Quatre salariés nordistes de RTE, filiale d’EDF chargée du transport d’électricité, ont été perquisitionnés et mis en garde à vue par la DGSI le 4 octobre 2022. Leur tort ? Avoir participé à un mouvement social.
Quand le dialogue social ne fonctionne plus chez RTE, on envoie la DGSI. Le 4 octobre 2022 au matin, quatre salariés de cette filiale d’EDF chargée du transport d’électricité ont eu droit à une perquisition, devant femmes et enfants, digne des moyens déployés pour déjouer des attentats. Âgés de 32 à 36 ans, ils travaillent tous au sein de l’antenne de Valenciennes. Ils ont été conduits par les agents de la Sécurité intérieure au siège de la DGSI, les services de renseignements, à Levallois-Perret pour une garde à vue pouvant aller jusqu’à 96 heures et qui serait encore en cours. Jérôme Borzakian, avocat d’un des quatre mis en cause, confirme avoir assisté son client à la DGSI hier. Il n’a pas retourné nos messages depuis.
D’après plusieurs sources syndicales, les agents du renseignement ont également embarqué leur matériel informatique et les tablettes iPad des enfants. Qu’est-ce qui justifie une telle descente ? Tous les membres du quatuor sont membres de la CGT et ont participé à un mouvement de grève national qui a commencé fin février dernier et s’est arrêté en juin. Les revendications ? « On voulait des augmentations des salaires principalement. C’est une demande plutôt d’actualité compte tenu de l’inflation galopante », détaille Francis Casanova, délégué syndical central de la CGT-RTE. Mais les grèves ont été « sans succès », indique le syndicaliste :
« On a rien obtenu. »
Mais manifester quand on est un salarié de RTE, ce n’est pas que défiler à côté du fameux camion à merguez de la CGT. On peut aussi couper le courant ou « passer des postes en local ». Dans le jargon, ça veut dire que les grévistes peuvent rendre invisible du réseau internet les transformateurs qui permettent de transmettre le courant. Ainsi, le centre de commande – alias la RTE – ne peut plus les diriger à distance et est obligé d’envoyer « un technicien pour regarder ce qu’il se passe ». « Cela entraîne des déplacements, des heures supplémentaires notamment. C’est une pratique que l’on fait depuis au moins 30 ans chaque fois qu’il y a un mouvement social et cela n’a aucune incidence sur le réseau électrique. Il n’y a aucun danger pour l’usager », explique Fabien Boucher, délégué syndical de la CGT-RTE du Nord.
En clair, c’est un peu comme si vous changiez un compteur Linky par un ancien compteur pour qu’EDF/Enedis n’ait plus accès au compteur à distance. L’outil idéal pour les travailleurs de l’entreprise qui redeviennent localement les gérants du réseau électrique, qui lui ne s’arrête pas.
Des sanctions
Pendant le mouvement de grève qui a duré environ quatre mois, 24 postes sur 369 ont été passés en local dans le Nord de la France, selon des sources syndicales. Soit 6,5% du réseau. On est loin du Grand Soir. Sauf qu’en plus de ne rien obtenir concernant leurs revendications, les salariés ont subi les foudres de la direction de RTE – dont le directeur sécurité est le général Marc Betton, ancien officier de gendarmerie qui a dirigé l’enquête de l’IGGN sur la mort de Rémi Fraisse, tué lors de manifestations contre un barrage à Sivens – partout en France.
Dans le Nord, pour le quatuor de la CGT, la direction leur a reproché d’avoir participé au mouvement social, sans qu’elle ait la preuve formelle qu’ils aient eux-mêmes bidouillé les transformateurs. Ça ne les a pas empêchés de se voir signifier début septembre une mise à pied à titre conservatoire. Une mesure qui s’applique habituellement à des salariés qui présentent un danger pour l’entreprise. Elle suspend le salaire et peut durer un mois maximum avant qu’il y ait un entretien préalable à toute sanction disciplinaire. Leur collègue de la CGT Fabien Boucher explique :
« Il y en a eu un il y a une quinzaine de jours, d’autres sont à prévoir. On se fait peu d’illusions sur le fait que la direction va les licencier mais je ne suis pas en train de dire qu’ils sont coupables. »
Une crainte de cyberterrorisme
Coupable ou non, l’affaire ne s’est pas arrêtée là. Car sans que les syndicalistes le sachent, la filiale d’EDF a déposé une plainte au parquet de Lille, qui a ensuite été transférée au parquet de Paris selon des sources syndicales. Pour cette vingtaine de postes passés en local informatiquement, une enquête a été ouverte le 29 juillet 2022 pour des chefs « d’entrave à un système de traitement de données, sabotage informatique, accès et maintien frauduleux dans un système de traitement automatisé de données, introduction, modification et suppression de données d’un tel système », a déclaré le parquet de Paris à StreetPress.
En conséquence, la DGSI a débarqué chez les quatre salariés et les a qualifiés de « cybercriminels en bande organisée ». Dans un communiqué ce 5 octobre, la CGT tonne contre la direction qui n’aurait « pas pris la peine » d’expliquer à la police cette astuce de gréviste, et « qui croit avoir à faire à une attaque de type cyberterroriste ». « Les agents se trouvent pris dans un engrenage complètement dingue », enchaîne la CGT.
La CGT a fait un communiqué le 5 octobre et appelle à un rassemblement le 6 devant le siège de RTE. / Crédits : CGT
Une situation assez similaire à ce qu’a vécu le technicien de GRDF Moussa Gakou cet été, cible d’une plainte de son employeur et perquisitionné par la police pour avoir coupé le gaz, comme StreetPress le racontait fin septembre. Un rassemblement pour les salariés en garde à vue aura lieu le 6 octobre à 14h devant le siège de RTE à la Défense.
À LIRE AUSSI : Moussa Gakou, gréviste de GRDF perquisitionné pour avoir coupé le gaz
Contacté pour en savoir plus, le service de presse de RTE n’a pas retourné nos mails.
Contacté, le Service d’information et de communication de la police nationale (Sicop) a indiqué « ne pas s’occuper des affaires de la DGSI ».
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