Géraldine, 58 ans, habite près de Nantes et pourtant elle ne connaît pas la ville. Depuis ses 17 ans, elle vit sous l’emprise et les coups de son mari violent et armé. Récit d’audience.
Tribunal de Nantes (44) – À chacun de ses geignements, l’atmosphère se fait un peu plus pesante. Jérémy a 33 ans mais cette comparution immédiate le ramène à son enfance, brisée par les violences de son père sur sa mère. Seule la remarque de l’avocat de la partie civile, maître Olivier Parrot, indiquant que ce 7 octobre marque le début d’une nouvelle vie, parvient à éclaircir un instant son visage et celui de sa maman, Géraldine. Le duo a délaissé le banc d’ordinaire réservé à la partie civile pour s’asseoir à distance suffisante du box. Une mère et son fils qui ne se lâchent pas au moment d’avancer jusqu’à la barre. Gagnée par l’émotion, la présidente Florence Sylvestre doit marquer un temps d’arrêt avant d’interroger Géraldine sur ce que représente son fils. « C’est mon ange gardien », confie-t-elle.
Trois jours plus tôt, à la suite d’un premier signalement en septembre auprès d’une médiatrice de la ville de Rezé (44), où résident ses parents, Jérémy a accompagné sa mère au commissariat central de Nantes, distant d’une poignée de kilomètres, pour qu’elle dépose plainte. L’occasion pour cette femme de 58 ans, cantonnée à la sphère domestique, de redécouvrir une ville qui lui était interdite depuis des lustres. « En quarante ans de vie commune, madame a dû sortir avec des amis quoi, cinq fois, peut-être dix », soulève maître Parrot.
La faute à son mari, alcoolique et d’une jalousie pathologique, connu alors qu’elle avait 17 ans. Au cours de leurs fiançailles, il s’était bastonné avec un invité pour un simple regard sur sa future femme. Selon le schéma éculé propre aux relations d’emprise, Géraldine tient néanmoins à le dédouaner. « Il peut être adorable », sanglote-t-elle avant de préciser qu’il lui avait offert une belle maison et des animaux. Et puis cette fibromyalgie dont elle souffre fait que sa peau marque plus… « Monsieur est un tyran domestique, c’est l’expression qui le caractérise le mieux », ne peut s’empêcher de corriger Fabienne Basset, la vice-procureure.
En procédure, Jérémy et son frère jumeau Julien ont aussi parlé d’un tyran. La présidente se tourne vers le box pour obtenir une réaction. « C’est pas faux », surprend Christophe A., physique ordinaire, t-shirt noir et barbe de ses deux jours de garde à vue. 48 heures salutaires à l’entendre. « Je me suis remis en question, l’alcool c’est terminé, plus une goutte, et puis le stage je suis prêt à le faire », soutient-il. Des regrets de circonstance qui sonnent faux pour le parquet comme pour la partie civile, chacun confessant qu’il n’a pas le souvenir d’avoir été confronté à un dossier de violences conjugales d’une telle ampleur en plus de 10 ans d’exercice. Si la période de prévention retenue court de septembre 2016 à septembre 2022 rappelle maître Parrot, les violences contre Géraldine ont toujours existé. Dans sa plainte elle a rapporté les bousculades, les compressions des bras, les tirages de cheveux et les coups de poing.
« Cette peur doit changer de camp »
« On se bagarrait oui, mais avec la paume », minore Christophe, un homme au vin mauvais pouvant dégoupiller en plein repas, qu’importe si des invités avaient pris place autour de la table. « Qui peut mettre un coup de boule à sa propre mère », intervient Fabienne Basset, effarée par la domination d’un prévenu dont les deux fils, victimes collatérales, ont fui le domicile à leurs 18 ans. « J’ai déjà essayé de lui parler mais il est incapable d’entendre, on ne peut pas lui dire qu’il a un problème, pas même sa propre mère », avance Jérémy. Cinq ans après son départ, celui que maître Parrot décrit comme « le dépositaire de la violence paternelle » a fait une tentative de suicide.
« Je n’étais pas au courant », réagit Christophe, provoquant un nouveau râle de son fils et la stupeur de l’ensemble du public. « Vous vous rendez compte de la souffrance engendrée et du portrait qui se dégage de vous au cours de cette audience ? » questionne la présidente. « Ça me fait mal au coeur car je les aime, c’est mon fils et ma femme… Je m’excuse, ça ne recommencera jamais », répond Christophe.
« Trop facile », embraye Olivier Parrot pour sa plaidoirie. « Monsieur ferait presque pitié alors qu’il n’y a aucun sentiment, rien du tout, c’est trop lisse. Le seul mot qui me vient à la lecture de cette procédure, c’est celui de terreur. Je suis profondément admiratif de cette femme et de son fils qui sont venus mettre un terme à 40 ans de violences. Des années pendant lesquelles pas même une main courante n’a été déposée car toute une famille vit dans la crainte. Quand j’ai rencontré Jérémy, ses premiers mots ont été de me dire que si son père sortait, il ferait un massacre. Aujourd’hui cette peur doit changer de camp en faisant en sorte que monsieur ne soit pas relâché. »
Pour ressortir libre des geôles, Christophe a des éléments à faire valoir et son avocate, Claire Maillard, ne manque pas de le rappeler. Il y a d’abord la stabilité professionnelle. Après « 42 ans dans la même boîte » en tant que fraiseur, Christophe est à moins d’un an de la retraite. L’absence d’antécédents judiciaires ensuite, son casier ne porte pas l’ombre d’une ligne. Le point de chute enfin, son frère s’étant porté garant pour l’accueillir chez lui, dans une petite commune située à trente minutes au sud de Nantes.
Il ressort libre
Des garanties solides que la vice-procureur balaie d’un revers de coude. « Votre décision ne peut pas être motivée par ces éléments », implore Fabienne Basset en rappelant que Christophe encourt cinq années de prison et 75.000 euros d’amende. Son long réquisitoire démarre par une statistique : une femme meurt tous les trois jours en France sous les coups de son conjoint.
« À chaque fois, l’agresseur dit aimer plus que tout celle qu’il ne voit plus que comme une chose, sa chose… Mais ce n’est pas de l’amour ça, c’est la négation de l’autre. Heureusement que votre fils a trouvé le courage de déposer sa parole, sinon, les choses auraient continué. Ayez bien en tête qu’il ne l’a pas fait contre son père mais pour sa mère ! »
Fabienne Basset enchaîne sur la reconnaissance des faits de Christophe, qui a qualifié d’inadmissible toute forme de violences :
« Ces paroles ont la sincérité de celles de l’agresseur qui ne peut se voir comme tel. Vous vous trompez sur l’image que vous voulez renvoyer et vous n’avez de cesse de retourner le miroir pour culpabiliser l’autre. Des insultes pour affaiblir, des compliments pour semer le doute, ce type de dossiers commencent souvent de la même manière et visent toujours à disqualifier la victime, en l’isolant. »
Dans le box, Christophe encaisse sans trop broncher, marquant juste sa désapprobation de la tête à une ou deux reprises. Alors qu’il s’était calmé depuis plusieurs mois, sa jalousie et les conséquences pour Géraldine ont repris au printemps. Au cours de l’été, craignant pour on ne sait quoi, il a fini par installer des caméras. « Pas pour surveiller les animaux », tacle la vice-procureure avant d’en venir au sujet qui la préoccupe le plus : celui de la vingtaine d’armes saisies en perquisition.
« Certaines dans une petite armoire mais d’autres près du canapé, à portée de main », poursuit la représentante du ministère public. Dans la maison de famille, dans la Creuse, les gendarmes ont mis la main sur trois fusils de chasse, un fusil à pompe et deux armes de poing. Des armes issues d’un héritage et « jamais utilisées à des fins de menaces » tempère maître Maillard. Qu’importe pour Fabienne Basset qui requiert une peine mixte comprenant une année de prison avec mandat de dépôt. « La crainte d’une tragédie se lit dans toutes les auditions », parachève-t-elle. Plus tôt au cours des débats, Florence Sylvestre avait questionné Jérémy sur sa démarche et les risques encourus par sa mère. « Ce n’est pas que j’avais peur qu’il la tue, c’est que j’étais persuadé qu’il allait le faire, avec ou sans armes », avait répondu Jérémy.
Après délibération, le tribunal prononce une peine de deux années de prison intégralement assorties d’un sursis probatoire. Durant les deux prochaines années, Christophe sera suivi par le service d’insertion et de probation qui veillera au respect des différentes obligations prononcées par les juges. Christophe devra suivre des soins, ne plus entrer en contact avec Géraldine, ne peut plus approcher de leur maison et ne pas détenir d’armes. Il sera enfin équipé d’un bracelet anti-rapprochement dont le dispositif d’alerte s’activera quand il se trouvera à un kilomètre ou moins de son épouse.
À l’annonce de la décision du tribunal, Me Parrot doit se contenir. Il interpelle la présidente pour que celle-ci indique aux policiers de l’escorte d’attendre dix minutes avant de relâcher le prévenu. Le temps pour Géraldine et Jérémy de quitter le palais, au pas de course, avant de partir de la région nantaise, au moins pour le week-end. Christophe apparaît dans la salle des pas perdus, comme convenu, dix minutes plus tard. Il tombe dans les bras de son frère et de sa belle-sœur, qui lui offrent une clope. Eux non plus ne s’éternisent pas, il y a un anniversaire à célébrer. Ce 7 octobre, Christophe a eu 59 ans. Il ne pouvait pas espérer meilleur cadeau que cette libération.
Image de Une du Palais de Justice de Nantes issue de Flickr prise le 2 août 2012 par Jean-Pierre Dalbéra. Certains droits réservés.
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