Mariam et Fatia travaillent dans des crèches de la mairie de Paris. Elles se sont vues refuser la signature de leur contrat, sous prétexte que leurs titres de séjour ne seraient pas de bonne durée. Une pratique qui serait illégale selon des avocats.
Au mois de mai 2022, la CGT Petite Enfance interpelle dans une lettre Anne Hidalgo, maire de Paris, et ses adjoints en charge des ressources humaines et de la petite enfance. La ville aurait refusé à une personne de nationalité étrangère (1) la signature d’un contrat dit « Pacte », pour Parcours d’accès aux carrières de la fonction publique territoriale, hospitalière et d’État. Ce dispositif, créé en 2006, permet d’accéder à un emploi de catégorie C, sans passer de concours. Les personnes de nationalité étrangère peuvent y postuler selon certaines conditions. Si durant l’année du contrat ces dernières obtiennent la nationalité française, elles peuvent être titularisées. Selon nos informations, la mairie de Paris utiliserait ce type de contrat depuis deux ans.
Pourtant, un mail interne de mars 2022, que StreetPress a pu consulter, explique : « S’agissant du Pacte, le contrat étant prévu pour une durée ferme d’un an, l’agent doit donc détenir un titre de séjour valide pour au moins cette durée ».La mairie de Paris imposerait à ses futurs signataires d’avoir un titre de séjour qui couvre au minimum la durée du contrat. « Je n’ai vu nulle part une administration imposer une date de validité spécifique. C’est lunaire ! », s’énerve maître Menage, habituée du droit des étrangers, qui qualifie la pratique d’illégale et de discriminatoire. Selon nos informations, une dizaine de personnes seraient concernées, dont Mariam (2) et Fatia (2), avec qui StreetPress a pu échanger.
Sélectionnées en commission
Mariam travaille depuis déjà un an dans une crèche pour la Ville de Paris en tant qu’assistante des puéricultrices et éducatrices de jeunes enfants. Pour avoir une chance de continuer à travailler pour la municipalité après la fin de son contrat Parcours Emploi Compétences (dit : Pec, anciens contrats aidés), et pourquoi pas entrer dans la fonction publique si ses démarches administratives se passent bien, elle décide de candidater au dispositif Pacte. Elle est sélectionnée sur dossier, et passe devant une commission composée de services et d’agents de la mairie de Paris et de Pôle Emploi. Tout se passe très bien. Sans que jamais il ne soit question d’une durée minimale de titre de séjour, Mariam reçoit sa lettre de félicitations : « J’ai le plaisir de vous informer de votre réussite au Pacte d’agent.e.s technique de la petite enfance de première classe ». Fatia reçoit elle aussi son courrier après trois ans dans une crèche à s’occuper du linge, des repas et de l’entretien :
« Cela vient récompenser votre implication après un parcours de préparation au métier d’Atepe au sein des établissements d’accueil de la petite enfance de la Direction des familles et de la petite enfance. »
Sur ces lettres de félicitations que StreetPress a consultées, il est également inscrit : « Le bureau des carrières spécialisées ne manquera pas de prendre contact avec vous, le moment venu, en vue de l’instruction de votre contrat Pacte, sans nouvelle démarche de votre part. » Mais les deux lauréates n’auront plus de nouvelle. Seulement après six mois et d’innombrables mails envoyés, Fatia reçoit une réponse négative : « La signature du Pacte est possible uniquement si le titre de séjour couvre la période de contrat. Il faut donc nécessairement un titre de séjour de plus d’un an. »
Les personnes immigrées qui candidataient ont été sélectionnées par la commission. / Crédits : DR
Possible l’année dernière
« L’année dernière, tout s’est bien passé, du moment que les personnes avaient un titre de séjour valable, elles pouvaient signer », nous confirme par téléphone, sous couvert d’anonymat, une personne de la ville de Paris. Dans un mail datant de mars 2022 de la Direction des Familles et de la Petite Enfance, il est écrit :
« La DRH semble cette année souhaiter que le titre de séjour couvre la totalité de la durée de contrat, soit un an (jusqu’au 31/03.2023). »
Un autre mail confirme : « Une clause prévoyant que “le présent contrat prendra fin à la date limite du titre de séjour de l’agent, dans l’hypothèse où ce titre ne serait pas renouvelé”, qui a pu être utilisée à tort par le passé, est proscrite. »
Alors qu'il était possible l'année dernière d'avoir le contrat tant que le titre de séjour était valable, ça ne l'est plus cette année pour Fatia et Mariam. / Crédits : DR
Illégal ?
Sans retour de la mairie, Mariam a dû prendre un contrat CDD dans l’urgence. « Je ne pouvais pas attendre, j’ai une famille à nourrir et des dettes qui s’accumulent. » Elle ne comprend pas ce qui s’est passé. Son titre de séjour est en règle, et valable un an. Mais selon les nouveaux critères de la mairie de Paris, l’expiration avant la date de fin de son futur contrat serait un problème. « Si quelqu’un n’a une carte valable qu’un an, et qu’il a son contrat de travail, il obtiendra forcément un récépissé et ensuite un renouvellement de son titre de séjour. Donc je ne sais pas où est le souci », commente l’avocate. Et dans le cas où le titre de séjour ne serait pas renouvelé, la ville peut tout à fait décider de suspendre ou de rompre le contrat. L’avocate résume :
« C’est un faux argument. C’est à la date de la signature du contrat que l’employeur est tenu de vérifier. Cela les embête de faire les vérifications en cours du contrat, c’est tout. Mais comme le fait n’importe quel employeur. C’est juste un manque de courage. »
« Pour les personnes ayant un titre de séjour d’un an avec autorisation de travail, il n’y a aucune raison de dire : “Je ne vous embauche pas car votre titre de séjour ne couvre pas la période” », confirme maître Vincent Souty, qui intervient dans le domaine du droit des étrangers. Il ajoute : « Si tout le monde faisait comme ça, les personnes ne travailleraient jamais ». La seule exception selon eux, concernerait les titres de séjour ayant la mention « travailleur temporaire ». Dans ce cas-là, il serait effectivement possible de faire une carte s’arrêtant le jour de la fin du contrat.
L’angoisse de se retrouver sans emploi
Fatia, pourtant d’un naturel combatif, raconte « ne plus dormir la nuit » et se plaint de « maux de ventre ». « Je suis tout le temps angoissée ». Comme Mariam, elle avait mis beaucoup d’espoir dans ce recrutement, qui leur aurait peut-être permis d’obtenir la nationalité française et d’être titularisés. Ou à minima d’être sous contrat avec la mairie encore une année. « Même si c’était une condition nécessaire, il aurait fallu leur dire avant ! Ne pas leur laisser croire que ça va être possible, comme cela l’a été pour la promotion de l’année dernière », déclare l’agent de la mairie.
« On ne met pas les gens en galère comme ça, on n’abandonne pas les gens comme ça ! », lance au téléphone Mariam, d’un ton remonté. Si elle ne signe pas de contrat en septembre, le dispositif ne sera plus valide. Le délai serait de dix mois entre la date de l’annonce des candidats lauréats et le recrutement. « Ils ont accordé cette chance aux autres, pourquoi on nous dit que ce n’est pas possible ? », s’indigne Fatia. Elle a pu voir son contrat actuel avec la ville en tant qu’Atepe dans une crèche être prolongé de deux mois et espère toujours pouvoir s’engager avec la mairie avant septembre.
Contactée, la ville de Paris réitère les mêmes arguments dénoncés par les avocats et indique qu’elle « essaie d’accompagner au mieux les candidats dans leurs demandes de titres de séjour ».
(1) Pour protéger leur anonymat, leur nationalité n’est pas précisée
(2) Les prénoms ont été changés
Image d’illustration de l’hôtel de ville de Paris par Cédric Bonhomme, le 16 avril 2008. Via Wikimedia Commons
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