L’ancienne vedette de BFM et RMC Jean-Jacques Bourdin avait signé un accord de consulting avec Altice. Il empochait 1,4 million d’euros pour une note par an et quelques réunions.
« Jean-Jacques est quelqu’un qui n’aime pas l’autorité. J’ai donc décidé de ne plus être son patron, on est devenus amis. C’est beaucoup plus simple », expliquait Alain Weill au Monde. Le directeur général de RMC était encore plus explicite : « Je ne me suis jamais engueulé avec lui. Mon métier, c’est qu’il se sente bien. » Et il ajoutait : « Jean-Jacques est quelqu’un de sympathique. Il est exigeant, comme le sont tous les grands pros. Après, son défaut est sa qualité : c’est une présence, un ogre, qui a tendance à manger tout ce qui est à côté ». Ce n’est pas faux. En plus de son salaire de journaliste, l’animateur aurait, selon nos informations, engrangé 1,4 million d’euros pour une prestation de conseil signée en 2018. Elle ne semble pas trop épuisante…
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Un montant qui cogne avec les demandes des salariés de BFMTV, en grève pour des augmentations. En 2019, les syndicats avaient obtenu 1,2 million pour tous, soit moins que Bourdin à lui seul avec son contrat sur quatre ans. En 2022, ils espèrent une enveloppe de trois millions bruts. Ils demandaient au départ une augmentation de 10% sur deux ans et n’obtiendraient aux dernières nouvelles que 5%. Les pigistes se contenteront de 1,5%. Et si les salariés de BFM prennent les transports en commun pendant que Patrick Drahi boulotte des fraises Tagada dans ses jets, la chaîne n’est pas mesquine : elle accepterait désormais de prendre à sa charge 75% du Pass Navigo (contre 50% précédemment). Les congés menstruels, en revanche, c’est refusé…
#DRAHILEAKS
Patrick Drahi est un homme d’affaires puissant. 11e fortune française bien que domicilié en Suisse, il est à la tête du groupe Altice. Un empire tentaculaire qui réunit notamment des entreprises de télécom (SFR, Cablevision…), des médias (BFM TV, RMC…) ou de commerce d’art (Sotheby’s)…
Courant août, le groupe de hackers russes Hive a mis en ligne dans un recoin caché d’Internet des centaines de milliers de documents piratés à Altice après avoir échoué à faire chanter l’homme d’affaires. Reflets, Blast et StreetPress se sont associés pour explorer ces leaks.
Les documents mettent en lumière un groupe industriel complexe, implanté dans des pays très souples en matière fiscale et très endetté. Ils donnent incidemment à voir le train de vie faramineux d’une famille aussi discrète que riche. Bien loin de la fin de l’abondance annoncée par Emmanuel Macron.
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Un montage qui pourrait intéresser la justice
Selon des documents que nous avons pu consulter, Jean-Jacques Bourdin, outre son salaire, a signé une convention avec Altice Entertainment News & Sports S.A., la maison-mère de BFM, via sa société Herschel Productions – qui gère notamment son image. Le contrat portait sur une prestation de conseil pour « développer des médias sur le modèle de NextTv dans les territoires où elle est présente ou sur tout territoire où elle pourrait envisager de se développer, et notamment [faire] bénéficier ALTICE de son expérience au profit des chaînes d’information en continu du Groupe News12 à New York, I24 en Israël et aux Etats-Unis ainsi que pour la chaîne d’information de Media Capital Groupe, média portugais en cours d’acquisition par ALTICE. »
Si l’objectif est ambitieux, les moyens mis en œuvre semblent plus modestes. Jean-Jacques Bourdin devait ainsi « participer à un comité stratégique trimestriel afin d’exposer ses propositions aux représentants désignés par Altice, fournir une note stratégique par an sur l’évolution des médias et formats d’information télévisée ». Et « effectuer au moins un déplacement par année d’exécution de la convention à l’étranger pour présenter le résultat de ses travaux aux représentants désignés par Altice ». En contrepartie de ce contrat qui porte sur quatre ans, le journaliste devait recevoir la somme forfaitaire globale de 1.397.550 euros.
En contrepartie de ce contrat qui porte sur quatre ans, le journaliste devait recevoir la somme forfaitaire globale de 1.397.550 euros. /
Crédits : Drahileaks
Le contrat qui aurait permi… by Garnier
Pour lire le contrat en entier, cliquez ici.
On pourrait considérer qu’Altice attribuerait ainsi une sorte de « bonus » à son animateur vedette, sans qu’il n’apparaisse dans les comptes de BFM. Quel intérêt ? De la sorte, cette somme, payée par la maison-mère, n’entre pas dans le volume global de la masse salariale de BFM ou de RMC dédiée aux journalistes. Et ces « compléments » ne sont donc pas pris en compte dans les négociations avec les syndicats. Maintenant que Jean-Jacques Bourdin a été renvoyé de BFM et de RMC sur fond d’accusations d’agressions sexuelles (1) cette somme n’apparaît donc pas dans la masse salariale de BFM et RMC.
Même si aucune enquête n’est ouverte actuellement, ce contrat serait cependant susceptible d’intéresser la justice, qui pourrait demander au journaliste d’apporter la preuve de la réalité de ces prestations. Interrogé, l’intéressé assure avoir rempli l’intégralité de ses obligations contractuelles mais il a refusé de transmettre les « notes stratégiques » (2).
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Un salaire confortable
Ce « bonus » vient s’ajouter aux émoluments plus que confortables que l’animateur vedette empochait à l’époque. Selon plusieurs sources concordantes chez Altice, sa rémunération mensuelle à BFM et RMC tournait autour de 70.000 euros, primes et bonus inclus. Pourtant, une fois à l’antenne, Jean-Jacques Bourdin était assez strict sur les petits « plus » que des salariés pouvaient engranger. En décembre 2018, deux jours après avoir signé sa convention à 1,4 million d’euros pour quatre notes stratégiques et 16 réunions, la star s’énervait à l’antenne face à Alain, Gilet jaune et patron d’entreprise, qui expliquait ne pas pouvoir boucler ses fins de mois avec son salaire « moyen », compris entre 2.500 et 3.000 euros :
« Mais avec 3.000 euros, quelles aides pourriez-vous avoir Alain ? Là je ne comprends pas. Comment peut-on penser à une aide quand on gagne 3.000 euros par mois ? »
(1) Affaires classées sans suites, en raison des délais de prescriptions.
(2) Interrogé, Jean-Jacques Bourdin nous a répondu par mail : « Dans le cadre de ma relation passée avec le groupe Altice, j’ai bien sûr participé à plusieurs réunions stratégiques autour des médias du groupe, de l’avenir de ces médias. J’ai aussi à plusieurs reprises participé à des réunions consacrées au paysage médiatique français et à son évolution. Un rapport annuel a été de plus réalisé et communiqué au groupe Altice conformément aux termes de la convention de prestations que nous avions signée. Je ne peux communiquer aucun document d’aucune sorte compte tenu de la clause de confidentialité imposée. »
Illustration en Une de Caroline Varon, enquête de Mathieu Molard et Antoine Champagne.
« Je n’aime pas payer des salaires, je paie le moins possible », avait lancé publiquement Patrick Drahi. Nous si ! Plusieurs journalistes se consacrent depuis des semaines, à temps plein, à cette enquête. Et ce n’est pas fini : nous n’avons pas prévu de lâcher le morceau. De nombreux autres articles paraîtront sur StreetPress, Reflets et Blast.
Nous savons aussi que nous devrons faire face à de nombreuses procédures juridiques qui vont s’étendre sur plusieurs années.
Tout cela coûte cher, c’est pourquoi nous avons créé, les trois médias ensemble, une cagnotte de soutien. Chaque euro versé servira exclusivement à financer cette investigation.