Le 27 mars, Raja, Raian, Henri et Ousmane sont interpellés en marge du blocage de leur lycée à Sevran. Trois d’entre eux, dont deux mineurs, sont placés en garde à vue et subissent des humiliations. Lycéens, parents et professeurs s'insurgent.
Sevran (93) – Le matin du 27 mars dernier, des pancartes et un caddie bloquent l’entrée principale du lycée Blaise Cendrars à Sevran. Des lycéens ont organisé un blocus pour protester contre la réforme des retraites et celle du baccalauréat. Vers 10h, un groupe met au milieu de la route deux poubelles et allume un feu qui s’éteindra tout seul au bout de quelques minutes. « C’était vraiment le blocus le plus calme de toute ma vie », décrit Charlotte (1), une professeure du lycée :
« J’étais loin d’imaginer tout ce qui allait se passer après… »
Raja, Raian, Henri et Ousmane – seul majeur du quatuor – (1) ont assisté au blocus. Tous vont être interpellés. Raja, Raian et Ousmane sont mis en garde à vue, pendant plus de 30 heures pour les deux derniers. Selon leurs dires, il leur serait reproché d’avoir dégradé « un bien public devant un établissement scolaire » et d’avoir « par effet d’une substance explosive, d’un incendie ou de tout autre moyen de nature à créer un danger pour les personnes volontairement détruit des bennes à ordures au préjudice de la mairie de Sevran ». Dans les faits, Raja et Raian disent avoir mis une feuille d’arbre dans une poubelle enflammée et Ousmane avoir repoussé une poubelle tombée proche de lui.
Les professeurs du lycée expliquent que deux élèves supplémentaires ont été arrêtés, dont un a été en garde à vue. Ils n’ont pas été identifiés par StreetPress. Léon, un de leurs professeurs, contextualise :
« Ce ne sont pas du tout des élèves à problème. L’action était tolérée par tout le monde. La seule agressivité, c’était celle de la police. Ils ont décidé que, quoi qu’il arrive, c’étaient des délinquants… »
Des menottes « parce qu’il risque de s’enfuir »
Assis sur le banc d’un parc à Sevran, sous les rayons du soleil de la mi-journée, Raja, Raian, Henri et Ousmane enchaînent les blagues pour détendre l’atmosphère. « Qu’ils l’arrêtent lui ok, mais toi c’est impossible ! », rit l’un des lycéens. « Quoi, c’était toi le sixième ? Mais c’est impossible, t’es beaucoup trop sage ! », s’étonne son voisin. « Je me demande encore comment c’est possible que ça soit arrivé », lâche finalement une autre d’une voix grave.
Quand Henri arrive devant le lycée vers 11h, ce fameux 27 mars, il rejoint des camarades qui fabriquent des pancartes. L’un d’eux lance l’idée de peindre le slogan « Jeunes, fier-es et révolté-es » sur un mur du lycée. Le jeune homme de 17 ans et deux autres lycéens trempent leur doigt dans un pot de peinture noire et tracent les lettres sur le mur. Des policiers arrivent derrière lui. « L’un d’eux me dit : “Tu es au courant de ce que tu es en train de faire ? Ça s’appelle du vandalisme. Retourne-toi” », explique Henri. « J’étais très pacifiste, je me suis laissé faire. » Le lycéen aurait ensuite été menotté et mis dans la voiture devant certains de ses professeurs. « J’ai demandé pourquoi ils le menottent, ils m’ont répondu : “Parce qu’il risque de s’enfuir”. Ils ont ajouté sur un ton ironique : “On va bien s’occuper de lui, c’est pas la police de Paris ici” », raconte Léon, professeur de philosophie. Un policier lui aurait ensuite demandé de reculer de la voiture avant d’ajouter : « Je n’ai pas envie de me prendre un coup de couteau dans le dos. » Lorsque Léon demande s’il peut accompagner le lycéen mineur, un policier lui aurait dit :
« Vous n’avez qu’à marcher. »
Léon, ses collègues et des élèves se rendent donc au commissariat de Sevran vers 13h pour obtenir davantage d’informations, en vain. Finalement, après un contrôle d’identité, Henri sera libéré par une porte à l’arrière sans que la petite foule ne soit mise au courant. « Pendant qu’on attendait, on voit un homme arriver et tenter d’entrer dans le commissariat. On est allé lui parler, il nous a dits qu’il était le père de Raian. C’est là qu’on a compris qu’il y en avait d’autres… »
Des gardes à vue prolongées
Masbah, le père de Raian, est resté à la porte. « J’ai demandé des explications sur mon fils à un officier, il m’a répondu : “C’est un délinquant” », raconte-t-il. Des propos également rapportés par son prof’ Léon. Raian, 16 ans, aurait été interpellé aux abords du lycée un peu après 11h. « Une voiture s’est arrêtée. Deux policiers sont sortis. Ils m’ont attrapé le bras et m’ont mis dans la voiture. » En tout, il fera 30 heures de garde à vue.
Ousmane, qui est majeur, est lui aussi arrêté en rentrant chez lui. « La policière me dit de couper le contact et elle arrache mes clés de voiture. Elle me plaque contre la voiture et me met les menottes très serrées », décrit le jeune homme de 18 ans. « Quand je pose une question, elle me dit : “Ferme ta gueule.” » Ousmane sera mis en garde à vue, prolongée à 48 heures avant de passer en comparution immédiate au tribunal de Bobigny :
« Dans la cellule, c’était très sombre. Quand on appelait pour dire qu’on avait faim ou qu’on voulait aller aux toilettes, les policiers fermaient la porte et nous ignoraient. »
Racisme et moqueries
En fin de matinée, vers 11h45, c’est au tour de Raja d’être arrêtée au même endroit que Raian. « Ils n’interpellent pas devant le lycée, ils isolent. Comme ça, il n’y a pas de témoins des violences », lâche-t-elle dégoûtée. « La policière me plaque sur le capot de la voiture, elle me met les menottes. Quand je demande ce qu’il se passe, elle me dit “ferme ta gueule”. » La jeune femme de 17 ans entre dans la voiture de police, en larmes. Elle demande à plusieurs reprises ce qu’elle a fait, où elle va. « On me répond : “Tu vas rester en GAV et ne pas ressortir”. Un policier me dit : “Ferme ta gueule Fatoumata”. » Une fois au commissariat, Raja attend sur un banc et subit à nouveau des remarques racistes :
« J’entendais les policiers dire : “Regardez Fatoumata, elle pleure”. »
Pendant son contrôle d’identité, un policier lui aurait demandé pourquoi elle pleure. « Son collègue à côté répond : “Non non, pas de pitié pour les noirs ici” », se rappelle-t-elle, encore choquée.
Raja est ensuite amenée dans une pièce où une policière lui demande de se déshabiller entièrement pour la fouiller. « J’étais complètement nue, je me sentais comme une terroriste. » Elle dit que ses vêtements avec cordons (sweat, jogging) sont confisqués. Elle serait restée avec seulement son manteau, avant de récupérer une couette et un matelas pour rejoindre sa cellule. « Je ne faisais que pleurer, j’avais peur qu’ils me fassent ce qu’on voit dans ma cité. » Ousmane et Raian auraient subi la même fouille et seraient restés en short durant leur garde à vue. « Un des premiers trucs qu’ils nous ont dit, c’était ça. Qu’ils avaient eu froid », se souvient Charlotte, une professeure.
Raja affirme également ne pas avoir eu le droit de boire d’eau et d’avoir eu un repas périmé depuis plusieurs mois, immangeable. Elle restera en garde à vue pendant neuf heures avant de rentrer avec sa mère :
« J’étais terrorisée. Je voulais juste retrouver l’odeur de ma maison. La cellule ça pue, il y avait du caca sur les murs. »
Problèmes dans les procédures
« Quand la policière m’informe de mes droits, elle me dit que j’ai le droit à un avocat, mais que ça ne sert à rien », s’étonne Raja. Ousmane rapporte les mêmes propos quand il a demandé à voir son avocat de famille. Tout comme le père de Raian, lorsqu’il a été prévenu de l’interpellation de son fils.
« Les policiers m’ont donné une feuille et ils m’ont dit “signe”. Je ne savais même pas ce que c’était. Pour la prolongation, ils m’ont redit de signer alors je ne l’ai pas lu non plus. J’ai signé », décrit Raian. Raja et Ousmane décrivent des situations similaires. Les lycéens disent également ne pas avoir pu appeler leur famille durant leur garde à vue, ce qui fait pourtant partie de leurs droits. Les parents d’Ousmane ont donc appris l’arrestation de leur fils le soir en se rendant au commissariat. « J’en étais malade, je ne me sentais pas bien », se souvient inquiète sa mère.
Un pointage
« Ce n’est pas normal qu’un mineur reste plus de 24 heures en garde à vue. Je ne connaissais même pas son état de santé ! », s’insurge le père de Raian, qui dit vouloir porter plainte. Les élèves concernés et quelques professeurs doivent rencontrer une avocate cette semaine pour réfléchir aux suites possibles.
En attendant, Raja et Raian sont convoqués au tribunal en mai. Ousmane, le seul qui est passé devant les juges, a vu son audience être renvoyée en septembre prochain. Il doit néanmoins aller pointer tous les mois au commissariat et toutes les semaines en période de vacances.
(1) Les prénoms ont été modifiés.
Contactée, la préfecture de police de la Seine-Saint-Denis n’a pas donné suite à notre sollicitation.
Contacté, le lycée a renvoyé vers le rectorat, qui n’a pas répondu à nos sollicitations.
Enquête de Lisa Noyal. Illustration de Une par Caroline Varon, à partir d’une photo de Clément Bernard.
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