En janvier 2018, la police tire une balle dans la tête de Gaye Camara. Depuis, son frère Mahamadou porte le combat pour obtenir justice. Il témoigne dans le documentaire Violences Policières, le combat des familles.
« Ça n’est pas facile… d’enterrer son frère », souffle Mahamadou Camara, qui peine à trouver ses mots. Il se reprend plusieurs fois avant de continuer doucement :
« Il n’y aura pas d’épreuve aussi douloureuse. Tout ce que je vais subir dans cette vie ne pourra pas être pire que la douleur que j’ai ressenti en enterrant Gaye. »
Dans le documentaire Violences Policières, le combat des familles – réalisé par StreetPress et disponible sur France.tv Slash – l’homme de 38 ans raconte avec beaucoup d’émotions l’histoire de son frère, Gaye Camara, tué d’une balle dans la tête par la police d’Epinay-sur-Seine en 2018.
« Tout ce que je vais subir dans cette vie ne pourra pas être pire que la douleur que j’ai ressenti en enterrant Gaye », souffle Mahamadou Camara. /
Crédits : StreetPress
En janvier 2021, StreetPress publiait déjà un long récit sur le combat de la famille Camara. Mahamadou et ses proches ont accepté une nouvelle fois de nous ouvrir la porte de chez eux et de parler, face caméra, de leur deuil impossible, du manque, et de leur frustration de faire face à une justice qui a accordé la légitime défense au policier qui a tiré.
Violences Policières, le combat des familles est le nouveau documentaire StreetPress diffusé sur France.tv Slash.
Cédric Chouviat, Claude Jean-Pierre, Allan Lambin, Gaye Camara, Wissam El Yamni, sont morts après une intervention de police. Leurs familles se sont engagées corps et âme dans un combat pour comprendre les circonstances de leur décès. Elles organisent des manifestations et des actions pour faire perdurer leur mémoire et réclamer un procès. Malgré les preuves et les témoins, la version des familles est systématiquement écrasée par celle des forces de l’ordre.
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Gaye Camara
« Quand je me réveille, je pense à lui. Quand je dors je pense à lui, quand je suis au taf, je pense à lui… », confie Mamad, comme l’appellent ses proches. « Gaye représentait beaucoup pour moi. C’était ma moitié. » Le petit frère de 26 ans est le septième d’une fratrie de dix. Les Camara sont originaires du Mali. La famille fait partie des premières à avoir emménagé dans la ville nouvelle de Champs-sur-Marne, en Seine-et-Marne, en 1985. Le père est ouvrier spécialisé dans la métallurgie, la mère fait des ménages. Si cette dernière s’inquiète pour certains de ses fils, elle répète à qui veut l’entendre : « Gaye, c’est celui pour lequel je n’ai pas de soucis à me faire ».
« Moi, j’étais l’homme qui travaillait », raconte Mahamadou. « J’étais l’aîné, il fallait que je charbonne. Gaye faisait tout à la maison. » Il s’occupe des enfants des uns, joue les garagistes pour les autres. Il s’improvise parfois chauffeur. Il aide ses parents avec les courses. Gaye suivait aussi une formation pour devenir chauffeur de bus et venait de demander la main de sa fiancée. « Une force tranquille », assure son grand frère :
« Quand un drame comme le nôtre arrive à un jeune comme Gaye, tout le monde est choqué. »
16 janvier 2018
Le mardi 16 janvier 2018, après être passé chercher son cousin à Champs-sur-Marne, Gaye Camara conduit un ami à Épinay-sur-Seine (93). Ce dernier doit y récupérer une Mercedes noire, qui s’avère avoir été volée quelques heures plus tôt, à un moment où Gaye n’est pas sur le territoire français. « Il était en vacances au Cap-Vert. Il venait de rentrer », explique son grand frère. Le propriétaire a pu géolocaliser le véhicule et des agents de la BAC attendent en planque sur place.
Il est presque minuit quand Gaye Camara, au volant de sa Polo Volkswagen, dépose son ami devant l’impasse du Baron-Saillard. Ce dernier est interpellé en voulant prendre possession du véhicule. Une voiture de police aurait alors déboulé pour bloquer la contre-allée et appréhender les complices présumés. Gaye, toujours au volant, prend peur, selon le récit de son cousin assis à ses côtés. Il aurait tenté une courte marche arrière pour reprendre la route. Dans le documentaire, Mahamadou Camara acène :
« Il a voulu fuir par peur, et ils ne l’ont pas laissé partir, ils lui ont tiré dessus. »
Les policiers font feu à sept reprises sur la Polo. Un huitième tir, fatal, atteint Gaye Camara en pleine tête.
Le non-lieu
Lors d’une audience en appel, le 15 décembre 2020, la juge a prononcé un non-lieu dans l’affaire Gaye Camara. « Un non-lieu ça veut dire qu’il ne s’est rien passé : “Circulez, il ne s’est rien passé” », s’énerve Mahamadou :
« C’est de l’injustice, ça me fout la rage ! »
La juge a estimé que les fonctionnaires avaient agi en situation de légitime défense. Depuis 2017, la loi a assoupli les conditions dans lesquelles les agents peuvent faire usage de leur arme à feu. Est-ce une extension du domaine de la légitime défense ou un permis de tuer ? La question qui fait débat est expliquée dans un article du Monde, qui s’appuie justement sur l’affaire Gaye Camara.
Le combat des familles
« Toutes les familles se heurtent au non-lieu », explique Marwa El Yamni, dans le documentaire Violences Policières, le combat des familles. La petite soeur de Wissam El Yamni, mort à la suite d’une intervention de police dans la nuit de la Saint-Sylvestre à Clermont-Ferrand en 2012, s’interroge :
« Toutes les familles doivent aller devant la Cour Européenne pour faire condamner la France. Pourquoi la France ne sait-elle pas juger ses propres agents ? »
C’est effectivement la suite juridique prévue par la famille Camara. Yassine Bouzrou, leur avocat, qui participe également au documentaire, rappelle que saisir la Cour Européenne des Droits de l’Homme est le dernier recours possible dans cette affaire.
Mahamadou Camara et maître Yassine Bouzrou. /
Crédits : StreetPress
« Après la mort de Gaye tout le monde s’est réveillé et s’est engagé », raconte Mahamadou, en parlant de ses soutiens et des jeunes de Champs-sur-Marne, qui se sont réunis dans le comité Vérité et Justice pour Gaye. « Nous, malheureusement, ça nous est tombé dessus. Mais on aimerait que ça n’arrive plus. C’est pour ça qu’on mène le combat et qu’on ne reste pas les bras croisés. » Il ajoute :
« Les violences policières, ça ne doit pas être le combat de quelqu’un : ça doit être le combat de tout le monde. »
« Après la mort de Gaye tout le monde s’est réveillé et s’est engagé », raconte Mahamadou, en parlant de ses soutiens et des jeunes de Champs-sur-Marne, qui se sont réunis dans le comité Vérité et Justice pour Gaye. /
Crédits : StreetPress
Violences Policières, le combat des familles est disponible gratuitement et en intégralité sur France.tv Slash