En 2017, un militant d’aide aux exilés à la frontière italienne est percuté par une voiture de police. L’agent est renvoyé devant le tribunal, mais ne comparaîtra jamais.
« On s’est saisi d’un prétexte pour enterrer un dossier gênant », affirme maître Vincent Brengarth dans son bureau situé à l’angle du palais du Louvre et de la rue de Rivoli. Cinq ans qu’il défend Mathieu Burellier, qui a porté plainte contre la police aux frontières (Paf) de Montgenèvre (05). Une voiture l’a renversé et lui a roulé sur le pied en mai 2017, lors d’une manifestation dans le village situé à la frontière italienne dans les Hautes-Alpes. À son volant, Christophe A., un agent de la Paf, 54 ans le jour des faits, aujourd’hui à la retraite. Selon ce dernier, Mathieu Burellier se serait volontairement jeté sur sa voiture.
L’affaire, racontée au départ par le Dauphiné Libéré et Mediapart, est devenue une suite d’imbroglios judiciaires. Une première plainte pour homicide involontaire est déposée en mai par Mathieu Burellier auprès du procureur et classée sans suite. Finalement, en septembre 2020, après une nouvelle plainte, Christophe A. est mis en examen et renvoyé devant le tribunal correctionnel pour blessures involontaires. Le militant pense qu’il va enfin obtenir justice. Mais l’avocat du policier dépose des observations aux fins de non-lieu et réussit à annuler l’audience. Un nouveau magistrat instructeur est saisi pour régulariser l’enquête. Deux ans plus tard, ce dernier a finalement prononcé un non-lieu. Malgré un appel de Mathieu Burellier, le juge a décidé de confirmer le non-lieu en mars 2023. Pour maître Brengarth, cela ne fait aucun doute : la justice a voulu enterrer l’affaire. C’est « problématique » que cette affaire n’ait jamais atteint les portes du tribunal. Selon lui, il s’agit de violences policières « plus invisibilisées que d’autres parce qu’elles concernent une situation d’intimidation et de violences contre des militants solidaires à la frontière italienne ». Mathieu Burellier assure :
« Pendant longtemps, j’ai vraiment cru qu’il aurait pu me tuer ce jour-là. »
« Homicide involontaire »
Montgenèvre, 1.860 mètres d’altitude. En ce doux mois de mai 2017, les fleurs et l’herbe verte ont remplacé la neige dans le village-station. À la frontière de l’Italie, devant les locaux de la Paf, des militants se sont mobilisés pour protester contre la garde à vue d’une de leur camarade, Mélanie Bérard, et de six exilés enfermés avec elle. Cette dernière est impliquée dans l’aide au passage de migrants à la frontière italienne. À cette période, à la fin de l’année 2017, 46.000 exilés sont interpellés à la frontière. Certains perdent leurs pieds dans la montagne et d’autres sont retrouvés morts. C’est dans ce contexte que nombre de montagnards s’engagent, seuls, ou auprès des associations, pour aider les sans-papiers.
Le 23 mai 2017, Mélanie sort de garde à vue vers 20 heures, sous les applaudissements de la trentaine de soutiens venus sur place. Mais les six exilés, eux, sont toujours dans le commissariat. Peu de temps après, deux voitures de police, avec à leur bord les migrants enfermés, se dirigent vers la frontière. Ils doivent être reconduits en Italie. La majorité des militants sont toujours sur place, et décide de barrer la route de la première voiture. Mais le conducteur choisit de forcer le chemin et de contourner l’attroupement en passant par la voie de gauche. Sur la voie, se trouve Mathieu Burellier. Il assure avoir été renversé par le véhicule, qui lui aurait roulé sur le pied après sa chute. Le soir même, Mathieu est conduit à l’hôpital dont il ressortira dans la soirée avec des brûlures sur les jambes, des douleurs et une incapacité de travailler de deux jours.
Selon le policier au volant, Mathieu Burellier aurait « plongé pour se jeter sur sa voiture », qu’il assure être « à l’arrêt ». L’agent de police, qui partira à la retraite quatre mois plus tard, pense que le militant « a eu le désir de se blesser à tout prix en se jetant sur la voiture ». Mais la plainte du militant auprès du proc’ est rapidement classée sans suite. Ce n’est pourtant que le début de l’histoire. Mathieu Burellier rencontre l’avocat Vincent Brengarth en 2018 lors du procès des sept de Briançon, dont il fait partie. Ensemble, ils reportent plainte contre l’agent de la Paf de Montgenèvre, en se constituant partie civile. Un juge d’instruction est saisi pour mener une nouvelle enquête. Cette fois-ci, une information judiciaire est ouverte pour « violence par une personne dépositaire de l’autorité publique suivie d’incapacité n’excédant pas huit jours ».
Témoins divergents, audience renvoyée
Pendant toute la procédure, de nombreux témoins sont interrogés. Certains plusieurs fois. La petite dizaine de témoins policiers assurent que Mathieu Burellier s’est délibérément jeté sur la voiture. Mais leurs versions des faits divergent. Certains assurent que deux manifestants se sont « jetés sur la voiture », ou que Mathieu ne s’est pas fait écraser le pied, alors qu’une policière indique qu’elle a bien vu le militant se faire rouler dessus. Les manifestants, eux, ont tous vu Mathieu Burellier être percuté et tomber. Tout comme la journaliste correspondante du Dauphiné Libéré, qui souligne lors d’une audition que « la voiture a foncé » sur un « jeune qui s’est retrouvé au sol ». La reporter stipule :
« La voiture a continué sa route sans ralentir et sans savoir si la personne allait bien. »
Après deux ans d’enquête, en septembre 2020, Christophe A. est renvoyé devant le tribunal correctionnel de Gap, accusé d’avoir blessé Mathieu Burellier. Le jour J, ils sont une trentaine de soutiens policiers et militants à se présenter devant le tribunal correctionnel de Gap. Quatre ans après les faits, l’affaire va enfin être jugée. Mais surprise générale, l’audience est renvoyée pour nullité et un nouveau juge d’instruction est saisi pour régulariser la procédure. Le motif ? La magistrate n’aurait pas pris en compte les observations de non-lieu de l’avocat de Christophe A. Au téléphone, Mathieu Burellier tempête :
« Pour un pseudo vice de forme qui ne devait rien changer au fond, la procédure a été sabotée. »
Non-lieu
Le 7 juillet 2022, le policier obtient un non-lieu. Pour le nouveau juge d’instruction, la mission de Christophe A. « s’est déroulée dans un contexte conflictuel […] de manifestants hostiles ». « La preuve d’un manquement à une obligation n’est pas rapportée […], l’infraction n‘est pas caractérisée », conclut-il, faisant référence à un ordre du supérieur de Christophe A., qui l’a autorisé à rouler sur la voie où se trouvait Mathieu Burellier. En face, la victime ne conçoit toujours pas cette décision :
« Il y a deux magistrats – la juge d’instruction et le procureur, ndlr – qui prouvent qu’il y a des éléments pour renvoyer ce policier au tribunal correctionnel. Et puis, sur les mêmes faits, on change de magistrat et il n’y a plus de délit. »
Son avocat Vincent Brengarth fustige :
« Ces débats devraient avoir lieu devant une juridiction de jugement. Si la défense veut se prévaloir d’un ordre de l’autorité légitime, ce n’est pas au juge d’instruction de trancher de cette question. »
L’appel du baveux ne donne rien, le 7 mars 2023, le non-lieu est confirmé. Mais l’affaire Burellier-Christophe A. n’est pas finie : la victime a déposé un pourvoi en cassation.
(1) Contrairement à ce qui était indiqué, la Cour de cassation a rendu son arrêt le 28 novembre 2023, et non pas le 7 décembre 2023.