18/01/2023

Romain, 26 ans, a été tué le 18 août 2018

Conducteur tué à Paris : Après avoir lancé une course poursuite folle et désobéi à sa hiérarchie, le policier n’est pas poursuivi

Par Inès Belgacem

Le 18 août 2018, Romain Chenevat meurt après un refus d'obtempérer à Paris. Le policier qui a tiré a réquisitionné un scooter, avant d’engager une course-poursuite rocambolesque et de désobéir à ses supérieurs.

« Je ne veux pas que Romain soit oublié. » Valérie Goncalvez est la belle-sœur de Romain Chenevat. Le 14 août 2018, l’homme de 26 ans décède après avoir reçu une balle dans le corps, alors qu’il tente de fuir un contrôle routier dans Paris. Le tir est celui du policier Kevin G., porté après une course-poursuite rocambolesque. « Cette histoire est complètement insensée, le policier s’est cru dans un film d’action, un James Bond ! » Jusqu’à maintenant, la famille n’avait pas souhaité répondre aux questions des médias. Parce que leurs avocats l’avaient déconseillé. Parce que tous les signaux étaient au vert devant les tribunaux : au terme de l’instruction, le parquet de Paris a demandé le renvoi de l’agent devant la cour d’assises pour « violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner ». Le retournement de situation est intervenu le 3 novembre dernier. La chambre d’instruction de la cour d’appel de Paris a annulé cette décision, estimant que le policier était en situation de légitime défense. Ce qui signifie qu’il n’y aura pas de poursuite des charges. Pour Valérie et la famille, c’est un coup de massue :

« On n’a rien vu venir. Le juge avait décidé qu’il devait y avoir un procès… Comment est-ce possible ? »

La belle-sœur, ainsi que les parents de la victime, ont choisi de se pourvoir en cassation pour tenter de revenir sur cette décision. Si Valérie Goncalvez décide de répondre aux questions de StreetPress aujourd’hui, c’est pour soulager la famille Chenevat, qu’elle raconte détruite par ces années d’attente et leur deuil impossible. « Ils n’ont pas la force de prendre la parole. Ils m’ont autorisé à le faire, pour la mémoire de Romain ». L’interpellation est, elle, racontée par le dossier d’instruction que StreetPress s’est procuré. Le policier n’aurait pas suivi les ordres de ses supérieurs et aurait mis en danger un civil en scooter au cours de la poursuite en voiture.

Le 18 août 2018

Il est 22h45, le 18 août 2018. Le policier Kévin G. est en patrouille à pied avec deux de ses collègues rue Etienne-Marcel, dans le 1er arrondissement de Paris. Une soirée classique pour l’agent de 23 ans. Il a choisi ce métier par vocation, raconte-t-il dans un interrogatoire. Il voudrait aider son prochain et se sentir utile. Cette soirée d’été, une Renault Modus roule dans sa direction. L’un des policiers lui aurait fait signe de s’arrêter pour un problème avec ses feux. Mais le conducteur donne un coup de volant, se déporte sur la voie d’à côté et part à contresens pour éviter le contrôle. Kévin G. décide de courir vers la voiture, mais la manque. Il prend alors l’initiative d’arrêter un civil en scooter et lui indique de suivre cette voiture. Dans un PV, le scootériste explique ne pas avoir eu l’impression d’avoir le choix et s’est exécuté.

Voilà donc Kévin G., à l’arrière du scooter d’un particulier, sans casque, en train de poursuivre la Renault Modus dans Paris en pleine nuit. Dans ses auditions, il explique que son idée première était de relever la plaque d’immatriculation. Mais qu’en raison du comportement dangereux et des risques que cette voiture faisait encourir aux civils, il était indispensable de la stopper et que c’était son devoir de policier. La Modus roule vite, grille des feux et prend des routes en contresens à plusieurs reprises. Tout comme le scooter qui le poursuit. Des témoins expliquent avoir vu le policier debout crier à l’arrière du deux-roues.

À un feu rouge, Kévin G. voit une opportunité de stopper le véhicule. Il saute du scooter, sort son arme et la braque sur le conducteur en lui ordonnant de s’arrêter. L’automobiliste aurait manœuvré, avant de coincer l’agent, qui aurait essayé de briser la vitre avec le canon de son pistolet. Mais elle ne s’est pas cassée et le véhicule a repris la fuite une seconde fois.

Rien pour décourager Kévin G., qui remonte à l’arrière du scooter et reprend la poursuite. La course commence aux Halles, via les Grands Boulevards, avant de revenir dans le quartier et de continuer vers le boulevard Bonne Nouvelle. Arrivée rue Condorcet, la Renault Modus se trouve bloquée derrière un autre véhicule. Rebelote, Kévin G. descend du scooter, arme au poing. La voiture tente une nouvelle fois de fuir et recule à très faible allure en direction du scooter garé derrière. Le policier raconte avoir eu peur pour son conducteur. Mais le propriétaire du scooter n’était pas en danger et s’était déjà dégagé. 22h57, le coup de feu part.

Le conducteur de la Renault Modus est touché, la balle a transpercé son bras et son poumon. C’est Romain, qui sort de la voiture avant d’être plaqué au sol et menotté par Kévin G.. Il perd beaucoup de sang d’après les témoins. Il meurt quarante minutes plus tard, à 23h47.

« Stoppez la course-poursuite maintenant »

Dès 22h48, neuf minutes avant le tir, la radio du policier ordonne : « Je vais l’annoncer une dernière fois, les effectifs qui sont en poursuites passent sur la 137 ». Les collègues de Kévin G. commencent à s’impatienter. Ils lui demandent de passer sur un signal particulier. Lui est derrière le scooter, en pleine course. Il explique ne pas pouvoir changer son réglage radio dans le feu de l’action, tout en continuant à donner les noms des rues où il passe. Il ajoute que le conducteur de la Modus est très dangereux. 22h53 : « À tous les effectifs engagés là, (…) [sur] le refus d’obtempérer on arrête la chasse sur demande de l’état-major. Je ne veux plus aucun véhicule derrière la Modus. Fin de la chasse ». 22h54 :

« Stop, on arrête la chasse. Dernière sommation pour les collègues, on arrête la chasse. »

Une minute plus tard : « Bonne nouvelle (…) Le véhicule est identifié on a l’adresse, l’identité, le véhicule n’est pas signalé volé, vous arrêtez la poursuite de ce véhicule, accusez réception ». Mais Kévin G. explique ne pas avoir entendu ces ordres, parce qu’il n’a pas changé son signal. Il aurait simplement fallu glisser la molette de sa radio. Il aurait pu le faire à son premier arrêt. A-t-il volontairement refusé d’obéir ? Il explique que non, dans un PV, il n’avait pas les moyens de basculer sur la fréquence indiquée, insiste-t-il.

Dans le dossier, une pièce explicite les cas autorisés de poursuites de véhicules. Elle est justifiée dans des cas particulièrement graves : fuite d’un individu armé, d’un auteur d’un crime de sang ou de délits aggravés entraînant un préjudice corporel. Rien qui ne concerne Romain.

L’initiative de Kévin G. est cavalière. Le policier a ainsi été renvoyé devant la cour d’assises pour « violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner ». Dans un communiqué publié sur les réseaux sociaux, l’avocat de l’agent, maître Liénard, explique scandalisé : « Tous nos arguments seront systématiquement rejetés, toutes nos demandes refusées, jusqu’à l’ordonnance de la juge d’instruction décidant du renvoi de ce jeune policier devant la cour d’assises ». Et pourtant, la chambre de l’instruction, contre l’avis du procureur général, décide de ne pas poursuivre Kévin G., le considérant en situation de légitime défense. « Que la chambre ait clôturée aussi brutalement semble excessive », commente maître Ghnassia, l’avocat à la Cour de cassation de Valérie Goncalvez. « La chambre d’instruction explique qu’il n’y a pas de charge. Mais cette décision revient à la cour d’assises, surtout avec un dossier aussi sensible. Il faut démontrer qu’il y a une erreur manifeste dans l’application de la loi. » Ce que l’avocat compte faire devant la Cour de cassation dans les prochains mois.

Romain

« Les gens pensent que les années passent et que le deuil se fait. Mais c’était un enfant… », souffle Valérie Goncalvez à la table d’un bar-tabac de Draveil, dans l’Essonne. Romain y habitait avec ses parents. À 26 ans, il était le troisième d’une famille de cinq. En se servant une tasse de thé, Valérie raconte qu’elle le rencontre quand elle se met en couple avec son grand frère, Anthony. « J’ai vécu des années avec eux avant qu’on ne prenne un logement. Romain, c’est comme mon frère ». Elle le décrit une fois jovial, l’autre fois tendre, à l’écoute, avec un tempérament parfois explosif qui faisait son charme. « Il est très famille. Il ne fallait rien dire de négatif sur sa famille, sinon il gueulait ! » L’enfant du milieu était surtout le plus enclin à confier ses sentiments et à délier les langues de ses proches. « C’était le point d’équilibre… »

Romain était livreur de fruits et de légumes à Rungis et à Paris. Un besogneux qui se levait tôt. Mais en 2018, à force « d’infractions à la con » selon Valérie, il a perdu tous les points de son permis et donc son moyen de travail. Romain continue tout de même de rouler. Il esquive même deux contrôles. Un jour, six agents débarquent au domicile familial et le plaquent au sol devant toute la famille. « On aurait dit qu’il était Mesrine, les moyens étaient disproportionnés », s’indigne Valérie, en montrant une vidéo de l’interpellation très musclée. « Ils ont traumatisé toute la famille ! » Romain est condamné à dix mois d’emprisonnement, dont six avec sursis. Il avait pour consigne de repasser son permis, explique Valérie :

« Il venait d’avoir son code. Il devait passer la conduite une semaine après sa mort. »

Le père de Romain cachait ses clés de voiture. Un de ses beaux-frères le conduisait au travail. Entre son jugement en février et le mois d’août, Romain ne prend pas la route. Jusqu’au jour du drame, quand il aurait reçu l’appel d’un ami dans l’embarras qui aurait eu besoin de lui à Paris. Selon Valérie Goncalves, s’il s’était arrêté pour le contrôle ce 18 août 2018, il aurait fait sauter son contrôle judiciaire. « Il a eu peur ». Elle insiste sur sa phobie de la police. « Depuis qu’il est tout petit, il est harcelé par la police de Draveil ». Sa mère aurait même écrit à la préfecture pour signaler les faits quand il était adolescent. Elle conclut :

« Romain, c’était un petit blond aux yeux bleus. Il habitait en pavillon et il travaillait. Personne n’est à l’abri, peu importe où l’on vit et sa couleur de peau. »

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