L’ancien comédien colombien, Pedro Pablo Naranjo, soigne bénévolement depuis trois ans les migrants malades de la gale. Plus de 1.000 exilés sont passés dans son petit deux-pièces parisien.
Paris 18e – Une dizaine d’hommes sont attroupés devant un rez-de-chaussée place de la Chapelle. « Tous là, ils sont Afghans, ils dorment sous le pont à Barbès », explique Oumar, un exilé soudanais qui attend, comme eux.
Quand la porte s’ouvre enfin, Pedro Pablo, un septuagénaire, fait sortir un autre homme d’origine afghane. Le petit groupe s’amasse autour de lui. Du haut de son mètre soixante, Pedro parle doucement et baragouine en franglais : « No not you, it’s finish for today ! », « Toi, pars, tu es trop bien habillé, tu es chic ! », lance-t-il à Oumar. « Toi, you can come », dit-il à un migrant afghan qui ne porte pas de chaussettes.
À LIRE AUSSI : À Paris, l’errance des exilés afghans
Pedro tient ce qu’il nomme « Urgence Migrants » :
« Ici, c’est pour les sans-chaussettes et les sans-chaussures, pour ceux qui ont la gale ou des furoncles. »
S’ils atterrissent chez lui, c’est que « l’hôpital ne veut pas prendre en charge les galeux », affirme-t-il. Il les soigne gratuitement grâce à la générosité des donateurs et de la pharmacie Sefiani située à quelques mètres. Depuis 2019, plus de 1.000 migrants ont pu bénéficier de ce service.
La gale est une maladie contagieuse due à un tout petit parasite qui s’incruste sous l’épiderme. Dans sa forme la plus courante, elle se propage par les contacts humains. Pour la traiter, il applique des crèmes et file des antibiotiques. Un médecin de sa connaissance accepte de lui faire des ordonnances. « Mais on ne guérit pas de la gale uniquement grâce aux médicaments », explique Pedro :
« Il faut changer les personnes au minimum trois fois, leur donner un sac de couchage et laver tous leurs vêtements à 60 degrés. »
Pedro Pablo les accueille dans son petit appartement, décoré du mur au plafond par des peintures et des affiches colorées. 20 mètres carrés tout au plus. Une cuisine, une entrée et un salon qui fait office de chambre, où trône un tabouret décoré maison. Il fait signe au « sans-chaussettes » de s’y asseoir. Au-dessus d’un autel maison, les portraits de Jésus et de la Vierge observent la scène. À l’aide d’un mètre de couture, il prend ses mensurations et demande à l’homme sa pointure. Il farfouille dans un grand bazar où tout semble trouver sa place. Entre quelques boîtes de crème, de baume du tigre et plusieurs sacs de vêtements, il parvient à mettre la main sur une paire de chaussures, un polo blanc et un pantalon à carreaux.
Pedro passe les vêtements sur l’homme : la taille est parfaite et la coupe est cintrée. Il lui offre une brique de jus de pomme, deux bananes, des gâteaux et lui annonce que des maraudeurs passeront à Barbès ce soir pour une distribution alimentaire. L’homme repart le sourire jusqu’aux oreilles.
« C’est tous les jours comme ça : “Toc toc … Toc toc…”. » Pedro pointe la fenêtre sur laquelle les sans-papiers toquent. Elle donne sur le métro aérien de la ligne 2 et quelques vendeurs de cigarettes bon marché qui alpaguent les passants. « Je prends cinq migrants par jour pour les habiller et les soigner. Certaines semaines, entre 45 et 50 sont passés », continue-t-il. « Mais cette activité c’est un plaisir, enfin je le fais avec beaucoup de plaisir », confie l’homme qui tient « la boutique » tous les après-midi de la semaine.
À LIRE AUSSI : Plus de 200 exilés survivent dans un square de Pantin
Le vestiaire des migrants
Tout commence en 2012. Pedro cofonde avec Hélio Borges, un « camarade », le Vestiaire des migrants. Il trouve un local dans l’église Saint-Bernard dans lequel chaque week-end, n’importe quelle personne sans-papiers pourra venir chercher des vêtements. Son ami, qui gère Emmaüs Défi, s’occupe de lui fournir gratuitement vêtements, couvertures et poussettes.
Christine, qui travaille avec Pedro depuis 2016 raconte :
« Il est arrivé que plus de 250 personnes viennent se faire habiller chaque semaine. »
Et chaque mois, plusieurs dizaines de bénévoles viennent aider : « Vous voyez comme c’est bien plié ? C’est Ali, un réfugié qui tenait un magasin de vêtements dans son pays. Il m’a dit que le Vestiaire était la seule activité qui le faisait tenir mentalement », raconte Christine. Mais Pedro Pablo, lui, a cessé son activité au Vestiaire il y a quelques mois, après des différends avec le curé de l’église.
Pedro, 72 ans, comédien
Pedro est né en 1950 à Ulloa, une petite ville de l’Ouest de la Colombie, dans une famille de 12 enfants. « Mon engagement, c’est un héritage », explique-t-il. Son père était lui-même très engagé. « Il nous a toujours appris à faire attention aux besoins des autres. À partager, servir et à ne surtout pas accumuler. » Il quitte la Colombie dans les années 1980 pour l’Uruguay afin d’y étudier le théâtre. Dans ce pays alors en pleine dictature, il fonde avec sa troupe un mouvement nommé le Théâtre de Quartier. Ensemble, ils construisent près de 185 lieux de travail et d’échange à travers le continent. « Le théâtre c’était juste un prétexte pour se rencontrer », raconte-t-il :
« À cette époque, on a habillé 1.000 personnes, on a soutenu 1.000 personnes, on a donné à 1.000 personnes la possibilité de s’en sortir. »
Quelques années plus tard, Pedro décroche une bourse et part jouer en France. En 1987, il fait partie de la compagnie internationale « Espeho » et joue au théâtre de l’Odéon, à l’Épée de bois, à la Cartoucherie, en Espagne aussi. Mais atteint d’une maladie de la colonne vertébrale depuis 2013, le comédien ne peut plus jouer. C’est pourquoi il consacre son temps libre à s’occuper des migrants de son quartier. Si cette cause lui tient tant à coeur qu’il a été lui-même dans cette situation :
« J’ai été migrant à Paris. J’ai eu beaucoup de problèmes pendant sept ans et la situation [pour les migrants] était moins cruelle qu’elle ne l‘est aujourd’hui. »
Christine, sa comparse, commente, admirative :
« Pedro il est à part, ce qu’il fait, il n’y a que lui qui le fait. Qui ouvre son appartement à tout le monde, et accepte de soigner les gens directement chez lui ? »