Cédric, Claude, Allan, Gaye et Wissam sont morts après une intervention de police. Dans le documentaire « Violences policières, le combat des familles », leurs proches confient leurs deuils et demandent justice.
Cédric Chouviat, Claude Jean-Pierre, Allan Lambin, Gaye Camara, Wissam El Yamni, sont morts après une intervention de police. Depuis, leurs familles se sont engagées corps et âme dans un combat pour connaître les véritables circonstances de leurs décès et obtenir justice.
Dans les médias, on parle d’un « jeune entre la vie et la mort après un tir de la police » ou du « livreur mort après une interpellation ». On parle de chiffres aussi : 13 personnes décédées après des tirs de la police pour des refus d’obtempérer en 2022. Mais connaissez-vous leurs noms ?
Cédric Chouviat, Claude Jean-Pierre, Allan Lambin, Gaye Camara, Wissam El Yamni. Ils ont été décrits comme « fuyard », « irrespectueux et agressif » ou « récalcitrant », sous « l’emprise d’alcool et de stupéfiants ». Avez-vous entendu leurs proches ? Leurs pères, leurs mères, leurs frères, leurs sœurs, leurs femmes, leurs enfants, expliquer leurs doutes. Raconter quelles personnes, Cédric, Claude, Allan, Gaye et Wissam étaient. Pointer les incohérences dans les versions policières. Se confier sur leurs difficultés à se faire entendre devant les tribunaux. Crier l’injustice, jour après jour, année après année.
Depuis 2016, je rencontre des familles qui ont perdu des proches après des interventions de police. Pour certaines, je les ai vues en manifestation, crier leur peine dans des micros. D’autres m’ont ouvert la porte de chez eux, et m’ont raconté leur histoire et leur deuil impossible. Si chaque famille a son histoire bien singulière, je me suis rendue compte qu’elles étaient liées par un certain nombre d’épreuves. Un chemin de croix sur lequel elles avancent à leur rythme.
Frank, le papa d'Allan. / Crédits : Ines Belgacem
Tout commence par une mort, dont les causes sont souvent les mêmes : plaquage ventral, mystérieux décès dans un fourgon de police ou un commissariat, balle dans le dos ou dans la tête, course-poursuite mortelle. Les familles sont prévenues tardivement, le plus souvent après la réaction de la préfecture qui incrimine la victime, comme pour se dédouaner. « Nous sommes criminalisés avant même d’être entendus », regrette Mahamadou Camara. Il a perdu son petit frère, Gaye, en janvier 2018. Un policier lui a tiré une balle dans la tête alors qu’il était au volant de sa voiture. Gaye aurait foncé dans un barrage de police après avoir tenté de voler une voiture, selon le préfet et les forces de l’ordre. Le tireur aurait agi en situation de légitime défense. Une version remise en question par le média d’investigation Disclose en janvier 2021 et par la famille. « On l’a traité de voleur, de bandit, de voyou. Ils ont tué Gaye, puis ils l’ont sali », tonne Mahamadou.
Mahamadou Camara a perdu son petit frère, Gaye, en janvier 2018. / Crédits : Ines Belgacem
Il y a aussi le sentiment de sidération. Sofia Chouviat ne pouvait pas imaginer que son père, Cédric, ne rentrerait pas comme tous les soirs le 3 janvier 2020. Ce vendredi était une journée comme les autres. Comment imaginer qu’un contrôle de gendarmerie dérape au point d’en arriver à la mort ? Sofia pensait que ça n’arrivait qu’aux autres. Les forces de l’ordre ne sont-elles pas là pour nous protéger ?
Pour dépasser cette sidération, les familles cherchent des réponses. Elles se lancent dans des démarches pour récolter des indices. Comme Fatia Alcabelard. Elle sait qu’une caméra de vidéosurveillance a enregistré l’interpellation de son père, Claude Jean-Pierre. Le retraité de 67 ans décède après un contrôle de la circulation en pleine journée à Deshaies, en Guadeloupe, en novembre 2020. Les images montrent un gendarme tirer l’homme de son véhicule alors qu’il n’émet pas de résistance apparente. Claude est grand. Son cou bloque dans l’habitacle. Des fractures ont été constatées lors de sa prise en charge par les secours. Pour Fatia, les forces de l’ordre ne se seraient jamais permises d’agir avec tant de violence face à des habitants des beaux quartiers de la métropole.
Manifestation à Pointe-à-Pitre pour Claude Jean-Pierre. / Crédits : Ines Belgacem
J’ai vu davantage de familles s’effondrer que passer les épreuves du chemin de croix. Comme Franck Lambin, qui meurt de chagrin, à tel point que son corps semble le lâcher. Son fils Allan, 19 ans, est mort au commissariat de Saint-Malo (35) après une intervention musclée. Franck était dans la cellule voisine la nuit du 9 février 2019. Déjà veuf, il a entendu le dernier soupir de son enfant unique. Sa maison est devenue un mausolée pour son fils. Il tient la journée avec de la morphine et dort la nuit à l’aide d’antidépresseurs. Il a déposé six plaintes et tente de se battre pour obtenir justice et vérité pour Allan. Mais le combat semble trop lourd pour sa santé.
Zorah El Yamni a aussi cru qu’elle mourrait de chagrin. Elle a perdu son fils Wissam en janvier 2012 à Clermont-Ferrand (63). Interpellé par la police dans la nuit du 31 décembre, il meurt quelques jours plus tard à l’hôpital. Des fractures et des traces de strangulation sont constatées dans son autopsie. Il avait 30 ans, marié, chauffeur de camion. Sa mère ne cesse d’y penser. Pour survivre, depuis 11 ans, elle s’est lancée corps et âme dans un combat pour avoir justice pour son fils. Pourquoi est-il mort dans l’indifférence ? Pourquoi personne n’a été jugé ? Pourquoi lui refuse-t-on d’éclaircir la mort de Wissam ? Baisser les bras et se résigner sont une tentation perpétuelle. Pourtant, Zorah et sa famille viennent de prendre un nouvel avocat et de relancer la procédure.
Zorah El Yamni a perdu son fils Wissam en janvier 2012 à Clermont-Ferrand. / Crédits : Ines Belgacem
Au fond, il s’agit pour tous d’un impossible deuil. Comment se reconstruire alors même que les circonstances de ces drames ne sont pas éclaircies ? La justice mène des enquêtes succinctes dans la plupart des cas. Comme dans l’affaire Gaye Camara. Presque trois ans jour pour jour après son décès, le tribunal a retenu la légitime défense et a prononcé un non-lieu. Un non-lieu ça veut dire qu’il n’y aura pas d’enquête. « Cela veut dire qu’il ne s’est rien passé. Il ne peut pas y avoir non-lieu quand il y a mort d’homme », ne cesse de répéter Mahamadou Camara, son grand frère. La plupart des familles s’y heurtent pourtant. Malgré les preuves et les témoins, la version des familles est systématiquement opposée à celle des forces de l’ordre et donc de l’Etat. David contre Goliath. Et finalement, la lumière n’est jamais faite.
Vous pourrez écouter les histoires des proches de Cédric, Wissam, Allan, Claude et Gaye dans ce documentaire, « Violences policières, le combat des familles ».
Cette collection d’histoires familiales et intimes raconte aussi les peines de nombreuses autres familles, qui suivent ce même chemin de croix. Zyed, Bouna, Moushin, Larami, Lamine, Amine, Malik, Adama, Ibo, Romain, Angélo, Babakar, Mehdi, Nico, Steve, Yanis, Shaoyao, Rémi, Naguib, Aboubacar, Adam, Fatih, Maicol, Souheil, Zineb. La liste est bien trop longue et ne peut être exhaustive. Connaissez-vous leurs noms ? Leurs histoires ? Leurs visages ? Ils sont tous morts après des interventions de police.
Notre documentaire raconte leur histoire.
Notre documentaire raconte le combat des familles. / Crédits : Ines Belgacem
Dans un article de 2017 on vous racontait qu’en 10 ans, 47 hommes désarmés étaient morts à la suite d’une intervention musclée des forces de l’ordre. En 2019, StreetPress avait recensé sept décès survenus lors d’interventions des forces de l’ordre.
Pour retrouver le récit des combats des familles, cliquez sur leurs noms. ADAMA, AMINE, ANGELO, BABACAR, GAYE, IBO, KLODO, LAMINE, MEHDI, ROMAIN, SABRI, SHAOYAO, STEVE, YANIS, WISSAM