleone, le DVM Show a décollé : « Ce live a débloqué beaucoup de choses : ça nous a mis un vrai tampon niveau crédibilité. » / Crédits : Tom Menetrey
Les débuts
L’histoire de Medja avec Twitch et le rap français ne démarre en effet pas du côté d’Aulnay-sous-Bois mais à Los Santos, la ville fictive du jeu GTA V. Au milieu des années 2010, il joue régulièrement à la version en ligne du jeu sur la plateforme : sa gouaille plaît et ses vidéos sont suivies par plusieurs centaines de personnes. Motivé, le streamer investit dans un ordinateur payé en plusieurs fois et transforme sa chambre chez ses parents à Aulnay-sous-Bois en studio improvisé :
« Je mettais un matelas sur la porte pour qu’on ne m’entende pas. Vu que je criais beaucoup. »
Il gagne un nom dans le milieu du RP (Role Play) sur GTA et le Twitch français. Au point de prendre des locaux pour développer son activité. Il arrête aussi ses études en optique. Un jour de mai 2012, le rappeur de Sevran Stavo, un des membres du groupe à succès 13 Block, débarque sur un de ses lives pour discuter avec lui. Le gamin de Seine-Saint-Denis connaît un paquet de rappeurs de sa ville, mais aussi des environs. « Le frère de Stavo est un bon pote. »
Medja qui ramène Stavo dans sa chambre pour un live caritatif pic.twitter.com/UfloWomqE8
— DVM CORP (@DVMCORP) December 31, 2021
Medja commence avec une émission nommée le Medja Rap, fin 2021. Pendant deux heures, il reçoit des rappeurs pour discuter et faire des mini-jeux, avec un petit succès, sans atteindre ses chiffres actuels. Deux ans plus tard, il lance le DVM Show après une conversation avec le rappeur de Neuilly-Plaisance (93) Sadek :
« J’étais en live avec lui et je lui annonce faire une émission avec des rappeurs d’Aulnay dans deux jours. Il me dit que ça le chauffe. »
Le créateur de contenu lui propose alors de faire un live spécial autour de son album. Le concept est resté.
C'EST OFFICIEL LE DVM SHOW EST ACTÉ pic.twitter.com/gYGzGMhEWv
— DVM CORP (@DVMCORP) June 2, 2023
Un concurrent à Skyrock ?
« Eh, balance la surprise là ! » Dans le studio aux murs intégralement noir d’Aulnay, Medja ramène sur le devant des caméras un personnage cagoulé avec des grandes lunettes de soleil. Présent dans le public derrière Ashe22 depuis le début du live, l’invité mystère intrigue depuis un moment sur le chat, qui va finir par deviner de qui il s’agit.
MDDRRR FRED EN DIRECT DU DVM SHOW #DVMSHOW
fredmusa</a> <a href="https://t.co/fbsNjbgQG9">pic.twitter.com/fbsNjbgQG9</a></p>— DVM CORP (
DVMCORP) November 30, 2023
Invité par Medja, Fred Musa, alias Fred de Sky, attrape un micro pour interpréter son morceau de (faux) clash contre le présentateur Mehdi Maïzi, ghostwrité par Caballero & JeanJass (2) à l’époque pour Planète Rap. Un bon moyen de répondre par un sourire à une question que se posent certains observateurs : « Non, on n’est pas chaque jeudi en réunion de crise dans les bureaux de Skyrock à se dire : “Putain, mais qu’est-ce qu’ils ont fait là, on est cuits” », sourit Fred Musa un peu plus tard. Les chiffres parlent pour lui : Planète Rap rassemble 200.000 auditeurs chaque soir. « Moi, mon vrai concurrent, c’est NRJ », commente le présentateur dans une punchline malicieuse, tout en expliquant avoir été touché par l’invitation de son alter ego sur Twitch :
« J’ai senti qu’il y avait un petit côté transmission. Quand je discutais avec les gens là-bas, on me disait : “Tu es venu Tonton !” Medja n’oublie pas ce qui a été fait avant lui et je trouve ça super. »
Plutôt que de jouer sur le côté « nous contre l’ancienne génération », Medja et DVM font ainsi, malgré leur concept jeune et novateur, appel à des historiques du rap français. Aux platines depuis les débuts de l’émission, DJ First Mike, référence du DJ-ing français depuis une vingtaine d’années et DJ officiel de Sefyu s’occupe ainsi de tenir l’émission en envoyant les différentes instrus de la dizaine de rappeurs qui défilent. En coulisses, Sazamyzy figure du rap de la fin des années 2000 – d’ailleurs présent lors de l’émission d’Ashe 22 et présenté ce soir-là comme leur « grand frère » – a lui aussi donné un coup de main à l’équipe au moment de se lancer.
« Eh, balance la surprise là ! » Dans le studio aux murs intégralement noir d’Aulnay, Medja ramène sur le devant des caméras un personnage avec des grandes lunettes de soleil. / Crédits : Tom Menetrey
YL commente : « Ce ne sont pas des journalistes, ce sont des streamers qui kiffent. » / Crédits : Tom Menetrey
En installant définitivement son format dans l’écosystème du rap français, Medja voudrait voir sa chaîne Twitch DVM prendre du poids et se développer. Avec des nouveaux locaux ? « Je suis attaché à Aulnay et à l’aspect familial. Mais il va peut-être falloir partir pour produire des contenus encore plus qualitatifs et avec des artistes plus gros. » Il y a aussi la question du modèle économique : pour l’instant, les frais de tournages sont intégralement engagés par DVM, comme la plupart des projets que lance Medja. Ce dernier se rémunère avec les autres streams de sa chaîne, plutôt axés jeux vidéo, et les abonnements. Mi-novembre, la bande d’Aulnay annonçait justement la création d’une équipe de e-sport sur Valorant, le jeu le plus populaire dans le domaine compétitif. Cinq joueurs recrutés devraient commencer leurs entraînements prochainement, avant d’entrer en compétition cette année. De quoi, probablement, entendre encore parler de DVM en 2024. En musique, comme ailleurs.
En installant définitivement son format dans l’écosystème du rap français, Medja voudrait voir sa chaîne Twitch DVM prendre du poids et se développer : « Il va peut-être falloir partir pour produire des contenus encore plus qualitatifs et avec des artistes plus gros. » / Crédits : Tom Menetrey
(1) Chiffre de janvier 2024.
(2) Morceau interprété lors de l’émission Planète Rap du duo Caballero & JeanJass en 2021.