Les détenus et les surveillants suffoquent. Fortes chaleurs, promiscuité, cour en béton… Les prisons, vétustes et surpeuplées, ne sont pas adaptées à la canicule. Reportage à la maison d’arrêt du Val d’Oise à Osny.
Dans une cellule de la maison d’arrêt du Val d’Oise à Osny (95), trois personnes se partagent une cellule de 9m2. Entre les murs, la chaleur est étouffante. Le thermomètre du député du Val d’Oise Carlos Martens Bilongo (LFI), venu constater la température dans le cadre de son droit de visite parlementaire (1), affiche 35,3 degrés à 18h. « On fait des douches-cellules », explique un jeune homme de 21 ans, en désignant de son doigt le lavabo situé à l’entrée de sa cellule. Les détenus ne peuvent se laver que deux fois par semaine. En cellule, pas de douche : un lit à étage d’un côté et un simple de l’autre, une télé posée sur un frigo et des toilettes sans porte, uniquement séparées du reste de la pièce par une couverture de fortune suspendue. Reste une minuscule table, au centre, sur laquelle repose un ventilateur. L’air qui s’en échappe ne fait pas grand effet.
« Mais ceux qui travaillent dans les ateliers ou qui vont au sport peuvent avoir accès à la douche trois fois par semaine voire plus », tient à préciser la cheffe de détention, qui escorte le député, son collaborateur et StreetPress pour la suite de la visite. Le directeur de l’établissement l’accompagne. Deux jours plus tôt, le député s’était déjà présenté accompagné de son collègue, le député Paul Vannier (LFI). Mais leur venue a été écourtée faute de pouvoir rencontrer des détenus. Avec les effectifs de surveillants réduits la nuit, il n’a pas été possible d’ouvrir les cellules, a expliqué la direction. Avant d’ajouter, un brin rieur :
« Revenez demain. »
Le député l’a pris au mot. « Le sujet c’est toujours la canicule ? », demande une membre de la direction. « C’est fini ce week-end normalement ! » ajoute-t-elle. Même en période de fortes chaleurs ou de plan canicule déployé par la préfecture, le nombre de douches par semaine n’augmente pas. Et la surpopulation n’arrange rien. La prison accueille actuellement 873 détenus pour 579 places.
De gauche à droite : le député LFI Carlos Martens Bilongo et le directeur de la prison Patrick Hoareau. / Crédits : Clara Monnoyeur
Même en période de fortes chaleurs ou de plan canicule déployé par la préfecture, le nombre de douches par semaine n’augmente pas. / Crédits : Clara Monnoyeur
Promiscuité et tensions
Un surveillant confie souffrir de la chaleur, le visage humide et ruisselant : « La journée, c’est compliqué ». Leur tenue, composée d’un pantalon et d’un gilet par-lames ne laisse pas beaucoup d’air. « Il fait entre 35 et 40 degrés dans les cellules et les coursives », affirme-t-il d’une voix basse.
Nouvelle cellule. Dans un lieu où tout a son importance et où la cohabitation à trois dans 9m2 peut vite dégénérer, la chaleur engendre aussi des frustrations à en croire les jeunes détenus, qui sont en colère. Debout face au député, les deux s’expliquent :
« On n’a jamais la parole nous. »
Ils énumèrent les différents problèmes : la chaleur, l’interphone que personne ne décroche quand ils appellent, les bagarres en cellule, et la relation avec certains surveillants. Le troisième est assis sur son lit et fixe son regard dans le vide. Il semble perdu et ne pas comprendre ce qu’il se passe.
En cellule, pas de douche : un lit à étage d’un côté et un une place de l’autre, une télé posée sur un frigo et des toilettes sans porte. / Crédits : Clara Monnoyeur
Le premier explique que son codétenu aurait dormi deux nuits sans matelas, directement « sur la ferraille » du sommier. « Le surveillant ne l’aime pas, donc il l’a laissé deux nuits sans matelas », promet-il. « Il lui a aussi pris quatre paquets de cigarettes et ne lui a jamais rendu. » Son comparse montre une marque à son poignet et une trace en dessous de l’œil : « C’est le gradé, il m’a frappé », assure-t-il. Les deux jeunes sont inscrits à l’école, ce qui leur permet de s’échapper de leur cellule et de la chaleur en journée. Ils vont aussi à la bibliothèque. « Au niveau culturel, c’est top », tiennent-ils à préciser.
Dans une autre cellule, un vieux monsieur est seul. Il ne fait pas moins chaud pour autant. L’odeur de cigarette qui s’en dégage rend l’atmosphère étouffante. « Il fait 34,5 degrés », lance le député Carlos Martens Bilongo en montrant son thermomètre. L’homme, au visage marqué, explique souffrir d’épilepsie. Il a accroché une serviette à sa fenêtre, seul moyen d’avoir de l’ombre et de se cacher de la lumière. « Vous savez que c’est interdit normalement ? » lui lance le directeur adjoint, qui a rejoint la visite. « Non, je ne savais pas », s’excuse, penaud, le vieil homme. « Non mais c’est bon, évidemment, on ne va rien vous dire », rattrape l’adjoint, posté à l’entrée de sa cellule.
Un détenu a accroché une serviette à sa fenêtre, seul moyen d’avoir de l’ombre et de se cacher de la lumière. / Crédits : Clara Monnoyeur
Une odeur de nourriture émane des couloirs. Un homme pousse un chariot avec le repas du soir : une purée de carottes, une part de quiche et une banane. « Ça va avec la chaleur ? Pas trop chaud ? » demande le député à « l’auxi », surnom donné aux détenus qui travaillent en prison. « Non, ça va, ça va », répond l’homme au tablier en plastique et au visage transpirant, un peu gêné.
Le repas du soir : une purée de carotte, un part de quiche et une banane. / Crédits : clara
Dispositif canicule
La prison, mise en service dans les années 90, est vétuste et composée de béton. Dans la cour de promenade, aucune trace de verdure, seulement des murs, des barbelés qui les surplombent et du sable au sol. En maison d’arrêt, où les détenus sont enfermés 22h sur 24h, les deux heures de promenade peuvent se transformer en enfer en plein cagnard. Les seules zones d’ombre sont celles créées par les murs de plusieurs mètres de haut. Un robinet permet aux détenus venus avec leurs bouteilles de boire et de se rafraîchir. Si celui-ci fonctionne, ce n’est pas le cas de tous. « Ils fonctionnent quand les détenus ne les cassent pas », rétorque la cheffe de détention. Sur les trois cours de promenade – qui peuvent accueillir chacune 80 détenus – combien n’ont pas de robinet fonctionnel ? « Je ne pourrais pas vous dire », explique-t-elle.
Dans la cour de promenade prévue pour 80 personnes, aucune trace de verdure. / Crédits : Clara Monnoyeur
Un robinet permet aux détenus venus avec leurs bouteilles de boire et de se rafraîchir. Si celui-ci fonctionne, ce n’est pas le cas de tous. / Crédits : Clara Monnoyeur
En cas de mise en œuvre du plan canicule par la préfecture, les détenus comme le personnel ont le droit à une bouteille d’eau par jour, explique le directeur de prison. La seule vraie mesure en place. « On distribue aussi des bobs aux détenus pour la promenade pour ceux qui le demandent et qui en ont besoin. » Les détenus ont également la possibilité de cantiner – acheter des produits au magasin interne à la prison – des bouteilles d’eau supplémentaires, des jus ou des ventilateurs pour se rafraîchir. Mais encore faut-il en avoir les moyens. Il faut compter entre 20 et 30 euros pour un ventilo. Et les délais de livraison peuvent prendre des semaines.
Les détenus ont également la possibilité de « cantiner » des bouteilles d’eau supplémentaires ou des ventilateurs pour se rafraîchir. Mais encore faut-il en avoir les moyens. / Crédits : Clara Monnoyeur
À LIRE AUSSI : En prison les détenus ont faim et les inégalités persistent
Finalement, en prison, se protéger de la chaleur relève de la débrouille. Si les fenêtres s’ouvrent, elles sont recouvertes de grillages ou de caillebotis. L’entrée d’air y est très réduite. En juin 2021, les femmes détenues de la nouvelle prison des Beaumettes à Marseille (13) avaient retiré les dispositifs anti-bruit qui obstruaient l’aération de leurs cellules et rendaient l’air irrespirable sous forte chaleur. Elles ont été sanctionnées de cinq jours de quartier disciplinaire et de 500 euros d’amende, selon l’OIP.
Finalement, en prison, se protéger de la chaleur relève de la débrouille. Si les fenêtres s'ouvrent, elles sont recouvertes de grillages. / Crédits : Clara Monnoyeur
Le cas de la maison d’arrêt d’Osny n’est pas isolé. Au centre pénitentiaire d’Aix-en-Provence (13), des températures allant jusqu’à 50 degrés ont été relevées au mois de juin, selon France Info. Fin août, un cabinet d’avocats toulousains s’inquiétait du peu de mesures prises pour les prisonniers pendant la canicule. Selon La Depêche, le cabinet a déposé une centaine de requêtes devant le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Toulouse pour dénoncer les conditions de vie « indignes » des personnes placées en détention provisoire pendant la canicule.
Sur le mur, sont placardées des consignes pour prévenir des fortes chaleurs. / Crédits : Clara Monnoyeur
Ici, à Osny, la cheffe de service de l’unité sanitaire, rencontrée ce jour, déclare ne pas avoir plus de consultations liées à la chaleur. Le directeur, lui, assure n’avoir reçu aucune plainte des personnes incarcérées concernant la canicule. Lors de la première visite des députés, il déclarait :
« Mais ne vous inquiétez pas, ils parlent, ils crient, ils insultent, ils sont bien vivants ! »
Dans un couloir un détenu criait pourtant derrière sa porte : « On crève ici ! »
À LIRE AUSSI : « Il fait plus froid en cellule qu’en promenade » : en prison, les détenus souffrent de l’hiver
(1) Depuis 2015, les parlementaires ont le droit de se rendre à l’improviste dans des lieux de privation de liberté avec des journalistes.